Cour administrative d’appel de Marseille, 20 mai 2003, n° 01MA02482, M. Philippe P.

En l’absence de disposition contraire, alors même qu’une partie aurait fait élection de domicile chez son avocat pendant la durée de l’instance, seule la notification régulière de la décision juridictionnelle à son domicile réel fait courir le délai d’appel à l’encontre de cette décision.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

N° 01MA02482

M. Philippe P.

M. BERNAULT
Président

Mme PAIX
Rapporteur

M. BEDIER
Commissaire du Gouvernement

Arrêt du 20 mai 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

(4ème CHAMBRE)

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 23 novembre 2001 sous le n° 01MA02482, présentée par M. Philippe P., demeurant à LONDRES, et faisant élection de domicile au Cabinet DELLE VERGINI, 31, Cours FRANKLIN ROOSEVELT, 13001 MARSEILLE ;

M. P. demande à la Cour :
- la réformation du jugement n° 97-752 du 28 juin 2001 par lequel le Tribunal administratif de NICE a statué sur ses demandes tendant à la décharge des deux cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à son nom au titre de l’année 1991, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu également mises à sa charge au titre des années 1992 et 1993, ainsi que du complément de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er mars 1991 au 31 décembre 1993, en tant que ledit jugement laisse à sa charge un montant de taxe sur la valeur ajoutée de 728.040 Francs en droits simples et 190.145 Francs en pénalités ;
- par voie d’appel incident la décharge de cette taxe ;
- le sursis à l’exécution du jugement attaqué ;
- d’enjoindre au service des impôts de produire l’entier dossier du second contrôle fiscal dont il a fait l’objet ;
- le remboursement des timbres fiscaux et des frais d’instance ;

M. P. fait valoir que sa requête d’appel est recevable quant aux délais, dès lors qu’il peut se prévaloir de l’article 643 du nouveau code de procédure civile ; il indique qu’il abandonne l’instance n° 97-4771 par laquelle il réclamait un remboursement de crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 2.665.027 F, auquel il avait pourtant droit ; il entend que ce crédit soit pris en compte ; il soutient qu’il a droit à la taxe sur la valeur ajoutée récupérable du dernier mois d’activité, en raison du jeu du décalage d’un mois, et que la charte du contribuable vérifié a été méconnue, puisqu’à la suite de l’entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur il n’a été fait droit à aucune de ses demandes et qu’il n’a pas eu d’entretien, malgré la demande en ce sens faite par lui d’emblée, avec l’interlocuteur départemental du service des impôts ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu, enregistré le 29 octobre 2002, le mémoire en défense présenté par le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie ; il demande le rejet de la requête ;

Il soutient que la requête est tardive, qu’on l’interprète comme un appel principal ou comme un appel incident : ayant fait élection de domicile en France, au cabinet de son avocat, à Marseille, M. P. ne peut se prévaloir des dispositions de l’article 643 NCPC, et, en tant qu’appelant incident, il ne peut être recevable à contester un autre impôt - la taxe sur la valeur ajoutée mise à son nom au titre de la période du 1er mars 1991 au 31 décembre 1993 - que celui sur lequel - l’ impôt sur le revenu qui lui a été assigné au titre de 1991- porte l’appel principal élevé par l’administration ;

Il fait valoir que, quant au quantum de la demande, M. P. ne peut demander que la décharge d’un montant de taxe sur la valeur ajoutée de 918.585 F, soit 140.037 euros ;

Au fond, le ministre soutient que la requête n’est pas fondée : le requérant n’a jamais justifié l’existence, ni le bien-fondé, ni le montant du crédit de taxe sur la valeur ajoutée dont il se prévaut à la date du 31 mars 1991, il n’a déposé aucune déclaration CA 3 faisant état d’un tel crédit à cette date, ni la notification de redressements en date du 13 décembre 1994, ni la réponse aux observations en date du 26 juillet 1995 ne lui ont reconnu ce crédit, et le seul dépôt d’une réclamation en faisant état ne suffit pas à établir son existence ; il n’apporte donc pas la preuve du crédit de taxe qu’il invoque ; en revanche, le service a bien tenu compte, par imputation sur la taxe redressée, d’un montant de 1.954.074 F de taxe sur la valeur ajoutée déductible restant à reporter sur le CA3 de février 1992 ;

Sur la procédure de redressement, le ministre fait valoir que la demande d’interlocution émise par le redevable était prématurée ;

