La connaissance par la victime de l’existence d’un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale. Le point de départ de cette dernière est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l’origine de ce dommage ou du moins de disposer d’indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l’administration.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 230291
COMMUNE D’ALBESTROFF
Mlle Bourgeois
Rapporteur
Mme Prada Bordenave
Commissaire du gouvernement
Séance du 30 octobre 2002
Lecture du 6 décembre 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 14 février et 18 avril 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE D’ALBESTROFF (57670), représentée par son maire ; la COMMUNE D’ALBESTROFF demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt du 7 décembre 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy l’a condamnée à verser à Mme Jeanne H., une somme de 566 000 F en principal, au titre du préjudice subi par cette dernière de 1976 à 1991 du fait de la baisse de rendement de son élevage de poissons dû au déversement dans l’étang dit du "Muhlweiher" qu’elle exploite sur le territoire de la COMMUNE D’ALBESTROFF, des effluents du quartier dit "écart Sainte-Anne", collectés par une canalisation les acheminant vers un ruisseau alimentant l’étang ;
2°) de rejeter les conclusions de la requête de Mme H. ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mlle Bourgeois, Auditeur,
les observations de Me Odent, avocat de la COMMUNE D’ALBESTROFF et de la SCP Parmentier, Didier, avocat de Mme H.,
les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 : "Sont prescrites au profit de l’Etat, des départements et des communes... sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n’ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l’année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. Sont prescrites dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d’un comptable public" ; qu’aux termes de l’article 2 de la même loi : "La prescription est interrompue par... toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l’autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance..., tout recours formé devant la juridiction, relatif au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance..., toute communication écrite d’une administration intéressée... dès lors que cette communication a trait au fait générateur, à l’existence, au montant ou au paiement de la créance ; toute émission de moyen de règlement..." ; qu’aux termes de l’article 3 : "La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, soit par lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant légal, soit pour une cause de force majeure, ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l’existence de sa créance ou de la créance de celui qu’il représente légalement" ;
Considérant qu’il résulte de la combinaison des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968 que la connaissance par la victime de l’existence d’un dommage ne suffit pas à faire courir le délai de la prescription quadriennale ; que le point de départ de cette dernière est la date à laquelle la victime est en mesure de connaître l’origine de ce dommage ou du moins de disposer d’indications suffisantes selon lesquelles ce dommage pourrait être imputable au fait de l’administration ;
Considérant qu’en déclarant, pour écarter l’exception de prescription quadriennale opposée à la créance dont se prévaut Mme H. en raison des dommages causés à l’élevage de poissons qu’elle exploite dans l’étang dit du "Muhlweiher" par le déversement dans cet étang des effluents d’un quartier de la COMMUNE D’ALBESTROFF, dit écart Sainte-Anne, que, d’une part, la prescription n’avait pu courir à l’égard de Mme H., dont le dommage était susceptible d’être imputable à plusieurs causes possibles, qu’à compter du début de l’exercice qui suit celui au cours duquel l’origine du dommage a été révélée à la victime de manière suffisamment nette, et que, d’autre part, il ne résultait pas de l’instruction que l’intéressée, qui n’était pas tenue de prendre toutes les mesures propres à identifier cette origine dès la première constatation des dommages, ait connu avant 1986 l’origine de la pollution de l’étang, la cour administrative d’appel de Nancy n’a ni dénaturé les pièces du dossier ni commis d’erreur de droit ;
Considérant que, en déclarant qu’il n’était pas établi, d’une part, que Mme H. ait participé à la réalisation du dommage, notamment par l’imprudence dont elle aurait pu faire preuve en installant un élevage piscicole en 1973 dans l’étang du Mulweilher, d’autre part, que la pollution de cet étang ait pu provenir d’autres sources que les effluents de l’écart Sainte-Anne, telles que des substances utilisées pour l’agriculture, la cour n’a pas dénaturé les pièces du dossier et en particulier les rapports d’expertise sur lesquels elle a fondé sa décision ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la COMMUNE D’ALBESTROFF n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;
Sur le recours incident de Mme H. :
Considérant qu’en relevant, pour réduire l’évaluation du préjudice lié à la perte de productivité de l’exploitation piscicole, que cette évaluation devait être faite sur la base d’un prix moyen du poisson égal à la moyenne arithmétique des prix moyens annuels pondérés indiqués par la requérante elle-même, la cour administrative d’appel de Nancy a suffisamment motivé sa décision ; que, par suite, Mme H. n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêt de cette cour en tant qu’il a réduit le montant du préjudice lié à la perte d’exploitation qu’elle a subie ;
Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que Mme H. qui n’est pas, dans la présente instance la partie perdante, soit condamnée à payer à la COMMUNE D’ALBESTROFF la somme que demande celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner la COMMUNE D’ALBESTROFF à payer à Mme H. la somme de 2 800 euros que celle-ci demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la COMMUNE D’ALBESTROFF est rejetée.
Article 2 : Le recours incident de Mme H. est rejeté.
Article 3 : La COMMUNE D’ALBSTROFF versera à Mme H. une somme de 2 800 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE D’ALBESTROFF et à Mme Jeanne H..
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