Conseil d’Etat, 13 décembre 2002, n° 242395, M. Antonio D. S. J.

L’application de la peine de mort à une personne ayant fait l’objet d’une extradition accordée par le Gouvernement français serait contraire à l’ordre public français. Par suite, si l’un des faits fondant la demande d’extradition est puni de la peine de mort par la législation de l’Etat requérant, l’extradition ne peut être légalement accordée qu’à la condition que cet Etat donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne sera ni requise, ni prononcée, ni exécutée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 242395

M. D. S. J.

Mme Imbert-Quaretta
Rapporteur

Mme de Silva
Commissaire du gouvernement

Séance du 25 novembre 2002
Lecture du 13 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistres les 28 janvier et 27 mai 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Antonio D. S. J. ; M. D. S. J. demande au Conseil d’Etat l’annulation du décret du 27 novembre 2001 accordant son extradition aux autorités des Etats-Unis d’Amérique pour l’exécution d’un mandat d’arrêt établi le 2 mai 1986 par un juge à la cour supérieure de l’Etat de Connecticut pour meurtre et tentative de meurtre ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention du 6 janvier 1909 relative à l’extradition entre la France et les Etats-Unis d’Amérique, modifiée par la convention additionnelle signée le 12 février 1970 ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée le 4 novembre 1950 ;

Vu le code pénal ;

Vu la loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Imbert-Quaretta, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M. D. S. J.,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des sceaux, ministre de la justice ;

Considérant que ni les stipulations de la convention du 6 janvier 1909 modifiée relative à l’extradition entre la France et les Etats-Unis d’Amérique, ni les dispositions de la loi du 10 mars 1927 relative à l’extradition des étrangers n’imposent aux autorités de l’Etat requis un délai pour se prononcer sur une demande d’extradition ; que M. D. S. J. n’allègue pas que des circonstances de fait ou des éléments de droit nouveaux seraient apparus après que la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles eut émis un avis favorable sur la demande d’extradition présentée par les autorités des Etats-Unis d’Amérique ; qu’ainsi, il ne saurait utilement se prévaloir de ce que le décret attaqué accordant son extradition à ces autorités a été pris plus de trois ans après l’intervention de l’avis de la chambre d’accusation ;

Considérant qu’aux termes de l’article Ier de la convention du 6 janvier 1909 : "Le Gouvernement des Etats-Unis et le Gouvernement français s’engagent à se livrer réciproquement les individus qui, poursuivis ou condamnés pour l’un des crimes ou délits spécifiés à l’article suivant, commis dans la juridiction de l’un des Etats contractants, auront cherché un asile ou seront trouvés sur le territoire de l’autre..." ; qu’il ressort des pièces du dossier qu’après avoir été trouvé sur le territoire français, M. D. S. J. a été placé sous écrou extraditionnel le 7 janvier 1998, qu’il a pris connaissance, le même jour, du mandat d’arrêt pour l’exécution duquel son extradition était demandée et qu’il était présent, assisté d’un avocat, à l’audience tenue le 9 juillet 1998 par la chambre d’accusation de la cour d’appel de Versailles ; que, par suite, s’il ne se trouvait plus sur le territoire français à la date du décret attaqué, d’ailleurs en méconnaissance des obligations qui lui avaient été imposées dans le cadre du contrôle judiciaire prescrit par l’arrêt de la chambre d’accusation en date du 20 juin 2000 ordonnant sa mise en liberté, cette circonstance est sans influence sur la légalité dudit décret ;

Considérant qu’aux termes de l’article VI de la convention du 6 janvier 1909, dans sa rédaction issue de la convention du 12 février 1970 : "L’extradition ne sera pas accordée dans les cas suivants : ... 3. Lorsque la prescription de l’action ou de la peine est acquise selon la législation soit de l’Etat requérant, soit de l’Etat requis..." ; que, si M. D. S. J. se prévaut de ce que le mandat d’arrêt établi le 2 mai 1986 par un juge de la cour supérieure de l’Etat de Connecticut n’aurait pu avoir pour effet d’interrompre la prescription faute de comporter, sous la rubrique "mandat d’arrêt", la signature de ce juge, laquelle n’a été apposée que le 13 janvier 1998 avec effet rétroactif au 2 mai 1986, il n’appartient pas au Conseil d’Etat statuant au contentieux d’apprécier la régularité de l’acte d’une autorité judiciaire étrangère pour l’exécution duquel l’extradition a été sollicitée ; que les actes pris à la suite de ce mandat d’arrêt ont eu pour conséquence d’interrompre la prescription ; que, par suite, le moyen tiré d’une méconnaissance des stipulations de l’article VI de la convention du 6 janvier 1909 doit être écarté ;

Considérant que l’application de la peine de mort à une personne ayant fait l’objet d’une extradition accordée par le Gouvernement français serait contraire à l’ordre public français ; que, par suite, si l’un des faits fondant la demande d’extradition est puni de la peine de mort par la législation de l’Etat requérant, l’extradition ne peut être légalement accordée qu’à la condition que cet Etat donne des assurances suffisantes que la peine de mort encourue ne sera ni requise, ni prononcée, ni exécutée ; qu’il ressort des pièces du dossier que la demande d’extradition visant M. D. S. J. est fondée sur des faits qui ne sont pas passibles de la peine de mort selon la législation de l’Etat de Connecticut ; qu’au surplus, dans une déposition faite sous serment le 16 janvier 1998, le substitut du procureur de cet Etat a certifié que la peine de mort n’était pas applicable en l’espèce ; qu’ainsi, le requérant n’est pas fondé à soutenir que son extradition ne serait pas assortie de garanties suffisantes et serait, par suite, contraire à l’ordre public français ;

Considérant que, si le décret attaqué est susceptible de porter atteinte, au sens des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au droit du requérant au respect de sa vie familiale, cette mesure trouve, en principe, sa justification dans la nature même de la procédure d’extradition qui est de permettre, dans l’intérêt de l’ordre public et sous les conditions fixées par les dispositions qui la régissent, tant le jugement de personnes qui sont poursuivies à l’étranger pour des crimes et des délits commis hors de France que l’exécution, par ces personnes, des condamnations pénales prononcées contre elles à l’étranger pour de tels crimes ou délits ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. D. S. J. n’est pas fondé à demander l’annulation du décret du 27 novembre 2001 ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. D. S. J. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Antonio D. S. J. et au garde des sceaux, ministre de la justice.

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