Conseil d’Etat, 13 novembre 2002, n° 248310, Association Alliance pour les droits de la vie

Aux termes de l’article L. 2141-8 du code de la santé publique issu de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 : "La conception in vitro d’embryons humains à des fins d’étude, de recherche ou d’expérimentation est interdite. Toute expérimentation sur l’embryon est interdite.". Le moyen invoqué par l’association requérante et tiré de ce que le ministre de la recherche, qui ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions du projet de loi sur la bioéthique en cours d’examen au Parlement à la date à laquelle il a pris sa décision, a méconnu les dispositions législatives précitées, qui étaient les seules en vigueur à la date de l’autorisation délivrée, est de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 248310

ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE

Mme Le Bihan-Graf
Rapporteur

M. Chauvaux
Commissaire du gouvernement

Séance du 28 octobre 2002
Lecture du 13 novembre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 7ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 2 juillet 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE, dont le siège est BP 111 07 à Paris cedex 07 (75326) ; l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance en date du 18 juin 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, rejeté comme irrecevable sa requête tendant à la suspension de l’exécution, d’une part, de la décision en date du 30 avril 2002 par laquelle le ministre de la recherche a autorisé l’importation de deux lignées de cellules souches pluripotentes humaines d’origine embryonnaire à des fins scientifiques et, d’autre part, de la décision du même jour du ministre de la recherche autorisant le centre national de la recherche scientifique à procéder à des recherches sur les dites cellules d’embryons importées ;

2°) de faire droit à sa demande de suspension ;

3°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 2 300 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Le Bihan-Graf, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Boré, Xavier et Boré, avocat de l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE et de la SCP Ancel, Couturier-Heller, avocat du centre national de la recherche scientifique,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE se pourvoit en cassation contre l’ordonnance du 18 juin 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à ce que soit ordonnée la suspension de l’exécution de la décision en date du 30 avril 2002 par laquelle le ministre de la recherche a autorisé, sur le fondement des articles R. 673-21 à R. 673-24 du code de la santé publique, le laboratoire UPR 1983 du Centre national de la recherche scientifique à importer deux lignées de cellules souches pluripotentes humaines d’origine embryonnaire, les lignées FIES de caryotype XX et XY, à des fins scientifiques, en vue de procéder à des recherches sur les cellules d’embryons importées ;

Sur les fins de non-recevoir opposées à la requête par le ministre de la jeunesse de l’éducation nationale et de la recherche et par le Centre national de la recherche scientifique :

Considérant, en premier lieu, que la décision attaquée, qui autorise l’importation de deux lignées de cellules souches pluripotentes humaines d’origine embryonnaire en provenance d’Australie, subordonne cette autorisation à la réalisation d’un programme ultérieur de recherche portant notamment "sur la différenciation de ces cellules en cellules mésenchymateuses et la caractérisation de leur engagement dans un lignage donné" ; que, par suite, cette décision continue à produire des effets au-delà de l’entrée, le 26 juin 2002, des cellules souches importées sur le territoire douanier français ; que, dès lors, le pourvoi de l’association requérante, introduit après cette dernière date, n’était pas dépourvu d’objet ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE a, contrairement à ce que soutiennent les défendeurs, intérêt à se pourvoir en cassation contre une ordonnance du juge des référés rejetant une demande de suspension qu’elle avait formée devant lui ;

Considérant, en troisième lieu, que la circonstance que le président de l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE a présenté la requête au nom de cette dernière après avoir été habilité par le conseil d’administration, alors qu’en vertu des statuts de l’association, seule une délibération de l’assemblée générale pouvait l’autoriser à agir en justice, n’est pas, en raison de la nature même de l’action en référé qui ne peut être intentée qu’en cas d’urgence et ne permet, en vertu de l’article L. 511-1 du code de justice administrative, que de prendre des mesures présentant un caractère provisoire, de nature à rendre cette requête irrecevable ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que les fins de non-recevoir opposées au pourvoi de l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE et tirées de ce que la requête était dépourvue d’objet, de ce que l’association n’a pas intérêt à agir et de ce que son président ne peut valablement la représenter, doivent être écartées ;

Sur l’ordonnance attaquée :

