Cour administrative d’appel de Paris, 7 août 2002, n° 02PA01634, Commune de Deuil-la-Barre

Si, en vertu des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, le maire d’une commune détient des pouvoirs de police générale en vue d’assurer la tranquillité et la sécurité des habitants de sa commune, et si ces pouvoirs lui permettent, sous certaines conditions, d’intervenir dans des domaines où il existe des pouvoirs de police spéciale, il n’a toutefois pas compétence pour réglementer des activités qui rélèvent par nature de la compétence exclusive d’une autorité investie explicitement d’un pouvoir de police spéciale, même si l’intervention du maire est fondée sur le souci de préserver un droit garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, notamment, ses articles 8 et 13.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

N° 02PA01634

COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE

Mme LEFOULON
Président

Mme GIRAUDON
Rapporteur

Mme MASSIAS
Commissaire du Gouvernement

Séance du 4 juillet 2002

Lecture du 7 août 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

(1ère chambre A)

VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 7 mai 2002, présentée pour la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE représentée par son maire en exercice, par Me LEPAGE, avocat ; la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE demande à la cour :

1°) d’annuler le jugement n° 0104349-0104929-0105242 en date du 26 février 2002 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, à la demande du préfet du Val-d’Oise, l’arrêté en date du 31 mai 2001 par lequel le maire de la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE a interdit, tous les jours de 22 heures à 6 heures, le survol du territoire de la commune par des aéronefs dépassant le seuil au delà duquel il est reconnu qu’il y a nuisance dans les logements, soit 45 décibels ;

2°) de rejeter le déféré présenté par le préfet du Val-d’Oise devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise ;

3°) de condamner le préfet du Val-d’Oise à lui verser la somme de 2.300 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

VU les autres pièces du dossier ;

VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

VU le code de l’aviation civile ;

VU le code général des collectivités territoriales ;

VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

VU le code de justice administrative et notamment son article R.611-8 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 juillet 2002 :
- le rapport de Mme GIRAUDON, premier conseiller,
- les observations de la SCP HUGLO, LEPAGE et Associés, avocat, pour la COMMUNE DE DEUIL-LA-BARRE,
- les conclusions de Mme MASSIAS, commissaire du Gouvernement ;
- et connaissance prise de la note en délibéré présentée le 5 juillet 2002 pour la COMMUNE DE DEUIL-LA-BARRE ;

Considérant que, par un arrêté en date du 31 mai 2001, le maire de la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE a interdit le survol du territoire de la commune par des aéronefs dépassant le seuil au delà duquel il est reconnu qu’il y a nuisance dans les logements, soit 45 décibels, tous les jours de 22 heures à 6 heures ; qu’à la demande du préfet du Val-d’Oise, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, par le jugement attaqué, a annulé cet arrêté pour le motif que le maire n’avait pas compétence pour édicter une telle mesure ;

Considérant qu’aux termes de l’article L.2212-1 du code général des collectivités territoriales : "Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l’Etat dans le département, de la police municipale ..." ; qu’aux termes de l’article L.2212-2 dudit code : "La police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend, notamment : ... 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d’ameutements dans les rues, le tumulte excité dans les lieux d’assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ..." ; qu’aux termes de l’article L.131-1 du code de l’aviation civile : "Les aéronefs peuvent circuler librement au dessus des territoires français ..." ; qu’aux termes de l’article L.131-3 du même code : "Le survol de certaines zones du territoire français peut être interdit pour des raisons d’ordre militaire ou de sécurité publique ..." ; que l’article R.131-4 précise : "Les mesures d’interdiction de survol prévues au premier alinéa de l’article L.131-3 sont prises par arrêté du ministre chargé de l’aviation civile et, lorsque des raisons d’ordre militaire sont invoquées, par arrêté conjoint du ministre chargé de l’aviation civile et du ministre chargé de la défense. Toutefois, lorsqu’elles présentent un caractère urgent et qu’en outre la zone interdite ne dépasse pas une hauteur de 1.000 mètres au-dessus du sol, et ne concerne pas les zones d’approche immédiate des aérodromes, les mesures d’interdiction de survol peuvent être décidées, pour une durée qui ne peut excéder quatre jours consécutifs, éventuellement renouvelables une fois pour une durée égale : En métropole, par arrêté du préfet ou, en ce qui concerne les eaux territoriales, du préfet maritime, après consultation du directeur de la région d’aviation civile ou de son représentant ..." ;

Considérant que si, en vertu des dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, le maire d’une commune détient des pouvoirs de police générale en vue d’assurer la tranquillité et la sécurité des habitants de sa commune, et si ces pouvoirs lui permettent, sous certaines conditions, d’intervenir dans des domaines où il existe des pouvoirs de police spéciale, il n’a toutefois pas compétence pour réglementer des activités qui rélèvent par nature de la compétence exclusive d’une autorité investie explicitement d’un pouvoir de police spéciale, même si l’intervention du maire est fondée sur le souci de préserver un droit garanti par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et, notamment, ses articles 8 et 13 ; qu’il résulte clairement des dispositions précitées du code de l’aviation civile que la police de la circulation aérienne générale, c’est-à-dire de l’ensemble des mouvements des aéronefs, relève de la compétence exclusive du ministre chargé de l’aviation civile, sauf dans les cas d’urgence, et sous certaines conditions, où cette compétence peut être exercée en métropole par le préfet ; que, par suite, le maire de la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE n’était pas compétent, même dans l’hypothèse d’une éventuelle insuffisance de la réglementation instituée par l’Etat, pour interdire, par son arrêté du 31 mai 2001, le survol du territoire de la commune par des aéronefs dépassant le seuil au delà duquel il est reconnu qu’il y a nuisance dans les logements, soit 45 décibels, tous les jours de 22 heures à 6 heures, et ce alors même que le droit au sommeil est un droit garanti par les articles 8 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Considérant que la COMMUNE DE DEUIL-LA-BARRE ne peut en tout état de cause davantage invoquer utilement la directive 2002/30/CE du Parlement européen et du Conseil en date du 26 mars 2002 postérieure à l’arrêté litigieux ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE n’est pas fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé l’arrêté précité du maire en date du 31 mai 2001 ;

Sur les conclusions présentées au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’aux termes de l’article L.761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui, dans la présente instance, n’est pas la partie perdante, soit condamné à verser à la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la COMMUNE DE DEUIL-LA BARRE est rejetée.

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