Conseil d’Etat, Section, 16 mai 2003, n° 242875, Mlle Eléna M.

Le fait, pour le juge de première instance, d’écarter à tort un moyen comme irrecevable ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l’annulation du jugement par le juge d’appel saisi d’un moyen en ce sens. Il appartient seulement à ce dernier, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel qui est résulté de l’introduction de la requête, et après avoir, en répondant à l’argumentation dont il était saisi, relevé cette erreur, de se prononcer sur le bien-fondé du moyen écarté à tort comme irrecevable, puis, le cas échéant, sur les autres moyens invoqués en appel.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 242875

Mlle M.

M. Herondart
Rapporteur

Mme Maugüé
Commissaire du gouvernement

Séance du 25 avril 2003
Lecture du 16 mai 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 8 février 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mlle Eléna M. ; Mlle M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 30 novembre 2001 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté du 6 août 2001 du préfet de police ordonnant sa reconduite à la frontière ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le décret n° 46-1574 du 30 juin 1946 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Herondart, Auditeur,
- les conclusions de Mme Maugüé, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le fait, pour le juge de première instance, d’écarter à tort un moyen comme irrecevable ne constitue pas une irrégularité de nature à entraîner l’annulation du jugement par le juge d’appel saisi d’un moyen en ce sens ; qu’il appartient seulement à ce dernier, dans le cadre de l’effet dévolutif de l’appel qui est résulté de l’introduction de la requête, et après avoir, en répondant à l’argumentation dont il était saisi, relevé cette erreur, de se prononcer sur le bien-fondé du moyen écarté à tort comme irrecevable, puis, le cas échéant, sur les autres moyens invoqués en appel ;

Sur le moyen tiré de l’illégalité de la décision du 16 novembre 2000 refusant à Mlle M. le renouvellement de son titre de séjour :

Considérant qu’à l’appui de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêté du 6 août 2001 du préfet de police ordonnant sa reconduite à la frontière, Mlle M. a excipé de l’illégalité de la décision du 16 novembre 2000 du préfet de police lui refusant le renouvellement de sa carte de séjour temporaire portant la mention "étudiant" ; que Mlle M. a formé à l’encontre de cette décision un recours gracieux et un recours hiérarchique dans le délai de recours contentieux ; que son recours gracieux a été rejeté par le préfet de police le 16 février 2001 et son recours hiérarchique par le ministre de l’intérieur le 16 mars 2001 ; qu’elle a introduit une requête contre la décision du 16 novembre 2000 devant le tribunal administratif de Paris dans le délai de recours, le 17 avril 2001 ; que, par suite, la décision du 16 novembre 2000 n’était pas devenue définitive le 23 août 2001 lorsque Mlle M. a saisi le président du tribunal administratif de Paris de sa requête tendant à l’annulation de l’arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière ; que c’est dès lors à tort que le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a déclaré que Mlle M. était irrecevable à invoquer au soutien de ses conclusions tendant à l’annulation de l’arrêté du 6 août 2001 l’illégalité de la décision du 16 novembre 2000 lui refusant le renouvellement de son titre de séjour ;

Mais considérant qu’aux termes de l’article 8 du décret du 30 juin 1946 modifié : "L’étranger déjà admis à résider en France qui sollicite le renouvellement d’une carte de séjour temporaire présente à l’appui de sa demande : (...) 4° S’il entend demeurer en France pour y poursuivre des études ou y suivre un enseignement ou un stage de formation, les pièces exigées aux 1° et 2° de l’article 7-7 du présent décret " ; qu’aux termes des 1° et 2° de l’article 7-7 du même décret : "Pour l’application du deuxième alinéa de l’article 12 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 précitée, l’étranger qui demande la carte de séjour mention "étudiant" doit présenter les pièces suivantes : 1° La justification qu’il dispose de moyens d’existence correspondant à 70 % au moins de l’allocation d’entretien mensuelle de base versée, au titre de l’année universitaire écoulée, aux boursiers du Gouvernement français ; 2° Un certificat d’immatriculation, d’inscription ou de préinscription dans un établissement public ou privé d’enseignement ou de formation initiale, ou une attestation d’inscription ou de préinscription dans un organisme de formation professionnelle au sens du titre II du livre IX du code du travail, ou bien une attestation justifiant qu’il est bénéficiaire d’un programme de l’Union européenne de coopération dans les domaines de l’éducation, de la formation et de la jeunesse" ; que, pour l’application de ces dispositions, il appartient à l’administration saisie d’une demande de renouvellement d’une carte de séjour présentée en qualité d’étudiant de rechercher, à partir de l’ensemble du dossier, si l’intéressé peut être raisonnablement regardé comme poursuivant effectivement des études ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en se fondant sur la circonstance que Mlle M., de nationalité russe, était inscrite pour la quatrième année consécutive en licence de langues étrangères appliquées (L.E.A.) anglais-russe sans avoir obtenu un diplôme depuis son arrivée en France pour estimer qu’était démontrée l’absence de sérieux de ses études et lui refuser le renouvellement de son titre de séjour en qualité d’étudiante, alors même que l’intéressée aurait achevé parallèlement le cursus universitaire qu’elle avait entrepris en Russie et fait un stage de six mois au Royaume-Uni pour préparer le concours d’une école de traducteurs-interprètes, le préfet de police aurait entaché sa décision d’une erreur d’appréciation ; que, par suite, l’exception soulevée par Mlle M. à l’appui de sa demande tendant à l’annulation de l’arrêté de reconduite à la frontière contesté et tirée de l’illégalité de la décision préfectorale du 16 novembre 2000 lui refusant le renouvellement de son titre de séjour doit être écartée ;

Sur le moyen tiré de la violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce et eu égard aux effets d’une mesure de reconduite à la frontière, l’arrêté attaqué n’a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de Mlle M., qui est célibataire et sans charge de famille, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; que, par suite, le moyen tiré de ce qu’il méconnaîtrait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mlle M. n’est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mlle M. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mlle Eléna M., au préfet de police et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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