Conseil d’Etat, 28 avril 2003, n° 241192, Louis-Frédéric M.

La nomination à un emploi de préfet est au nombre de celles qui sont laissées à la décision du gouvernement en raison de la nature même des fonctions exercées. Une telle nomination est essentiellement révocable, comme le rappelle l’article 25, alinéa 3, de la loi du 11 janvier 1984. Dès lors, le gouvernement pouvait à tout moment, dans l’intérêt du service, retirer ses fonctions au requérant en vue de nommer dans son emploi un autre agent.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 241192

M. M.

M. J. Boucher
Rapporteur

M. Piveteau
Commissaire du gouvernement

Séance du 26 mars 2003
Lecture du 28 avril 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 20 décembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Louis-Frédéric M. ; M. M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 29 juin 2001 par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de renouveler son détachement dans le corps des préfets, ensemble la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le ministre de l’intérieur sur son recours hiérarchique contre cette décision ;

2°) d’annuler l’arrêté du 4 juillet 2001 par lequel le Premier ministre l’a, à compter du 8 juillet 2001, réintégré dans le corps des administrateurs civils et affecté au ministère de l’intérieur, ensemble la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le Premier ministre sur son recours hiérarchique contre cet arrêté, confirmée par la lettre du directeur général de l’administration et de la fonction publique en date du 12 février 2002 ;

3°) d’annuler l’arrêté du 5 juillet 2001 par lequel le ministre de l’intérieur l’a affecté à la direction générale de l’administration, ensemble la décision implicite de rejet résultant du silence gardé pendant plus de deux mois par le ministre de l’intérieur sur son recours hiérarchique contre cet arrêté ;

4°) de condamner l’Etat à lui verser une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée ;

Vu le décret n° 64-850 du 29 juillet 1964 modifié ;

Vu le décret n° 85-779 du 24 juillet 1985 modifié ;

Vu le décret n° 85-986 du 16 septembre 1985 modifié ;

Vu le décret n° 99-945 du 16 novembre 1999 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. J. Boucher, Auditeur,
- les observations de la SCP Garaud-Gaschignard, avocat de M. M.,
- les conclusions de M. Piveteau, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions dirigées contre la décision du 29 juin 2001 par laquelle le ministre de l’intérieur a refusé de renouveler le détachement de M. M. dans le corps des préfets et contre la décision implicite rejetant son recours hiérarchique contre cette décision :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, par décret en conseil des ministres du 12 juin 1996, M. M., administrateur civil détaché en qualité de sous-préfet depuis le 2 mai 1979, a été nommé préfet délégué pour la sécurité et la défense auprès du préfet de la zone de défense ouest, préfet de la région Bretagne, préfet d’Ille-et-Vilaine ; que, par arrêté interministériel du 8 juillet 1996, il a été maintenu en position de service détaché en qualité de préfet pour une durée maximale de 5 ans à compter du 8 juillet 1996 ; que, par une décision du 5 juillet 2000, le Conseil d’Etat, statuant au contentieux a annulé le décret en conseil des ministres du 27 mai 1998 mettant fin aux fonctions de M. M. et le réintégrant dans son corps d’origine, ainsi que, par voie de conséquence, l’arrêté du Premier ministre en date du 9 juillet 1998 le réintégrant dans le corps des administrateurs civils et l’affectant au ministère de l’intérieur ;

Considérant qu’aux termes de l’article 3 du décret du 29 juillet 1964 fixant les dispositions réglementaires applicables aux préfets : "Les préfets qui, au moment de leur nomination, ont la qualité de fonctionnaire sont placés en position de détachement de leur corps d’origine" ;

Considérant que la nomination à un emploi de préfet est au nombre de celles qui sont laissées à la décision du gouvernement en raison de la nature même des fonctions exercées ; qu’une telle nomination est essentiellement révocable, comme le rappelle l’article 25, alinéa 3, de la loi du 11 janvier 1984 ; que, dès lors, le gouvernement pouvait à tout moment, dans l’intérêt du service, retirer ses fonctions à M. M. en vue de nommer dans son emploi un autre agent ; qu’il ressort des pièces du dossier que, par décret en conseil des ministres du 27 mai 1998, M. Claude Baland a été nommé préfet délégué pour la sécurité et la défense auprès du préfet de la zone défense ouest, préfet de la région Bretagne, préfet d’Ille-et-Vilaine, en remplacement de M. M. ; que M. Rémi Thuau a succédé à M. Baland dans ces mêmes fonctions en vertu d’un décret en conseil des ministres du 7 octobre 1999 ; que ce décret doit être regardé comme ayant régulièrement mis fin aux fonctions de M. M. ; qu’ainsi le droit à détachement dans le corps des préfets que ce dernier tenait des dispositions précitées de l’article 3 du décret du 29 juillet 1964 a pris fin le 7 octobre 1999 ; que, par suite, M. M., qui n’avait aucun droit au renouvellement de son détachement, n’est pas fondé à soutenir que la décision du 29 juin 2000 par laquelle le ministre de l’intérieur lui a refusé un tel renouvellement serait entachée d’incompétence et de détournement de procédure ; que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ; qu’ainsi, les conclusions de M. M. tendant à l’annulation de la décision du ministre de l’intérieur en date du 29 juin 2000 et de la décision implicite rejetant son recours hiérarchique contre cette décision doivent être rejetées ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté du 4 juillet 2001 par lequel le Premier ministre a réintégré M. M. dans le corps des administrateurs civils et l’a affecté au ministère de l’intérieur et contre la décision rejetant son recours contre cet arrêté :

