Cour administrative d’appel de Paris, Plénière, 29 juin 2001, n° 97PA03354, M. Maxime Frerot

Un détenu n’est recevable à déférer au juge administratif que la seule décision, expresse ou implicite, du directeur régional des services pénitentiaires, qui se substitue à la sanction initiale et qui intervient au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception du recours hiérarchique.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

N° 97PA03554 97PA03556

M. Maxime FREROT

M. COIFFET, Rapporteur

Mme LASTIER, Commissaire du gouvernement

Lecture du 29 Juin 2001

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

(Formation Plénière)

VU I°), enregistrée au greffe de la cour le 19 décembre 1997 sous le n° 97PA03554, la requête présentée pour M. Maxime FREROT par Me de LANOUVELLE, avocat ; M FREROT demande à la cour d’annuler :

1°) le jugement en date du 15 octobre 1997 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 28 mai 1996 du président de la commision de discipline du centre pénitentiaire de Fresnes de lui infliger une sanction de mise en cellule disciplinaire pour une durée de huit jours, ensemble la décision en date du 18 juin 1996 du directeur régional des services pénitentiaires de l’Ile- de-France rejetant son recours contre ladite décision ;

2°) les décisions susvisées des 28 mai et 18 juin 1996 ;

VU II°), enregistrée au greffe de la cour le 19 décembre 1997 sous le n° 97PA03556, la requête présentée pour M Maxime FREROT par Me DE LANOUVELLE ; M FREROT demande à la cour d’annuler :

1°) le jugement en date du 15 octobre 1997 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant à l’annulation de la décision du 24 mai 1996 du chef d’établissement de la maison d’arrêt de Fresnes de le conduire au quartier disciplinaire à titre préventif ;

2°) la décision susvisée du 24 mai 1996 ;

VU, l’ensemble des pièces jointes et produite aux dossiers ;

VU la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et notamment ses articles 3 et 8 ;

VU le code de procédure pénale modifiée dans sa rédaction issue du décret n 96-287 du 2 avril 1996 relatif au régime disciplinaire des détenus ;

VU le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 27 juin 2001 :
- le rapport de M. COIFFET, premier conseiller,
- les observations de la SCP NICOLAY-DE LANOUVELLE, avocat au Conseil d’Etat et à la cour de cassation, pour M FREROT,
- et les conclusions de Mme LASTIER, commissaire du Gouvernement ;

Sur la jonction :

Considérant que les affaires n 97PA03554 et n 97PA03556 sont relatives à des décisions prises sur la base des mêmes faits et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par un même arrêt ;

Considérant que le 24 mai 1996 à l’issue d’une visite au parloir ne comportant pas de dispositif de séparation, M FREROT a été soumis, conformément à la circulaire ministérielle n AP86-12G1 du 14 mars 1986 relative à la fouille des détenus, à une fouille intégrale, fouille dont "les modalités pratiques de réalisation" sont précisées dans une fiche technique annexée à ladite circulaire ; que l’intéressé a alors refusé d’obéir aux surveillants qui lui demandaient d’ouvrir la bouche ; que sur la base de ces faits, l’intéressé a, d’une part, été immédiatement placé par une décision du même jour en quartier disciplinaire à titre préventif, d’autre part, été sanctionné le 28 mai 1996 d’une mise en cellule disciplinaire pendant huit jours sans sursis par le président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Fresnes, décision confirmée le 18 juin 1996 par le directeur des services pénitentiaires de la Ville de Paris sur recours hiérarchique de l’intéressé ; Considérant que par les requêtes n 97PA03556 et n 97PA03554, M FREROT demande à la cour d’annuler les jugements n 97 500 et n 96 12297 par lesquels le tribunal administratif de Melun a, le 15 octobre 1997 rejeté ses demandes tendant respectivement à l’annulation de la décision du 24 mai 1996 le plaçant en cellule disciplinaire à titre préventif et à l’annulation de la sanction disciplinaire prononcée à son encontre le 24 mai 1996, ensemble la décision confirmative du 18 juin 1996 ;

Sur la recevabilité des conclusions de première instance présentées par M FREROT devant le tribunal administratif dirigées contre la décision du 28 mai 1996 de mise en cellule disciplinaire pour une durée de huit jours sans sursis :

Considérant qu’aux termes de l’article D 250-5 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du décret susvisé du 2 avril 1996 : " Le détenu qui entend contester la sanction disciplinaire dont il est l’objet doit, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision, la déférer au directeur régional des services pénitentiaires préalablement à tout autre recours Le directeur régional dispose d’un délai d’un mois à compter de la réception du recours pour répondre par décision motivée L’absence de réponse dans ce délai vaut décision de rejet " ; qu’il résulte de ces dispositions qu’un détenu n’est recevable à déférer au juge administratif que la seule décision, expresse ou implicite, du directeur régional des services pénitentiaires, qui se substitue à la sanction initiale et qui intervient au plus tard dans le délai d’un mois à compter de la réception du recours hiérarchique ;

