Cour administrative d’appel de Marseille, 6 mai 2003, n° 00MA00611, M. Marc G. c/ Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

L’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux autorités et juridictions administratives qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions. Toutefois, il en va autrement lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servant de fondement à cette décision constituent une infraction pénale. Dans cette hypothèse, l’autorité de la chose jugée s’étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

N° 00MA00611

M. Marc G.
c/ Ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées

M. BERNAULT
Président

M. POCHERON
Rapporteur

M. BEDIER
Commissaire du Gouvernement

Arrêt du 6 mai 2003

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE MARSEILLE

(4ème chambre )

Vu la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d’appel de Marseille le 27 mars 2000 et le mémoire complémentaire enregistré le 19 mai 2000, sous le n° 00MA00611 présentés par M. Marc G. ;

M. G. demande à la Cour :

1°/ d’annuler le jugement n° 94 3670 et n° 94 2789 en date du 18 novembre 1999 par lequel le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande dirigée contre la décision du 19 février 1990 par laquelle le préfet des Alpes-Maritimes l’a mis en demeure de cesser de louer des locaux insusceptibles d’être donnés en location aux fins d’habitation, rejeté ses demandes tendant à ce que l’Etat soit condamné à lui verser la somme de 770 000 F en réparation du préjudice qu’il a subi et la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles ;

2°/ d’annuler la décision du 19 février 1990 pour excès de pouvoir ;

3°/ de condamner l’Etat à lui verser la somme de 770 000 F ;

4°/ de condamner l’Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles ;

Il soutient que les chambres concernées par la mesure litigieuse ont été convenablement aménagées pour l’habitation au moment de la construction de l’immeuble et qu’aucune modification de nature à changer la destination des locaux n’a été apportée ; que le préfet a fait appliquer l’article L.43 du code de la santé publique sans faire vérifier l’origine et l’état des lieux incriminés ; que la mise en demeure contestée empêche M. G. de les louer et de les entretenir et faire perdre toute la valeur des biens investis ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré le 15 mai 2000, présenté par le ministre de l’intérieur ;

Le ministre informe la Cour que seul le ministre de l’emploi et de la solidarité est compétent pour défendre les intérêts de l’Etat dans cette affaire qui relève du code de la santé publique ;

Vu la télécopie du mémoire en défense, enregistrée le 24 juillet 2000 et l’original de ce mémoire enregistré le 27 juillet 2000, présentés par le ministre de l’emploi et de la solidarité ;

Le ministre demande à la Cour le rejet de la requête ;

Il soutient que les locaux litigieux ont le caractère de sous-sol ; que le code de la santé publique, dont les règles sont totalement indépendantes de celles qui fixent les règles de construction, prévoit des peines pour toute personne qui aura mis à disposition aux fins d’habitation des sous-sols et qui n’aura pas déféré dans le délai d’un mois à la mise en demeure du préfet de mettre fin à cette situation ; que les sous-sols, même convenablement aménagés, ne perdent pas leur caractère de sous-sol au sens de l’article L.43 du code de la santé publique alors en vigueur ;

Vu le mémoire en réplique enregistré le 15 janvier 2001, présenté pour M. G. par Me FILIO ;

M. G. persiste dans ses conclusions par les mêmes moyens ;

Il soutient en outre que les constructions aujourd’hui litigieuses ont été déclarées conformes à la réglementation en vigueur pour les destiner à l’habitation ; que le règlement de copropriété dispose que le commerce de meublés est autorisé dans le rez de jardin où sont situées les chambres en cause ; que les chambres ont une partie de leur hauteur au-dessus du sol, disposent d’ouvertures sur l’extérieur, et sont convenablement aménagées, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat ; que la Cour d’appel d’Aix en Provence l’a relaxé des fins de la poursuite en relevant que les éléments constitutifs de l’infraction visée à l’article L.43 du code de la santé publique n’étaient pas caractérisées ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 8 avril 2003 :
- le rapport de M. POCHERON, premier conseiller ;
- et les conclusions de M. BEDIER, premier conseiller ;

Sur la légalité de la mise en demeure en date du 19 février 1990 du préfet des Alpes-Maritimes :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête dirigés contre cette décision :

Considérant que l’autorité de la chose jugée au pénal ne s’impose aux autorités et juridictions administratives qu’en ce qui concerne les constatations de fait que les juges répressifs ont retenues et qui sont le support nécessaire de leurs décisions ; que, toutefois, il en va autrement lorsque la légalité d’une décision administrative est subordonnée à la condition que les faits qui servant de fondement à cette décision constituent une infraction pénale ; que, dans cette hypothèse, l’autorité de la chose jugée s’étend exceptionnellement à la qualification juridique donnée aux faits par le juge pénal ;