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que les cellules souches qui ont fait l’objet de l’autorisation d’importation en vue de mener des travaux de recherche scientifique ont été obtenues par des prélèvements sur des embryons humains, provenant d’une fécondation in vitro, qui ont provoqué la destruction de ces derniers ; qu’alors même que cette opération a été effectuée en Australie antérieurement à la décision contestée, l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE, qui s’est notamment donnée pour objet de contribuer à "la défense de la vie et des droits qui sont attachés à toute vie humaine", justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l’autorisation délivrée par le ministre de la recherche ; qu’en déniant un tel intérêt à l’association, au motif que les cellules souches en culture ne peuvent être assimilées à un embryon, ni à une personne vivante, et en opposant d’office cette irrecevabilité, sans en informer l’association au cours de la procédure écrite ou de l’audience de référé, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a fait une inexacte application des règles relatives à la recevabilité des recours pour excès de pouvoir et méconnu les obligations qui lui incombaient en application des articles R. 611-7 et R. 522-9 du code de justice administrative ; que son ordonnance doit, pour ce double motif, être annulée ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

Sur les fins de non-recevoir opposées par le ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche et par le Centre national de la recherche scientifique à la demande de suspension formée par l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE :

Considérant, ainsi qu’il a été dit ci-dessus, que l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE justifie, en raison de son objet, d’un intérêt à agir contre une décision qui a pour effet d’autoriser des recherches sur des cellules embryonnaires importées et provenant d’une fécondation in vitro ; que le président de l’association pouvait valablement présenter la demande de suspension au nom de cette dernière sans avoir été autorisé à le faire par l’assemblée générale, comme l’exigent les statuts ;

Sur la demande de suspension :

Considérant qu’aux termes de l’article L.521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. Lorsque la suspension est prononcée, il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision dans les meilleurs délais. La suspension prend fin au plus tard lorsqu’il est statué sur la requête en annulation ou en réformation de la décision." ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 2141-8 du code de la santé publique issu de la loi n° 94-654 du 29 juillet 1994 : "La conception in vitro d’embryons humains à des fins d’étude, de recherche ou d’expérimentation est interdite. Toute expérimentation sur l’embryon est interdite." ; que le moyen invoqué par l’association requérante et tiré de ce que le ministre de la recherche, qui ne pouvait légalement se fonder sur les dispositions du projet de loi sur la bioéthique en cours d’examen au Parlement à la date à laquelle il a pris sa décision, a méconnu les dispositions législatives précitées, qui étaient les seules en vigueur à la date de l’autorisation délivrée, est de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ;

Considérant que la condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé d’une mesure de suspension doit être regardée comme remplie lorsque la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il prétend défendre ; que l’urgence s’apprécie objectivement et compte tenu de l’ensemble des circonstances de chaque espèce ;

Considérant que compte tenu tant de l’atteinte grave et immédiate que la décision ministérielle du 30 avril 2002 porte aux intérêts défendus par l’association que de l’intérêt public par lequel le législateur a justifié la prohibition énoncée à l’article L. 2141-8 du code de la santé publique, la condition d’urgence posée à l’article L. 521-1 du code de justice administrative est remplie ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE est fondée à demander la suspension de l’exécution de la décision du 30 avril 2002 du ministre de la recherche autorisant le Centre national de la recherche scientifique à importer d’Australie deux lignées de cellules souches pluripotentes humaines d’origine embryonnaire et à effectuer des recherches sur lesdites lignées ; qu’il y a lieu d’ordonner cette suspension jusqu’à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de la présente décision, qui doit permettre au tribunal administratif de Paris, saisi d’une demande d’annulation de la décision contestée, d’instruire et de juger cette demande ;

Sur les conclusions de l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE tendant au remboursement des frais exposés et non compris dans les dépens :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE la somme de 2 300 euros qu’elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris en date du 18 juin 2002 est annulée.

Article 2 : L’exécution de la décision du 30 avril 2002 du ministre de la recherche autorisant le Centre national de la recherche scientifique à importer deux lignées de cellules souches pluripotentes humaines d’origine embryonnaire et à procéder à des recherches sur ces cellules est suspendue jusqu’au 13 mars 2003.

Article 3 : L’Etat est condamné à verser à l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE une somme de 2 300 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l’ASSOCIATION ALLIANCE POUR LES DROITS DE LA VIE, au Centre national de la recherche scientifique et au ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1385