Conseil d’Etat, 14 octobre 2002, n° 243938, M. Mustafa Y.

Selon les dispositions des articles 22 bis et 27 ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945, lorsqu’un arrêté de reconduite à la frontière n’a fait l’objet d’aucune contestation ou que cette contestation a été rejetée dans une précédente instance sans qu’aient été tranchés à cette occasion les litiges relatifs à la décision distincte fixant le pays vers lequel l’étranger doit être reconduit, ces litiges relèvent non de la procédure particulière applicable au contentieux de la reconduite à la frontière, mais des procédures de droit commun.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 243938

M. Y.

M. Mahé
Rapporteur

M. Goulard
Commissaire du gouvernement

Séance du 30 septembre 2002
Lecture du 14 octobre 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 9ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 11 et 25 mars 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Mustafa Y. ; M. Y. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 24 janvier 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté, en application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, sa demande tendant à la suspension de l’exécution de la décision du 17 janvier 2001 du préfet de la Moselle décidant sa reconduite à la frontière et de la décision fixant la Turquie comme pays de destination ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aw conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Mahé, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Delvolvé, avocat de M. Y.,
- les conclusions de M. Goulard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision" ;

Considérant qu’il résulte des dispositions des articles 22 bis et 27 ter de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France que, lorsqu’un arrêté de reconduite à la frontière n’a fait l’objet d’aucune contestation ou que cette contestation a été rejetée dans une précédente instance sans qu’aient été tranchés à cette occasion les litiges relatifs à la décision distincte fixant le pays vers lequel l’étranger doit être reconduit, ces litiges relèvent non de la procédure particulière applicable au contentieux de la reconduite à la frontière, mais des procédures de droit commun ; que l’intéressé peut donc, dans ce cas, demander la suspension de la décision fixant son pays de destination dans les conditions prévues à l’article L. 521-1 précité ; que, par suite, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a commis une erreur de droit en écartant comme manifestement irrecevable la demande dont le saisissait M. Y. au motif que la décision, distincte, fixant le pays de destination d’un étranger reconduit à la frontière ne peut être contestée que dans le cadre de la procédure de recours à caractère suspensif organisée par l’article 22 bis de l’ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 ; que M. Y. est ainsi fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de statuer sur la demande en référé de M. Y. en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, d’une part, qu’eu égard aux risques que M. Y. allègue courir en cas de retour dans son pays d’origine et aux conséquences de ce retour sur sa situation particulière, il y a lieu de regarder comme remplie la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 précité ;

Considérant, d’autre part, que le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision distincte fixant la Turquie comme pays de destination de M. Y. est de nature à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux sur la légalité de cette décision ; qu’il y a lieu de suspendre son exécution en application de l’article L. 521-1 précité ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d’une part, que M. Y., pour le compte de qui les conclusions de la requête relatives à l’application de l’article L.761-1 du code de justice administrative doivent être réputées présentées, n’allègue pas avoir exposé de, frais autres que ceux pris en charge par l’Etat au titre de l’aide juridictionnelle totale qui lui a été allouée ; que d’autre part, l’avocat de M. Y. n’a pas demandé la condamnation de l’Etat à lui verser la somme correspondant aux frais exposés qu’il aurait réclamés à son client si ce dernier n’avait bénéficié de l’aide juridictionnelle totale ; que, dans ces conditions, les conclusions tendant à la condamnation de l’Etat au versement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent être accueillies ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du 24 janvier 2002 du juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg est annulée.

Article 2 : L’exécution de la décision du 17 janvier 2001 fixant la Turquie comme pays de destination de M. Y. est suspendue.

Article 3 : Les conclusions de M. Y. tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Mustafa Y., au préfet de la Moselle et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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