Conseil d’Etat, 9 octobre 2002, n° 240166, Elections municipales de Nice (Alpes-Maritimes)

La commission de contrôle des comptes de campagne est une autorité administrative et non une juridiction. La position qu’elle adopte lors de l’examen des comptes de campagne d’un candidat ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’élection, saisi de protestations contre l’élection d’un candidat, examine un grief tiré de l’absence, dans son compte de campagne, de dépenses exposées en vue de l’élection contestée.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 240166

Elections municipales de Nice (Alpes-Maritimes)
M. KNECHT

Mme Ducarouge
Rapporteur

M. Guyomar
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 septembre 2002
Lecture du 9 octobre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 16 novembre 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Jean-François KNECHT ; M. KNECHT demande que le Conseil d’Etat :

1°) annule le jugement du 16 octobre 2001 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa protestation contre les opérations électorales qui se sont déroulées les 11 et 18 mars 2001 dans la commune de Nice ;

2°) constate le dépassement du plafond des dépenses électorales autorisé annule ces opérations électorales ;

3°) prononce l’inéligibilité de la tête de liste, M. Jacques Peyrat, pour un an ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la note en délibéré présentée le 23 septembre 2000 par M. KNECHT ;

Vu le code électoral ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ducarouge, Conseiller d’Etat,
- les conclusions de M. Guyomar, Commissaire du gouvernement ;

Sur l’intervention de la ville de Nice :

Considérant que la ville de Nice, pour prétendre qu’elle a un intérêt propre à agir au soutien de M. Peyrat, maire sortant dont la liste a remporté les élections municipales de Nice, se borne à soutenir que le tribunal administratif, saisi par M. KNECHT d’une protestation dirigée contre ces élections, a partiellement accueilli un grief, invoqué par le protestataire, qui la mettrait indirectement en cause ; qu’elle ne justifie pas ainsi d’un intérêt propre au rejet de l’appel formé par M. KNECHT, lequel doit s’apprécier par rapport aux conclusions de la requête, et non par rapport aux moyens soulevés ; que par suite l’intervention de la ville de Nice ne peut être admise ;

Sur les conclusions de la requête de M. KNECHT :

En ce qui concerne le grief tiré de la rupture de l’égalité entre candidats :

Considérant que si M. KNECHT soutient que la liste de M. Peyrat a bénéficié d’avantages, et notamment de la possibilité de louer le salon dit des Muses, d’utiliser le site Internet de la ville et d’acheter des clichés appartenant à la ville de Nice, dans des conditions ayant entraîné une rupture d’égalité entre les candidats, et susceptibles d’avoir altéré la sincérité du scrutin, ce grief, distinct de ceux tirés des pressions exercées sur des électeurs, de l’interdiction des campagnes de promotion publicitaire en violation de l’article L. 52-1 du code électoral, du dépassement du plafond des dépenses autorisées en méconnaissance de l’article L. 52-4 et des dons irréguliers consentis par des personnes morales en méconnaissance de l’article L. 52-8, seuls soulevés dans la requête introductive d’instance devant les premiers juges, n’a été formulé qu’après l’expiration du délai de cinq jours imparti par l’article R. 119 du code électoral ; qu’il a été à bon droit écarté comme irrecevable par le tribunal administratif ; que le requérant n’est pas recevable à l’invoquer à nouveau en appel ;

En ce qui concerne le grief tiré de la violation de l’article L. 52-1 deuxième alinéa du code électoral :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 52-1 alinéa 2 du code électoral : "A compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales, aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d’une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin" ;

Considérant qu’ainsi que l’ont estimé à bon droit les premiers juges, les articles contenus dans le bulletin de février 2001 de "Nice Magazine" ne présentaient pas, par leur contenu, le caractère de campagne de promotion publicitaire au sens des dispositions précitées du code électoral ;

En ce qui concerne le grief tiré du dépassement du plafond des dépenses électorales :

Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 52-8 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 : "Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués" ; qu’aux termes de l’article L. 52-11 du même code, "pour les élections auxquelles l’article L. 52-4 est applicable, il est institué un plafond des dépenses électorales..." ; que la période retenue pour la prise en compte des dépenses de campagne est définie par l’article L. 52-4 du code électoral comme l’année qui précède le premier jour du mois d’une élection et se termine à la date du tour du scrutin où l’élection a été acquise ;

Considérant que le compte de campagne de M. Peyrat a été déposé, conformément aux prescriptions du 2° alinéa de l’article L. 52-12 du code électoral, dans le délai de deux mois suivant le tour de scrutin à l’issue duquel il a été déclaré élu ; que par une décision en date du 11 juillet 2001, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques a, après réformation, approuvé le compte de l’intéressé qui s’établissait, en dépenses, à 2 103 708 F, alors que le plafond était fixé à 2 392 632 F ;