Sur la demande de sursis à exécution, le ministre fait valoir que le redevable ne semble pas avoir déposé une requête séparée, et que le rejet au fond entraîne le rejet de la demande de sursis ;

Sur la demande tendant à l’indemnisation des frais irrépétibles, le ministre fait observer qu’elle ne peut en tout état de cause qu’être rejetée, faute de chiffrage ;

Vu, enregistré le 4 novembre 2002, le mémoire complémentaire présenté par M. P., qui indique qu’il entend demander le sursis à exécution du jugement critiqué du 28 juin 2001 du Tribunal administratif de NICE ; il fait valoir que sa requête présente des moyens sérieux, qu’il abandonne la demande de remboursement du crédit de taxe sur la valeur ajoutée de 2.665.027 F dont il était titulaire ; il soutient que l’exécution du jugement le contraindrait à vendre ses biens aux enchères publiques ; le receveur des impôts lui a accordé un sursis de mise en recouvrement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 6 mai 2003 :
- le rapport de Mme PAIX, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. BEDIER, commissaire du gouvernement ;

Sur l’état de l’instruction :

Considérant que l’affaire est en état ; que les pièces versées au dossier sont suffisantes pour la solution du litige ; qu’il n’y a pas lieu, pour la Cour, d’enjoindre au service des impôts de produire l’entier dossier du second contrôle fiscal dont a fait l’objet M. Philippe P. ;

Sur la recevabilité de la requête :

Considérant qu’aux termes de l’article R.431-1 du code de justice administrative : "Lorsqu’une partie est représentée devant le tribunal administratif par un des mandataires mentionnés à l’article R.431-2, les actes de procédure, à l’exception de la notification de la décision prévue aux articles R.751-3 et suivants, ne sont accomplis qu’à l’égard de ce mandataire" ; qu’aux termes de l’article R.751-3 du même code : "Sauf disposition contraire, les décisions sont notifiées le même jour à toutes les parties en cause et adressées à leur domicile réel, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, sans préjudice du droit des parties de faire signifier ces décisions par acte d’huissier de justice" ; qu’aux termes de l’article R.811-2 du même code : "Sauf disposition contraire, le délai d’appel est de deux mois. Il court contre toute partie à l’instance à compter du jour où la notification a été faite à cette partie dans les conditions prévues aux articles R.751-3 et R.751-4" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions, qu’en l’absence de disposition contraire, alors même qu’une partie aurait fait élection de domicile chez son avocat pendant la durée de l’instance, seule la notification régulière de la décision juridictionnelle à son domicile réel fait courir le délai d’appel à l’encontre de cette décision ;

Considérant qu’il est constant que le jugement attaqué du tribunal administratif de NICE du 28 juin 2001 n’a pas été notifié au domicile du requérant, qui réside à Londres, mais à Marseille, à l’adresse de son avocat, chez lequel il avait fait élection de domicile ; que, malgré cette domiciliation, la notification faite dans ces conditions n’a pas été de nature à faire courir le délai d’appel contre le jugement ; que l’appel introduit le 23 novembre 2001,n’a, par suite, pas été formé tardivement, contrairement à ce qu’estime le ministre ; que la fin de non-recevoir qu’il entend opposer à M. P. doit donc être écartée ;

Sur la prescription du droit de reprise :

Considérant qu’aux termes de l’article L.176 du livre des procédures fiscales : "Pour les taxes sur le chiffre d’affaires, le droit de reprise de l’administration s’exerce jusqu’à la fin de la troisième année suivant celle au cours de laquelle la taxe est devenue exigible conformément aux dispositions du 2 de l’article 269 du code général des impôts. (...) Dans le cas où l’exercice ne correspond pas à une année civile le délai part du début de la première période sur laquelle s’exerce le droit de reprise en matière d’impôt sur le revenu et d’impôt sur les sociétés et s’achève le 31 décembre de la troisième année suivant celle au cours de laquelle se termine cette

période. (...) " ;

