Conseil d’Etat, 28 octobre 2002, n° 206266, M. Michel A.

La Cour a fait une exacte qualification des faits en estimant que la responsabilité de l’administration pour les erreurs commises dans le cadre des sanctions pour manoeuvres frauduleuses ne pouvait être engagée que sur le terrain de faure lourde dès que, et eu égard aux dissimulations commises, la situation du contribuable comportait des difficultés particulières.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 206266

M. A.

M. Mahé
Rapporteur

M. Vallée
Commissaire du gouvernement

Séance du 9 octobre 2002
Lecture du 28 octobre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux,

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 1er avril et 26 juillet 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Michel A. ; M. A. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 28 janvier 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Nancy a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 15 février 1994 du tribunal administratif de Nancy rejetant sa demande tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser une somme de 5 200 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des fautes qu’aurait commises l’administration dans la détermination de l’assiette et dans le recouvrement des impositions auxquelles il a été assujetti ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 5 200 000 F à titre de dommages et intérêts ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mahé, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Piwnica, Molinié, avocat de M. A.,
- les conclusions de M. Vallée, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A. a jusqu’au 31 décembre 1978 dirigé une entreprise individuelle de scierie et d’exploitation forestière, dont il a ensuite loué le fonds à la S.A.R.L. "Exploitation forestière Michel Antoine", dont il était le gérant majoritaire ; qu’à raison de cette activité, il a fait l’objet en 1981 d’une vérification de comptabilité portant sur les années 1977 à 1980 pour l’impôt sur le revenu et sur la période du ter janvier 1977 au 31 décembre 1978 pour la taxe sur la valeur ajoutée ; qu’à la suite de ce contrôle, l’administration, constatant le caractère incomplet de la comptabilité de M. A. pour l’année 1977, a établi, au titre de cette année, des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu selon la procédure de rectification d’office, s’élevant à 115 164 F et assorties de 57 582 F de pénalités ; que, s’agissant de l’année 1978, eu égard d’une part à l’absence de déclaration de revenus du contribuable et, d’autre part, au refus de M. A., constaté par procès-verbal en date du 12 mars 1982, de produire sa comptabilité pour cette année, le montant des impositions dues a été établi selon des procédures d’office, à partir des relevés bancaires de l’intéressé ainsi que de documents comptables occultes saisis en juillet 1980 par le service régional de la police judiciaire dans les locaux de l’entreprise et comprenant un compte d’exploitation couvrant la période du 1er janvier au 31 octobre 1978, un état des marchandises en stock au 28 décembre 1978 et un état des ventes de décembre 1978 ; que les sommes mises en recouvrement les 11 et 12 août 1982 pour l’année 1978 se sont élevées à 3 018 010 F en ce qui concerne l’impôt sur le revenu et à 2 009 868 F en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, compte tenu de l’application des pénalités prévues pour manoeuvres frauduleuses, aux taux alors en vigueur de 150 et 300 % ; que toutefois, M. A. ayant présenté à l’administration une comptabilité reconstituée à l’appui de la réclamation contentieuse qu’il a introduite en janvier 1983, le montant des droits et pénalités a été, par décision du 26 avril 1983, ramené à 74 526 F pour l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 1997, 1 668 968 F pour l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 1978 et 50 640 F pour la taxe sur la valeur ajoutée due au titre de l’année 1978, ces dégrèvements s’expliquant en partie par les justificatifs apportés par le contribuable et en partie par la substitution aux pénalités pour manoeuvres frauduleuses de la majoration pour mauvaise foi au taux de 60 % en ce qui concerne la taxe sur la valeur ajoutée, et de la pénalité pour défaut de déclaration au taux de 100 % en ce qui concerne l’impôt sur le revenu dû au titre de l’année 1978 ; que, saisi par M. A., le tribunal administratif de Nancy a constaté qu’une vente de bois de 205 410 F avait été rattachée à tort à l’exercice 1978, au lieu de l’exercice 1977, et prononcé en conséquence une décharge supplémentaire d’un montant de 249 630 F en droits et pénalités ; qu’enfin, l’administration ayant le 6 mars 1991 accordé au contribuable de nouveaux dégrèvements d’un montant de 1 048 259 F pour l’impôt sur le revenu et de 50 640 F pour la taxe sur la valeur ajoutée, celui-ci s’est désisté de l’appel qu’il avait interjeté devant la cour administrative d’appel de Nancy ; qu’estimant que l’administration avait à tort établi des droits et pénalités qu’elle a ensuite abandonnés à hauteur de 91 % et qu’elle avait, aussi bien dans l’établissement de ces impositions que dans leur recouvrement, commis des fautes de nature à engager sa responsabilité, M. A. a, le 9 juillet 1991, demandé au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie de lui allouer une indemnité de 5 200 000 F ; que n’ayant pas obtenu satisfaction, M. A., dont la société avait été déclarée en redressement judiciaire le 24 janvier 1992, a porté le litige devant le tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Nancy qui, par des décisions en date du 15 février 1994 et du 28 janvier 1999, ont successivement rejeté ses prétentions ;