Considérant que la commission susmentionnée est une autorité administrative et non une juridiction ; que la position qu’elle adopte lors de l’examen des comptes de campagne d’un candidat ne fait pas obstacle à ce que le juge de l’élection , saisi de protestations contre l’élection d’un candidat, examine un grief tiré de l’absence, dans son compte de campagne, de dépenses exposées en vue de l’élection contestée ;

Considérant, en premier lieu, qu’il ne résulte pas de l’instruction que la page du site Internet de la ville de Nice consacrée à la présentation du maire, sur un total de plusieurs milliers de pages, puisse être regardée comme une campagne de promotion publicitaire au sens de l’article L. 52-1, ni que ce site ait été utilisé par M. Peyrat pour les besoins de sa campagne électorale et constituerait ainsi un avantage indirect au sens des dispositions précitées de l’article L. 52-8 du code électoral ; que c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que les dépenses correspondantes n’avaient, dès lors, pas à figurer dans les dépenses du compte de campagne de M. Peyrat ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’il résulte de l’instruction que M. Peyrat a utilisé, pour sa campagne électorale, des clichés photographiques appartenant à la ville de Nice, qu’il a payés à la ville au prix unitaire de 500 F et dont il a fait figurer la dépense dans son compte de campagne ; que la production par M. Jean-François KNECHT de devis émanant d’une entreprise privée ne suffit pas à établir, en l’espèce, que le coût de ces clichés serait en réalité supérieur au prix payé par le candidat, tel qu’il figure dans les dépenses de son compte de campagne ;

Considérant, en troisième lieu, que ni la présentation dans le n° 50 de la revue "Sud Magazine" de l’extension du Palais des Congrès sous la forme d’un bref entretien avec le maire accompagné de photos, ni le compte rendu du début de campagne de plusieurs candidats dans le n° 51 de la même revue, ne conféraient à ces numéros le caractère d’un document électoral ; que ni la page 3 du numéro de février 2001 de Nice-Magazine, qui se borne à relater la réunion du conseil municipal du 9 février 2001, ni les pages 6 et 7 du même magazine, qui présentent le programme de 114 actions à réaliser pour améliorer la qualité de vie et protéger les richesses de l’environnement niçois en coopération entre l’Etat et la ville d’ici 2005, et détaillent les mesures anti-bruit prises aux abords de l’aéroport de Nice ou évaluent la qualité de l’air dans la région Provence Côte d’Azur, ne peuvent être regardées comme un document de propagande électorale de la liste conduite par M. Peyrat ; que c’est par suite à bon droit que les premiers juges ont estimé que ces articles ne présentaient pas le caractère d’un avantage offert par des personnes morales et n’avaient pas à figurer dans les dépenses du compte de campagne de M. Peyrat ;

Considérant, en quatrième lieu, que l’entretien accordé par M. Peyrat dans le bulletin d’information de l’association sportive du bâtiment et des travaux publics, ne présente pas un caractère de propagande électorale au sens des dispositions de l’article L. 52-1 1er alinéa du code électoral ; que c’est donc à tort que son coût a été réintégré par les premiers juges dans le compte de campagne de M. Peyrat à hauteur de 2 207 F TTC ;

Considérant, en cinquième lieu, que M. KNECHT, qui produit un barème tarifaire daté de 1999, faisant ressortir un prix de location du salon des Muses du Palais des Congrès allant de 13 990 F à 46 800 F toutes taxes comprises suivant la durée d’utilisation et la surface du salon utilisée, n’établit pas que le prix de 12 002,90 F hors taxes, soit 14 355 F toutes taxes comprises, acquitté par le mandataire de M. Peyrat pour la location du salon des Muses, pour les besoins de sa campagne, le 7 mars 2001, aurait été inférieur aux prix habituellement pratiqués, ni que les dépenses portées au compte de campagne de la liste conduite par M. Peyrat pour un montant de 74 657,79 F en contrepartie de la disposition de ce salon le 7 mars et de toutes les prestations annexes, notamment la location d’un vidéo-projecteur et le salaire d’un technicien vidéo-projectionniste pour un forfait de 10 heures, auraient été sous-évaluées ;