Considérant que la mise en demeure du préfet des Alpes-Maritimes en date du 19 février 1990 enjoignant à M. G. de mettre fin aux locations de quatre logements sis dans l’immeuble "Le Clair Juan", boulevard Wilson à Antibes Juan les Pins dans un délai d’un mois à compter de sa notification sous peine d’amendes et d’emprisonnement est intervenue en application des dispositions de l’article L.43 du code de la santé publique alors en vigueur aux termes desquelles : "Toute personne qui aura mis à disposition, à titre gratuit ou onéreux, aux fins d’habitation, des caves, sous-sols, combles et pièces dépourvues d’ouverture sur l’extérieur et qui n’aura pas déféré dans le délai d’un mois à la mise en demeure du préfet de mettre fin à cette situation sera passible des peines édictées au dernier alinéa de l’article L.45." ; qu’il résulte de ces dispositions que la légalité de l’arrêté du préfet était subordonnée à la condition que la location des quatre chambres en cause ait été constitutive d’une infraction pénale ;

Considérant que par un arrêt du 7 avril 1994 la Cour d’appel d’Aix en Provence a prononcé la relaxe des fins de poursuite dirigées contre M. G. au motif que, contrairement à la citation du parquet, les dispositions de l’article .L.43 du code de la santé publique alors en vigueur étaient ainsi rédigées : "... des caves, sous-sols, combles et pièces dépourvus d’ouverture sur l’extérieur..." ; que, par suite, et bien qu’elle ait considéré que les chambres en cause avaient la qualité de sous-sol, la Cour a jugé que la circonstance qu’elles étaient pourvues d’ouvertures sur l’extérieur les excluaient du champ d’application des dispositions précitées ; qu’il ressort de l’examen des dispositions de l’article 9 de la loi n° 70-612 du 10 juillet 1970 publiées au journal officiel du 12 juillet 1970 et insérées dans le code de la santé publique sous l’article L.43 que la Cour d’appel s’est en l’espèce fondée sur une rédaction erronée de ces dispositions, qui, en indiquant "dépourvus" au lieu de "dépourvues", en a modifié le sens ; que, toutefois, l’arrêt est passé en force de chose jugée par suite de l’absence de pourvoi en cassation ; qu’ainsi, la mise en demeure du préfet des Alpes-Maritimes a méconnu l’autorité de la chose jugée qui s’attache à la décision de la Cour d’appel et est en conséquence dépourvue de base légale ; que, par suite, M. G. est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ; que, dès lors, le dit jugement doit être annulé en tant qu’il a rejeté la demande du requérant dirigée contre la mise en demeure du 19 février 1990 ;

Sur la responsabilité de l’Etat :

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la mise en demeure adressée à M. G. était dépourvue de base légale et a constitué une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;

Sur le préjudice :

Considérant que M. G. évalue son préjudice à 770 000 F ; que, dans cette évaluation globale, 700 000 F correspondent au prix d’achat actualisé des quatre chambres, du chef de l’impossibilité de les donner en location aux fins d’habitation ou de leur trouver, en raison du règlement de copropriété, un autre usage lucratif ; que le solde de 70 000 F est allégué des chefs des frais de procédure, d’avocat, de la perte de temps et du préjudice moral ;

Considérant en premier lieu qu’eu égard à l’état des lieux tel qu’il résulte du rapport de la D.D.A.S.S figurant au dossier de première instance, et aux conditions, notamment d’hygiène, faite aux éventuels occupants, le requérant n’établit pas qu’il aurait pu retirer légalement, dans les conditions normales du marché, un revenu locatif appréciable des biens en cause ; que, de surcroît, l’intéressé ne fait pas état des loyers qu’il pratiquait ; qu’ainsi, en se référant à la seule valeur d’acquisition des chambres litigieuses, alors que celles-ci n’ont fait l’objet ni d’une expropriation, ni d’aucune atteinte matérielle, et que le présent arrêt annule la décision attaquée, M. G. n’établit pas une perte de valeur de ses biens et ne justifie en conséquence pas du préjudice financier allégué ;

Considérant en deuxième lieu que les frais de procédure et d’avocat relèvent des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, au titre desquelles l’appelant présente par ailleurs une demande d’indemnité ; que le préjudice moral allégué n’est pas établi ; que, dès lors, le requérant n’est pas fondé à se plaindre, que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 770 000 F ;

Sur l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu dans les circonstances de l’espèce, en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative, de condamner l’Etat à payer à M. G. une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par celui-ci et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nice en date du 18 novembre 1999, en tant qu’il a rejeté la demande de M. Marc G. dirigée contre la décision du préfet des Alpes-Maritimes en date du 19 février 1990, et cette décision, sont annulés.

Article 2 : L’Etat versera à M. Marc G. une somme de 2 000 euros (deux mille euros) au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la demande présentée par M. Marc G. devant le Tribunal administratif de Nice et des conclusions de sa requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. Marc G. et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1771