Conseil d’Etat, 30 décembre 2002, n° 232648, M. Gérard O.

En vertu des dispositions des articles L. 1 et L. 6 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la solde de réforme rémunère des services accomplis, après la rupture du lien existant entre le militaire et l’Etat qui en est le fait générateur. Même lorsqu’elle est acquise à la suite d’une réforme définitive pour infirmités, la solde de réforme ne présente pas le caractère d’une indemnisation de l’invalidité. Ne constituant pas la réparation d’un préjudice, elle ne peut être regardée comme ayant été versée au titre d’un accident.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 232648

M. O.

M. Christnacht
Rapporteur

M. Le Chatelier
Commissaire du gouvernement

Séance du 11 décembre 2002
Lecture du 30 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 7ème et 5ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 7ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 17 avril et 17 août 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M Gérard O. et pour Me Jean N., ès qualités de mandataire judiciaire, désigné par jugement du tribunal de grande instance de Metz en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire civile de M. O. ; M. O. et Me N.demandent au Conseil d’Etat :

1°) de réformer l’arrêt n° 97LY00747 du 30 mars 2000 de la cour administrative d’appel de Lyon en tant qu’il a limité à la somme de 460 915,06 F (70 266,05 euros), le montant de l’indemnité que l’Etat a été condamné à verser à M. O. en réparation des préjudices subis du fait de l’accident dont il a été victime, le 19 juillet 1983, au cours d’un exercice militaire ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 20 000 F (3 048,98 euros) sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de l’Etat ;

Vu le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu le code du service national ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridictionnelle ;

Vu le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Christnacht, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Bouzidi, avocat de M. O.,
- les conclusions de M. Le Chatelier, Commissaire du gouvernement ;

Sur la recevabilité :

Considérant qu’aux termes de l’article 39 du décret du 19 décembre 1991 pris pour l’application de la loi du 10 juillet 1991 : "Lorsqu’une demande d’aide juridictionnelle en vue de se pourvoir en matière civile devant la Cour de cassation est adressée au bureau d’aide juridictionnelle établi près cette juridiction avant l’expiration du délai imparti pour le dépôt du pourvoi ou des mémoires, ce délai est interrompu. Un nouveau délai court à compter de la réception par l’intéressé de la notification de la décision du bureau d’aide juridictionnelle (...) Les délais de recours sont interrompus dans les mêmes conditions lorsque l’aide juridictionnelle est sollicitée à raison d’une instance devant le Conseil d’Etat (...)" ; qu’il ressort des pièces du dossier que M. O., qui a reçu notification de l’arrêt attaqué le 31 mars 2000, a présenté le 25 mai 2000 au bureau d’aide juridictionnelle établi près le Conseil d’Etat une demande d’aide juridictionnelle ; qu’il a reçu notification le 15 février 2001 de la décision par laquelle le bureau d’aide juridictionnelle a rejeté sa demande ; que, par suite, son pourvoi, enregistré le 17 avril 2001, lendemain d’un jour férié, n’était pas tardif ;

Sur le préjudice :

Considérant qu’il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. O., qui accomplissait les obligations du service national au moment de son accident, avait contracté un engagement de servir dans l’armée pendant une durée de cinq ans ; que, dès lors, la cour a pu juger sans commettre d’erreur de droit que le retour dans l’emploi que M. O. occupait dans le secteur privé avant cet engagement dans l’armée présentait le caractère d’une simple éventualité et que, par suite, l’indemnité qui lui est due pour la perte de revenus subie pour la période du 1er juin 1984 au 25 juin 1987, pendant laquelle il était placé en congé de réforme sans solde, doit être déterminée sur la base de la solde militaire qu’il aurait perçue pendant cette période et non sur celle de la rémunération qu’il percevait dans l’emploi qu’il occupait antérieurement ;