Considérant, en sixième lieu, qu’il résulte de l’instruction que la ville de Nice a eu recours aux conseils juridiques de la société civile professionnelle d’avocats Deporcq-Schmidt afin de déterminer les conditions dans lesquelles elle pouvait, sans enfreindre les dispositions du code électoral, poursuivre sa communication institutionnelle pendant la période préélectorale ; que si les honoraires d’avocat ne peuvent être regardés comme, par nature, exclus des dépenses de campagne, au sens de l’article L. 52-4 du code électoral, la circonstance que des consultations juridiques, demandées et prises en charge par une collectivité locale dans le souci d’assurer le fonctionnement normal de ses différents services en période préélectorale, et notamment de déterminer les conditions dans lesquelles elle pouvait poursuivre sa communication institutionnelle pendant cette période, auraient pour certaines d’entre elles présenté une utilité pour des candidats, maire ou conseillers municipaux sortants, dans la conduite de leur campagne électorale, ne permet pas à elle seule de les regarder comme constituant en tout ou en partie des dépenses de campagne ; que dans les circonstances de l’espèce, tant les consultations ayant fait l’objet de factures à l’acte dans la période allant jusqu’à fin mars 2000 que les consultations juridiques sur la communication institutionnelle pendant la période préélectorale effectuées dans le cadre d’une convention forfaitaire conclue entre la ville et la société civile professionnelle Deporcq-Schmidt le 10 mars 2000 pour un montant maximal de 300 000 F, ne peuvent, nonobstant la circonstance qu’elles auraient présenté une utilité pour M. Peyrat et les membres de sa liste, dans le cadre de leur campagne électorale, être regardées comme ayant revêtu le caractère de dépenses engagées en vue de l’élection de ces candidats ; que, d’ailleurs, M. Peyrat avait conclu dans le cadre de cette campagne en novembre 2000 une convention avec le même cabinet d’avocats pour un montant de 59 800 F TTC, somme qu’il a incluse dans ses dépenses de campagne, et dont il n’est ni établi qu’elle n’aurait pas couvert la totalité des dépenses de cette nature nécessitées par sa campagne, ni allégué qu’elle aurait été sous-évaluée ; que par suite M. Peyrat est fondé à soutenir que c’est à tort que les premiers juges ont considéré les honoraires des consultations juridiques effectuées par la ville de Nice auprès de la société civile professionnelle Deporcq-Schmidt comme correspondant pour partie à des dépenses de campagne, et ont réintégré pour moitié, soit 150 000 F, dans le compte de campagne de M. Peyrat, les dépenses afférentes à la convention passée le 10 mars 2000 entre la société civile professionnelle Deporcq-Schmidt et la ville de Nice ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le compte de campagne de la liste conduite par M. PEYRAT, porté à la somme de 2 255 915 F par les premiers juges, doit être arrêté à la somme de 2 103 708 F ; que le plafond des dépenses autorisées s’élève à la somme de 2 392 632 F ; que, par suite le grief tiré du dépassement du plafond des dépenses autorisées ne peut qu’être rejeté ;

En ce qui concerne le grief tiré de la méconnaissance de l’article L 52-8 du code électoral :

Considérant qu’aux termes du second alinéa de l’article L. 52-8 du code électoral, dans sa rédaction issue de la loi n° 95-65 du 19 janvier 1995 : "Les personnes morales, à l’exception des partis ou groupements politiques, ne peuvent participer au financement de la campagne électorale d’un candidat ni en lui consentant des dons sous quelque forme que ce soit, ni en lui fournissant des biens, services ou autres avantages directs ou indirects à des prix inférieurs à ceux qui sont habituellement pratiqués" ;

Considérant que si certaines des consultations du cabinet d’avocats mandaté par la ville de Nice pour examiner dans quelles conditions pouvait se poursuivre sa communication institutionnelle, ont pu se révéler utiles à M. Peyrat, maire sortant, elles ne peuvent être regardées, comme il a été dit ci-dessus, comme engagées en vue de l’élection de ce candidat ; qu’elles ne présentent pas, par suite, le caractère d’avantage direct ou indirect au sens des dispositions précitées de l’article L. 52-8 du code électoral ; que, dès lors, M. KNECHT n’est pas fondé à soutenir qu’elles constitueraient un don prohibé par les dispositions citées ci-dessus ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. KNECHT n’est pas fondé à soutenir que c’est à tort que le tribunal administratif de Nice a rejeté sa protestation ;

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative et de condamner M. KNECHT à payer à M. Peyrat la somme que celui-ci demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de la ville de Nice n’est pas admise.

Article 2 : La requête de M. KNECHT est rejetée.

Article 3 : Les conclusions de M. Peyrat tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Jean-François KNECHT, à M. Peyrat, à la ville de Nice, à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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