Considérant que les rehaussements de taxe sur la valeur ajoutée litigieux, qui avaient trait à la période du 1er mars 1991 au 31 décembre 1993, ont été portés à la connaissance du redevable par une notification de redressements en date du 13 décembre 1994 adressée sous un pli recommandé qui a été retiré par l’intéressé au début de l’année 1995 ; que M. P. fait valoir en appel que l’accusé de réception postal correspondant produit au dossier ne comporte ni la date de présentation du pli, ni la signature de l’intéressé, ni la mention qu’il aurait été avisé de cette présentation ; qu’il résulte de l’instruction que le service vérificateur, conscient de ces carences, a demandé en vain à La Poste dès le 16 décembre 1994, démarche renouvelée et demeurée sans succès le 5 janvier suivant, une attestation relative à une date de présentation ; qu’il peut qu’être tenu pour acquis, dans ces conditions, que la notification des redressements en cause n’a pas été valablement opérée en 1994, mais seulement, comme l’indique le redevable, en 1995 ; qu’ainsi la taxe sur la valeur ajoutée afférente aux opérations de l’année 1991 était couverte par la prescription lorsque cette notification est intervenue ; qu’il ne résulte pas de l’instruction et qu’il n’est pas non plus soutenu par l’administration que les opérations qui ont donné lieu au rehaussement de taxe sur la valeur ajoutée nette de 683.400 Francs mentionné dans les écritures du ministre comme afférent à 1991 se rattachent à un exercice clos en 1992 ; qu’en ce qui concerne la somme de 683.400 Francs, M. P. est donc fondé à soutenir que la taxe rappelée était couverte par la prescription du droit de reprise et, en l’absence de moyens validant ce rehaussement présenté par l’administration en première instance ou en appel, à en demander la décharge ; que, par contre, dès lors que la notification de redressements du 13 décembre 1994 doit, ainsi qu’il a été dit plus haut, être réputée intervenue en 1995, la prescription ne couvre pas les rappels de taxe, s’élevant chaque fois à 22.320 Francs, établis au titre des années 1992 et 1993 ;

Sur la régularité de la procédure de rehaussement :

Considérant qu’aux termes du dernier alinéa de l’article L.10 du livre des procédures fiscales : "Avant l’engagement d’une des vérifications prévues aux articles L.12 et L.13, l’administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l’administration" ; que le paragraphe 5 du chapitre III de la charte des droits et obligations du contribuable vérifié, dans sa rédaction alors en vigueur, dispose : "Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l’inspecteur principal... Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l’interlocuteur départemental qui est un fonctionnaire de rang élevé spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur" ; qu’il résulte des dispositions précitées que les contribuables ne peuvent faire appel à l’interlocuteur départemental qu’à la condition d’avoir saisi au préalable le supérieur hiérarchique du vérificateur et qu’à l’issue de cette saisine un désaccord persiste, et qu’en outre, l’entrevue avec l’interlocuteur départemental doit être demandée ou réitérée à l’occasion de la constatation de ce désaccord ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction qu’en réponse à la notification de redressements en date du 13 décembre 1994, le requérant a fait connaître, par lettre du 23 janvier 1995, son désaccord sur les redressements envisagés et a manifesté son intention d’avoir un entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur, ainsi qu’avec l’interlocuteur régional ; qu’après avoir rencontré le supérieur hiérarchique du vérificateur, le 10 avril 1995, le contribuable a confirmé son désaccord, mais sans faire état à nouveau d’une demande de rencontre avec l’interlocuteur départemental ; qu’en l’absence de réitération de cette demande postérieurement à l’entretien avec le supérieur hiérarchique du vérificateur et à l’occasion du désaccord persistant, le service n’était pas tenu d’organiser l’interlocution prévue par la charte ; qu’ainsi le redevable n’est pas fondé à en invoquer sur ce point la méconnaissance par l’administration ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. Philippe P. est seulement fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de NICE a rejeté, à hauteur d’un montant de 683.400 Francs (104.183,66 euros) sa demande en décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée mis à son nom au titre de la période du 1er mars 1991 au 31 décembre 1993 ;

Sur les conclusions de M. P. à fin de sursis à l’exécution du jugement attaqué :

Considérant que l’intervention du présent arrêt, qui statue sur le fond du litige, rend sans objet ces conclusions, sur lesquelles il n’y a plus lieu de statuer ;

Sur les conclusions de M. P. tendant au remboursement des timbres fiscaux et des frais d’instance :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation ".

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser à ce titre à M. P. la somme de 1.000 euros ;

D E C I D E :

Article 1er : M. Philippe P. est, à hauteur de 683.400 Francs (six cent quatre vingt trois mille quatre cent Francs) soit 104.183,66 euros (cent quatre mille cent quatre vingt trois Francs et soixante six centimes), déchargé de la taxe sur la valeur ajoutée mise à son nom au titre de la période du 1er mars 1991 au 31 décembre 1993.

Article 2 : Le jugement n° 97752 du 28 juin 2001 du Tribunal administratif de NICE est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L’Etat versera à M. Philippe P. la somme de 1.000 euros (mille euros) au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Philippe P. est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Philippe P. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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