Sur l’action des services d’assiette :

Considérant que c’est par une exacte qualification des faits que, compte tenu des circonstances de l’espèce, qu’elle a rappelées, et eu égard aux dissimulations commises par M. A., la cour administrative d’appel a estimé que l’appréciation de la situation du contribuable comportait des difficultés particulières justifiant que la responsabilité de l’Etat ne soit engagée que sur le terrain de la faute lourde à raison des erreurs qui auraient pu être commises par l’administration fiscale dans l’application au contribuable des sanctions pour manoeuvres frauduleuses ; que la cour n’a pas non plus commis d’erreur dans la qualification juridique des faits en jugeant qu’à supposer même que le comportement de M. A. n’ait pas été de nature à justifier les pénalités pour manoeuvres frauduleuses qui lui ont été appliquées en septembre 1982 et ont été abandonnées dès le 26 avril 1983, l’erreur d’appréciation ainsi commise par l’administration n’était pas constitutive d’une faute lourde des services d’assiette ;

Sur l’action des services de recouvrement :

Considérant qu’il ressort des pièces soumises au juge du fond que l’hypothèque inscrite le 6 septembre 1982 pour un montant global de 2 028 575 F par le receveur général des impôts de Vittel en vue de garantir le recouvrement de la somme de 2 009 868 F due par le contribuable au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi que de diverses autres impositions mises en recouvrement le 5 avril 1978 a fait l’objet en juillet 1983, à la suite du dégrèvement prononcé le 26 avril de la même année, d’une mainlevée partielle destinée à ramener le montant de la garantie à hauteur de la somme de 50 640 F restant due, la mainlevée et la radiation totales ayant été accordées respectivement le 27 décembre 1991 et le 10 janvier 1992, après constatation de l’extinction totale des dettes fiscales du requérant ; que la cour administrative d’appel ne s’est donc pas fondée sur des faits matériellement inexacts en écartant les allégations de M. A. selon lesquelles l’administration aurait, en dépit de la décision de dégrèvement survenue le 26 avril 1983, maintenu jusqu’au 3 septembre 1992 les hypothèques destinées à garantir le recouvrement des sommes dues au titre de la taxe sur la valeur ajoutée ; que si l’extrait hypothécaire produit par le requérant indique, conformément aux dispositions du troisième alinéa de l’article 2154 du code civil, que l’hypothèque en cause, inscrite le 6 septembre 1982, aurait pour date extrême d’effet le 3 septembre 1992, M. A. ne saurait s’appuyer sur cette mention pour soutenir que la cour aurait dénaturé les pièces du dossier et retenu des faits inexacts en constatant que l’hypothèque avait fait l’objet de radiations, non pas le 3 septembre 1992, mais le 21 juillet 1983 puis le 10 janvier 1992 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. A. n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, qui est suffisamment motivé ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A. est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Michel A. et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

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