Libres propos : Le PEA et ses conséquences vis-à-vis du droit européen

Par Arnaud FOURNIER
DEA Droit de l’Union Européenne (Paris II - Assas), DEA Droit Public des Affaires (Paris X - Nanterre)

"Le PEA pourra être à 100 % européen le 1er. janvier 2002". Selon la Tribune, "Avec cette décision, le ministère de l’Economie répond à une requête ancienne des porteurs, tout en limitant le risque de fuite des capitaux du marché français". Qu’il nous soit permis de penser que le droit communautaire y est aussi (et surtout ?) pour quelque chose.

"La vraie faute est celle qu’on ne corrige pas"
CONFUCIUS

La première page du quotidien La Tribune du 7 et 8 septembre 2001 titrait : "Le PEA pourra être à 100 % européen le 1er. janvier 2002". Selon le quotidien : "Avec cette décision, le ministère de l’Economie répond à une requête ancienne des porteurs, tout en limitant le risque de fuite des capitaux du marché français".

Qu’il nous soit permis de penser que le droit communautaire y est aussi (et surtout ?) pour quelque chose. Il n’y est fait nulle part mention et cela est, à mon sens, regrettable.

L’on sait qu’en matière de fiscalité et d’impôts directs, la compétence des Etats membres est et demeure (pour l’instant) entière. Cependant et malgré cette grande souveraineté, ceux-ci ne peuvent s’affranchir du respect du droit communautaire et plus particulièrement du respect du principe de la libre circulation des capitaux.

I. La loi française relative au PEA contraire au principe de libre circulation des capitaux

Selon la loi n°92-666 du 16 juillet relative au plan d’épargne en actions, le bénéfice de l’exonération fiscale est réservé aux seuls détenteurs de titres dont les émetteurs ont leur siège en France et qui sont soumis à l’impôts sur les sociétés.

Encore aujourd’hui, il est impossible d’intégrer à son PEA un titre émis par une société étrangère, fusse-t-elle établie statutairement sur le sol d’un des Etats membres (Sous réserve de l’exception instituée par la loi de finance rectificative du 30 décembre 1999 concernant les titres des sociétés communautaires issus d’une OPE ou d’une OPA impliquant une société française)

Or, tout d’abord la perception de plus-values procurées par des titres relève bien de la notion de mouvement de capitaux. Pour s’en convaincre il suffit de lire l’annexe I de la directive 88/361/CEE du Conseil en date du 24 juin 1988 (JOCE n°L178 du 8 juillet 1988, pages 5 à 18) qui précise que parmi les mouvement de capitaux figure notamment l’acquisition par des résidents de titres étrangers négociés en bourse. A ce stade, il est "évident" que la perception de plus-values présuppose l’acquisition de titres.

Ensuite, l’article 1er. de cette directive dispose que "Les Etats membres suppriment les restrictions aux mouvements de capitaux intervenant entre les personnes résidant dans les Etats membres (...)"

Enfin, l’article 56 CE, on le sait, interdit "(...) toutes les restrictions aux mouvement de capitaux entre les Etats membres (...)".

L’on aurait donc pu prévoir que par son arrêt B.G.M. Verkooijen (CJCE, 06.06.2000, C-35/98, Rec.page I-4071), la Cour ait à décider qu’une loi néerlandaise relative à l’impôt sur le revenu ne puisse pas être conforme au droit communautaire en ce qu’elle subordonne l’octroi d’un avantage fiscal en matière d’impôt sur le revenu, tel que l’exonération des dividendes, à la condition que ceux-ci proviennent de titres émis par des sociétés établies sur le territoire national.

Cela fait donc plus d’un an que la loi sur le PEA qui établit une discrimination entre les titres émis par une société française et ceux émis par une société dont le siège social est situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne est contraire au droit communautaire. En effet, elle a nécessairement pour effet de dissuader les contribuables français d’investir leurs capitaux dans des sociétés ayant leur siège dans un autre Etat membre. De plus, cette loi (depuis 1992) produit un effet restrictif à l’égard des sociétés établies dans d’autres Etats membres. Dans la mesure où pour des investisseurs français, leurs titres sont fiscalement moins attrayant que ceux des sociétés françaises, elles auront plus de mal à trouver des investisseurs en France.

C’est semble-t-il le but recherché, à l’époque.

On peut lire dans les débats parlementaire que cette loi "(…) vise (…) à améliorer les conditions de financement de nos entreprises". (Intervention de M. Sapin, Ministre de l’économie er. des finances, Débats Assemblée Nationale, 2e séance, 3 juin 1992, page 1886). D’autres intervenants ont confirmé ce point de vue (M. Douyère, même référence, page 1890 et M. Thiémé, page 1893).

Il ne fait aucun doute que depuis 1 an, la loi relative au PEA n’était plus conforme au droit communautaire puisque aucune exemption ne lui permettait de s’affranchir du respect du principe de libre circulation des capitaux.

II. Justification de la discrimination ?

La loi relative au PEA pouvait-elle bénéficier de l’exception prévue par l’article 58 § 1 sous a) CE ?

Selon cet article, les Etats membres ont la possibilité d’appliquer différemment les dispositions pertinentes de leur législation fiscale aux contribuables qui ne se trouvent pas dans la même situation en ce qui concerne leur résidence ou le lieux où leurs capitaux sont investis. Ceci n’est possible qu’à la condition que cette disposition ne permette pas de "(…) constituer (…) un moyen de discrimination arbitraire (…)" ou " (…) une restriction déguisée à la libre circulation des capitaux et des paiements telle que définie à l’article 56." (Article 58 § 3 CE)

Malheureusement selon la CJCE, la législation fiscale d’un Etat membre établissant une distinction entre les contribuables en fonction de leur résidence ou du lieu où leurs capitaux sont investis, est compatible avec le droit communautaire si et seulement si elle peut se justifier par des raisons impérieuses d’intérêt général (CJCE, 28.01.1992, Bachmann, C-204/90, Rec. page I- 0249)

Mais il est de jurisprudence constante, qu’un objectif de nature purement économique ne peut constituer une raison impérieuse d’intérêt général de nature à justifier une restriction à une liberté fondamentale garantie par le traité CE (CJCE, 28.04.1998, Decker, C-120/95, Rec. page I-1831)

III. Conclusion

Il serait donc plus juste de dire que l’évolution dont fait l’objet actuellement le PEA est dû à un certain nombre de facteurs parmi lesquels il faut faire une grande place au droit communautaire. Le quotidien La Tribune avait, du reste, déjà soulevé le problème dans ses colonnes (Le PEA Hors la loi ?, 24 août 2000, La Tribune des marchés, page I)

Il ne s’agit pas d’une réforme "progressive" mais tout simplement de l’alignement d’une loi française sur le principe communautaire de la liberté de circulation des capitaux.

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Citation : Arnaud FOURNIER, Libres propos : Le PEA et ses conséquences vis-à-vis du droit européen, 27 octobre 2001, http://www.rajf.org/spip.php?article126

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