Considérant que la cour a jugé, par une appréciation souveraine des faits, sans les dénaturer, que les pertes financières alléguées qui résulteraient de la résiliation d’un contrat d’assurance-vie faute de règlement des primes, du versement des cotisations au titre de contrats d’assurance automobile devenus inutiles, des conséquences d’une diminution des revenus sur le niveau futur de la retraite, des frais de rééducation fonctionnelle engagés hors prescription médicale, des frais financiers d’emprunts et des frais de la procédure de liquidation judiciaire de l’entreprise de M. O., ne présentaient pas un lien direct avec l’accident ; qu’elle a pu ainsi en déduire, sans commettre d’erreur de droit, que ces chefs de préjudice ne doivent pas être pris en compte dans le calcul du montant de l’indemnité due à M. O. ;

Considérant que la cour, en évaluant le préjudice professionnel subi par M. O. à 340 000 F (51 832,67 euros), s’est livrée à une appréciation souveraine des faits de l’espèce qui ne peut être utilement discutée devant le juge de cassation ;

Sur le moyen tiré de l’erreur de droit qui résulterait de déductions opérées par la cour sur l’indemnité due à M. O. :

Considérant qu’en jugeant que le versement d’indemnités journalières pendant la période de congé temporaire sans solde et la concession d’une pensionmilitaire d’invalidité constituent des mesures d’indemnisation du préjudice subi du fait de l’accident et, par suite, qu’il y a lieu de déduire leurs montants de l’indemnité due à M. O., la cour n’a pas commis d’erreur de droit ;

Considérant, en revanche, qu’en vertu des dispositions des articles L. 1 et L. 6 du code des pensions civiles et militaires de retraite, la solde de réforme rémunère des services accomplis, après la rupture du lien existant entre le militaire et l’Etat qui en est le fait générateur ; que, même lorsqu’elle est acquise à la suite d’une réforme définitive pour infirmités, la solde de réforme ne présente pas le caractère d’une indemnisation de l’invalidité ; que, ne constituant pas la réparation d’un préjudice, elle ne peut être regardée comme ayant été versée au titre d’un accident ; que, par suite, en estimant que la solde de réforme, liquidée le 17 juillet 1987 pour un montant de 136 180,80 F (20 760,63 euros), au bénéfice de M. O., à raison des services accomplis dans l’armée, lui avait été versée au titre de l’accident dont il a été victime et devait, en conséquence, être déduite de l’indemnité que l’Etat est condamné à lui verser en réparation du préjudice subi, la cour a entaché sa décision d’une erreur de droit ; qu’il y a lieu, par suite, d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il a déduit le montant de la solde de réforme de cette indemnité ;

Considérant qu’aux termes de l’article L.821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu de déduire de la somme que la cour a condamné l’Etat à verser à M. O. au titre de l’indemnisation des préjudices qu’il a subis le montant de la solde de réforme qui lui a été attribuée ; que, par suite, cette ind-erhnisàtiôn doit être portée à la somme de 91 026,68 euros (597 095,86 F), sur laquelle s’imputera le montant des sommes versées à titre de provision, celles-ci portant intérêt dans les conditions fixées à l’article 2 de l’arrêt de la cour ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à M. O. la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt n° 97LY00747 de la cour administrative d’appel de Lyon en date du 30 mars 2000 est annulé en tant qu’il a déduit le montant du capital de la solde de réforme liquidée le 17 juillet 1987, soit la somme de 136 180,80 F (20 760, 63 euros), du montant de l’indemnité que l’Etat est condamné à verser à M. O. en réparation des préjudices subis du fait de l’accident dont il a été victime.

Article 2 : L’indemnité que l’Etat est condamné à verser à M. O. par l’arrêt n° 97LY00747 de la cour administrative d’appel de Lyon est portée à la somme de 91 026,68 euros (597 095,88 F), sur laquelle s’imputera le montant des provisions déjà versées.

Article 3 : L’Etat versera à M. O. la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. O. est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. Gérard O., à Me Jean N. et au ministre de la défense.

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