Conseil d’Etat, 2 avril 2003, n° 238266, M. Ullah M. 

Les personnes à l’encontre desquelles une procédure disciplinaire est engagée devant la Commission bancaire ont droit, dès lors qu’elles en font la demande, à ce que leur cause soit entendue publiquement. Dès lors, les dispositions de l’article 10-2-1 du décret du 24 juillet 1984 ne sont pas contraires aux stipulations de l’article 6§1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 238266

M. M.

Mme Legras
Rapporteur

M. Lamy
Commissaire du gouvernement

Séance du 10 mars 2003
Lecture du 2 avril 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-section réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 septembre 2001 et 17 janvier 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Ullah M. ; M. M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision du 11 juillet 2001 par laquelle la Commission bancaire a prononcé sa démission d’office de ses fonctions de directeur général de la succursale de la National Bank of Pakistan en France ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 811 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu la loi n° 84-46 du 24 janvier 1984 ;

Vu le décret n° 84-708 du 24 juillet 1984 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Legras, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. M., et de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la Commission bancaire et du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Sur la régularité de la décision attaquée ;

Considérant qu’aux termes de l’article 10-2-1 du décret du 24 juillet 1984 pris pour l’application de la loi du 24 janvier 1984 relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit, lorsque la Commission bancaire prononce une sanction disciplinaire, en application de l’article L. 613-21 du code monétaire et financier, " l’audience est publique à la demande des personnes intéressées. Toutefois, le président de la Commission peut interdire au public l’accès de la salle pendant tout ou partie de l’audience dans l’intérêt de l’ordre public ou lorsque la publicité est susceptible de porter atteinte à un secret protégé par la loi " ;

Considérant, d’une part, qu’il résulte de ces dispositions que les personnes à l’encontre desquelles une procédure disciplinaire est engagée devant la Commission bancaire ont droit, dès lors qu’elles en font la demande, à ce que leur cause soit entendue publiquement ; que, dès lors, les dispositions précitées de l’article 10-2-1 du décret du 24 juillet 1984 ne sont pas contraires aux stipulations de l’article 6, § 1, de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, d’autre part, l’intéressé peut demander que l’audience soit publique, soit à la suite de la convocation qui lui est adressée, soit à l’audience même ; que, dès lors qu’il s’en abstenu, il doit être réputé avoir renoncé à la publicité de l’audience, laquelle peut régulièrement se tenir à huis-clos ;

Considérant que la Commission bancaire a décidé d’engager une procédure disciplinaire à la suite des rapports d’inspection qui lui avaient été remis sur la situation de la succursale française de la National Bank of Pakistan et qui révélaient différents manquements aux règles applicables aux établissements de crédit ; que ces rapports n’ont impliqué par eux-mêmes aucune prise de position de la part de la Commission sur ces manquements ; qu’ainsi le moyen tiré de ce que la Commission bancaire aurait méconnu le principe d’impartialité en décidant de se saisir du cas de la succursale française de la National Bank of Pakistan sur la base des éléments qu’ils contenaient ne peut qu’être écarté ;

Considérant que la lettre par laquelle son président a fait connaître à M. M. que la Commission bancaire avait décidé d’engager à son encontre des poursuites disciplinaires ne tenait pas pour établis les faits dont elle faisait état et ne prenait pas parti sur leur qualification d’infractions à différentes dispositions législatives et réglementaires ; qu’elle avait pour seul objet, afin de satisfaire aux exigences du principe du respect des droits de la défense, de l’informer des faits qui feraient l’objet d’une discussion devant la Commission bancaire ; qu’ainsi M. M. n’est pas fondé à soutenir que les conditions dans lesquelles la Commission bancaire a décidé d’engager une procédure disciplinaire sont contraires au principe d’impartialité ;

Considérant que la Commission bancaire n’a pas commis d’irrégularité en adressant à l’avocat de M. M. et non à ce dernier différents procès-verbaux demandés par cet avocat ; que si la convocation à l’audience du 29 juin 2001 n’a été adressée à M. M. que le 18 juin, la décision attaquée n’a pas été rendue en méconnaissance des droits de la défense dès lors, d’une part, que les questions en litige étaient connues du requérant depuis l’engagement de la procédure, plus d’un an avant, et, d’autre part, qu’il résulte des pièces de la procédure suivie et des termes mêmes de la décision attaquée que M. M., alors même qu’il était détenu dans le cadre des poursuites pénales qui avaient été engagées contre lui, a été mis en mesure de prendre connaissance des documents adressés par la Commission avec la lettre de convocation ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant que, pour infliger à M. M. la sanction de démission d’office de ses fonctions de directeur général, la Commission bancaire s’est fondée sur les dysfonctionnements affectant l’organisation de la succursale française de la National Bank of Pakistan, sur les lacunes des procédures de contrôle interne et du système de surveillance en matière de lutte contre le blanchiment, ainsi que sur les irrégularités relatives à l’établissement des comptes annuels ; qu’elle a relevé que le requérant, "dirigeant responsable au sens de l’article L. 511-13 du code monétaire et financier", ne pouvait ignorer les pratiques constitutives des différents manquements mis en évidence par les rapports d’inspection successifs ; qu’eu égard à la gravité des carences relevées par ces rapports et au fait que le requérant avait pris ses fonctions quatre ans avant la décision attaquée, la Commission bancaire a pu, sans dénaturation ni erreur de droit, infliger à M. M. la sanction contestée ; que c’est par une appréciation souveraine, exempte de dénaturation, que la Commission a estimé que les faits qu’elle avait relevés justifiaient la démission d’office de M. M. de ses fonctions de directeur général ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. M. n’est pas fondé à demander l’annulation de la décision qu’il attaque ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que l’Etat qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à verser à M. M. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. M. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Ullah M., à la Commission bancaire et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1726