Le chef de service qui rédige une note à propos d’un magistrat, note qui sert de fondement à la saisine du Conseil supérieur de la magistrature afin qu’il statue comme conseil de discpline vis-à-vis d’un magistrat du siège, ne peut siéger en son sein. La décision du Président de la République tirant les conséquences de la sanction prononcée est également annulée par voie de conséquence.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 224952,229359
Mme R.
M. Fanachi, Rapporteur
M. Lamy, Commissaire du gouvernement
Séance du 3 juillet 2002
Lecture du 29 juillet 2002
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu, 1°) sous le n° 224952, la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 13 septembre, 15 janvier 2001 et 1er février 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Marie-Josette R. ; Mme Marie-Josette R. demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision, en date du 12 juillet 2000, par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège, a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d’office et de condamner l’Etat à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu, 2°) sous le n° 229359, la requête enregistrée le 18 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour Mme Marie-Josette R. ; Mme Marie-Josette R. demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir le décret du 6 décembre 2000, par lequel le Président de la République l’a radiée des cadres de la magistrature à compter du 19 juillet 2000 et de condamner l’Etat à lui payer une somme de 15 000 F en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958, modifiée ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Fanachi, Conseiller d’Etat,
les observations de Me Guinard, avocat de Mme R. ,
les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées de Mme R. sont relatives à une même procédure disciplinaire ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions de la requête n° 224952 dirigée contre la décision du Conseil supérieur de la magistrature en date du 12 juillet 2000 :
Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l’attention du garde des sceaux, ministre de la justice, a été appelée sur la manière de servir de Mme R., juge d’instruction, par une note de son chef de cour en date du 22 mai 1998 faisant état de graves insuffisances dans l’exercice de ses fonctions depuis plusieurs années et de ce que les "carences durablement relevées dans la manière de servir de ce magistrat" étaient de nature à "caractériser des manquements aux devoirs de son état" ; que, saisi de ces informations, le garde des sceaux a décidé, le 2 décembre 1999, de saisir le Conseil supérieur de la magistrature, statuant comme conseil de discipline des magistrats du siège ; que la position ainsi prise par l’auteur de la note du 22 mai 1998 faisait obstacle à ce que celui-ci siégeât au Conseil supérieur de la magistrature, lorsqu’il a statué sur les poursuites disciplinaires engagées à l’encontre de Mme R. ; que, par suite, celle-ci est fondée à demander l’annulation de la décision du 12 juillet 2000 par laquelle le Conseil supérieur de la magistrature a prononcé à son encontre la sanction de mise à la retraite d’office ;
Sur les conclusions de la requête n° 229359 dirigée contre le décret du Président de la République en date du 6 décembre 2000 :
Considérant que le décret susmentionné, radiant Mme R. des cadres de la magistrature à compter de la date de notification de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre, se borne à tirer les conséquences de cette sanction ; qu’il est par suite illégal par voie de conséquence de l’annulation de ladite sanction ; que Mme R. est dès lors fondée à en demander l’annulation ;
Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à Mme R. une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La décision du Conseil supérieur de la magistrature du 12 juillet 2000 est annulée.
Article 2 : L’affaire est renvoyée devant le Conseil supérieur de la magistrature.
Article 3 : Le décret du Président de la République du 6 décembre 2000 est annulé.
Article 4 : L’Etat versera à Mme R. une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Marie-Josette R., au Premier ministre et au garde des sceaux, ministre de la justice.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1209