Conseil d’Etat, 29 juillet 2002, n° 244880, M. Z.

La décision du préfet refusant le renouvellement de la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" au motif de l’absence de vie commune présente un doute sérieux quant à légalité dès lors qu’il apparaît que les résidences séparées résultent de circonstances professionnelles et non d’une volonté des époux de mettre fin à leur vie commune.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 244880

M.Z.

M. Desrameaux, Rapporteur

M. Schwartz, Commissaire du gouvernement

Séance du 4 juillet 2002

Lecture du 29 juillet 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème sous-section)

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 5 et 19 avril 2002 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Iqbal Z. ; M. Z. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 26 février 2002 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête tendant à la suspension de l’exécution de l’arrêté en date du 29 janvier 2002 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté ses demandes de renouvellement de sa carte de séjour temporaire ou de délivrance d’une carte de résident et l’a invité à quitter le territoire français dans un délai d’un mois ;

2°) de suspendre l’exécution de l’arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 29 janvier 2002 ;

3°) d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de lui délivrer un titre de séjour provisoire sous astreinte de 200 euros par jour de retard dans un délai de deux mois à compter de la notification de l’arrêt, en application des articles L. 911-1 et L. 911-3 du code de justice administrative ;

4°) de condamner l’Etat à verser à la SCP Delaporte & Briard la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée relative aux conditions d’entrée et de séjour en France des étrangers et portant création de l’office national d’immigration ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Desrameaux, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de M. Z.,
- les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens de la requête :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : "Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision" ;

Considérant que l’urgence justifie que soit prononcée la suspension d’un acte administratif lorsque l’exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre ; qu’il appartient au juge des référés, saisi d’une demande de suspension d’une décision refusant la délivrance d’un titre de séjour, d’apprécier et de motiver l’urgence compte tenu de l’incidence immédiate du refus de titre de séjour sur la situation concrète de l’intéressé ; que cette condition d’urgence sera en principe constatée dans le cas d’un refus de renouvellement du titre de séjour, comme d’ailleurs d’un retrait de celui-ci ;

Considérant que le préfet de la Seine-Saint-Denis a délivré à M. Z., de nationalité pakistanaise, à la suite du mariage de celui-ci le 27 avril 1998 avec Mme G., de nationalité française, une carte de séjour temporaire valable du 13 juillet 1998 au 12 juillet 2000 portant la mention "vie privée et familiale" sur le fondement du 4° de l’article 12 bis et du 1° de l’article 15 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 ; que M. Z sollicité le renouvellement de sa carte de séjour temporaire et a alors été mis en possession de récépissés de demande de carte de séjour du 18 octobre 2000 au 29 janvier 2002 ; que le préfet de la Seine-Saint-Denis, par décision du 29 janvier 2002, a refusé de faire droit à sa demande de renouvellement ; que le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise, pour rejeter la demande de suspension de la décision du 29 janvier 2002, s’est borné à relever que M. Z. n’apportait pas d’éléments déterminants de nature à établir l’urgence ; qu’en s’abstenant de préciser les circonstances particulières au regard desquelles il estimait que le refus de renouvellement du titre de séjour de M. Z. n’avait pas créé une situation d’urgence, le juge des référés a entaché son ordonnance d’une erreur de droit ; qu’ainsi l’ordonnance attaquée doit être annulée ;

Considérant qu’il y a lieu, par application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. Z. ;

Considérant, d’une part, qu’il est constant que M. Z. était en situation régulière sur le territoire fiançais et titulaire d’une carte de séjour temporaire en qualité de conjoint de français lorsqu’il a demandé le renouvellement de son titre de séjour ; que le refus opposé par le préfet de la Seine-Saint-Denis à la demande de M. Z. porte, en l’absence de circonstance particulière invoquée par le préfet de la Seine-Saint-Denis, une atteinte grave et immédiate à la situation de l’intéressé en rendant son séjour sur le territoire français irrégulier ; que, par suite, les effets de l’acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence pour M. Z. ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 12 bis modifié de l’ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : ... 4° A l’étranger, ne vivant pas en état de polygamie, marié avec un ressortissant de nationalité française, à condition que son entrée sur le territoire français ait été régulière, que le conjoint ait conservé la nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l’étranger, qu’il ait été transcrit préalablement sur les registres de l’état civil français ; ... Le renouvellement de la carte de séjour délivrée au titre du 4° ci-dessus est subordonné au fait que la communatué de vie n’ait pas cessé." ;

Considérant que, s’il est constant que M. Z., qui occupe un emploi à Epinay-sur-Seine, ne vit pas quotidiennement avec son épouse domiciliée à Aix-en-Provence, il ressort des pièces du dossier que la commission du titre de séjour prévue par l’article 12 quater de l’ordonnance susvisée du 2 novembre 1945 a rendu un avis favorable à la délivrance du titre sollicité au motif que "les résidences séparées des époux Z. résultent de circonstances matérielles et ne traduisent pas leur volonté de mettre fin à leur communauté de vie" ; que M. Z. produit de nombreuses pièces de nature à établir que la communauté de vie avec son épouse n’a pas cessé du fait de leurs résidences séparées ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet de la Seine-Saint-Denis ne pouvait légalement, en application des dispositions de l’article 12 bis précité lui refuser le renouvellement de sa carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est de nature, en l’état de l’instruction, à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée ;

Considérant que les deux conditions auxquelles l’article L. 521-1 du code de justice administrative subordonne la suspension d’une décision administrative sont réunies ; qu’il convient, dès lors, d’ordonner la suspension de l’exécution de l’arrêté en date du 29 janvier 2002 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté la demande de M. Z. de renouvellement de sa carte de séjour temporaire et l’a invité à quitter le territoire français dans un délai d’un mois ;

Sur les conclusions tendant à ce qu’il soit enjoint au préfet de délivrer un titre provisoire de séjour à M. Z. :

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de délivrer à M. Z. une autorisation provisoire de séjour, dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision et jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le fond par le tribunal administratif sur sa demande, sans qu’il y ait lieu d’assortir cette injonction d’une astreinte ;

Sur les conclusions tendant à l’application des de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que M. Z. a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Delaporte & Briard, avocat de M. Z., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat , de condamner l’Etat à payer à la SCP Delaporte & Briard la somme de 1 500 euros ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 26 février 2002 est annulée.

Article 2 : L’exécution de l’arrêté en date du 29 janvier 2002 par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a rejeté la demande de renouvellement de la carte de séjour temporaire de M. Z. et l’a invité à quitter le territoire français dans un délai d’un mois est suspendue.

Article 3 : Il est fait injonction au préfet de délivrer une autorisation provisoire de séjour à M. Z. dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la demande présentée par M. Z. devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L’Etat paiera une somme de 1 500 euros à la SCP Delaporte & Briard, avocat de M. Z., en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que ladite société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Iqbal Z. et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

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