Considérant qu’aux termes de l’article 23 du décret du 16 septembre 1985 relatif au régime particulier de certaines positions des fonctionnaires de l’Etat et à certaines modalités de cessation définitive de fonctions, dans sa rédaction alors applicable : "A l’expiration du détachement de longue durée (...) le fonctionnaire détaché est obligatoirement réintégré, par arrêté du ministre intéressé, à la première vacance, dans son corps d’origine et affecté à un emploi correspondant à son grade (...)" ; qu’aux termes du quatrième alinéa de l’article 2 du décret du 16 novembre 1999 portant statut particulier du corps des administrateurs civils : "Les administrateurs civils placés dans une position autre que celle d’activité demeurent rattachés pour leur gestion à l’administration à laquelle ils étaient précédemment affectés. Lors de leur retour à la position d’activité ou s’ils demandent à changer de ministère de rattachement, ils font l’objet d’une décision d’affectation ou de rattachement dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas du présent article" ; que ces deux derniers alinéas prévoient que l’affectation des administrateurs civils aux différentes administrations est prononcée par le Premier ministre, après avis du ministre chargé de la fonction publique, et que leur affectation à l’intérieur de chaque administration est prononcée, sous réserve des dispositions de l’article 21, par le ministre concerné ;

Considérant qu’il appartenait, en vertu de ces dispositions, au Premier ministre de décider la réintégration de M. M. dans le corps des administrateurs civils et de prononcer, après avis du ministre chargé de la fonction publique, son affectation au ministère de l’intérieur ; que, si le Premier ministre, par décret du 30 mai 2001 publié au Journal officiel du 3 juin 2001, a donné délégation à M. Jean Bémol, chef du bureau des personnels de conception et d’encadrement à la direction générale de l’administration et de la fonction publique, qui a signé l’arrêté attaqué du 4 juillet 2001, en cas d’absence ou d’empêchement simultanés de M. Jacky Richard, directeur général de l’administration et de la fonction publique, de M. Frédéric Mion, directeur, adjoint au directeur général de l’administration et de la fonction publique, et de Mme Marie Agam-Ferrier, chef de service, à l’effet de signer les arrêtés mentionnés à l’article 1er de l’arrêté du 30 mai 2001 portant délégation de signature, les arrêtés pris en application des dispositions combinées de l’article 23 du décret du 16 septembre 1985 et du décret du 16 novembre 1999 précitées ne figurent pas au nombre des arrêtés mentionnés par cet article ; qu’ainsi M. M. est fondé à soutenir que l’arrêté du 4 juillet 2001 a été signé par une autorité incompétente ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. M. est fondé à demander l’annulation de l’arrêté du 4 juillet 2001 ainsi que de la décision rejetant son recours hiérarchique contre celui-ci ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 5 juillet 2001 affectant M. M. à la direction générale de l’administration et contre la décision implicite rejetant son recours hiérarchique contre cet arrêté :

Considérant que l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 5 juillet 2001 affectant M. M. à la direction générale de l’administration a été pris à la suite de l’arrêté précité du 4 juillet 2001 ; que l’annulation de ce dernier arrêté doit entraîner, par voie de conséquence, l’annulation de l’arrêté du 5 juillet 2001 et de la décision implicite par laquelle le ministre de l’intérieur a rejeté le recours hiérarchique de M. M. contre cet arrêté ;

Sur les conclusions de M. M. tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser à M. M. la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du Premier ministre en date du 4 juillet 2001 réintégrant M. M. dans le corps des administrateurs civils et l’affectant au ministère de l’intérieur et l’arrêté du ministre de l’intérieur en date du 5 juillet 2001 affectant M. M. à la direction générale de l’administration, ensemble les décisions rejetant les recours hiérarchiques de M. M. contre ces arrêtés, sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera à M. M. une somme de 2 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. M. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Louis-Frédéric M., au Premier ministre et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1775