Considérant que M FREROT qui a fait l’objet par une décision en date du 28 mai 1996 du président de la commission de discipline du centre pénitentiaire de Fresnes, d’une sanction de mise en cellule disciplinaire de huit jours sans sursis a, conformément à la procédure instituée par l’article D250-5 précité du code de procédure pénale, exercé un recours hiérachique auprès du directeur régional des services pénitentiaires de Paris qui a confirmé la sanction par une décision en date du 18 juin 1996, laquelle était seule susceptible de recours juridictionnel ; que par suite, les conclusions de M FREROT dirigées contre la décision initiale étaient irrecevables ; que le requérant n’est dès lors pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté lesdites conclusions ;

Sur la recevabilité de la demande de M FREROT dirigée contre la décision du 24 mai 1996 de le placer en cellule disciplinaire à titre préventif :

Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article D 250-3 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue du décret n 96-287 du 2 avril 1996 susvisé qui en traite sous le chapitre B Procédure disciplinaire : " Le chef d’établissement ou un membre du personnel ayant reçu délégation écrite à cet effet peut, à titre préventif et sans attendre la réunion de la commission de discipline, décider le placement d’un détenu dans une cellule disciplinaire si les faits constituent une faute du premier ou du deuxième degré et si la mesure est l’unique moyen de mettre fin à la faute et de préserver l’ordre intérieur dans l’établissement Le placement préventif en cellule disciplinaire n’est pas applicable aux mineurs de seize ans Il s’exécute dans les conditions prévues aux articles D251-3 et D251- 4 Sa durée est limitée au strict nécessaire et ne peut excéder deux jours à compter de la date à laquelle les faits ont été portés à la connaissance du chef d’établissement La durée de placement s’impute sur celle de la sanction lorsqu’est prononcée à l’encontre d’un détenu l’une des sanctions de cellule prévues aux 4 et 5 de l’article D251 " ;

Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article D 251-3 du même code qui en traite au chapitre C Les sanctions disciplinaires : " La mise en cellule disciplinaire prévue par l’article D251 (5 ) consiste dans le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu’il doit occuper seul La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d’achats en cantine prévue à l’article D253-3 ( 3 ) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités Toutefois, les détenus placés en cellule disciplinaire font une promenade d’une heure par jour dans une cour individuelle La sanction n’emporte en outre aucune restriction à leur droit de correspondance écrite ( ) Les sanctions de mise en cellule disciplinaire sont transcrites sur le registre du quartier disciplinaire tenu sous l’autorité du chef d’établissement Ce registre est présenté aux autorités administratives et judiciaires lors de leurs visites de contrôle et d’inspection " ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de ces dispositions que le placement à titre préventif d’un détenu en cellule disciplinaire qui a pour but de mettre fin à la faute commise par ce dernier et de préserver l’ordre à l’intérieur de l’établissement n’est pas un préalable nécessaire au prononcé d’une sanction disciplinaire ; que, dès lors, il ne constitue pas une simple mesure préparatoire ;

Considérant, en deuxième lieu, que contrairement à ce qu’ont affirmé les premiers juges, cette décision de placement à titre préventif a des incidences sur le régime de détention de la personne qui en fait l’objet, en particulier en la privant des visites et de toutes les activités ainsi que de la possibilité d’effectuer des achats en cantine et entraîne une aggravation des conditions matérielles de détention ; que le prononcé d’une telle mesure est, depuis l’entrée en vigueur des dispositions précitées de l’article D 250-3 du code de procédure pénale, subordonné au respect de conditions nouvelles ci-dessus rappelées qui viennent encadrer plus strictement l’exercice du pouvoir du chef d’établissement ; qu’ainsi, et même si une telle décision n’a par elle-même aucune conséquence sur les réductions de peine pouvant être accordées aux détenus dans le cadre de l’article 721 du code de procédure pénale et si sa durée ne peut excéder deux jours, elle constitue non une mesure d’ordre intérieur, mais une décision susceptible de recours ;

Considérant, en troisième lieu, qu’il résulte des même dispositions que la décision de placer, à titre préventif, un détenu en cellule disciplinaire est distincte de la sanction disciplinaire de mise en cellule disciplinaire et qu’elle ne constitue pas elle-même une sanction disciplinaire ; que, par suite, contrairement à ce qu’avance la ministre de la justice, les dispositions précitées de l’article D250-5 du code de procédure pénale instituant un recours obligatoire devant le directeur régional des services pénitentiaires préalablement à la saisine du juge ne trouvent pas à s’appliquer à la décision du 24 mai 1996 ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M FREROT est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement n 97500 en date du 15 octobre 1997, le tribunal administratif de Melun a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l’annulation de la décision attaquée du 24 mai 1996 ; qu’ainsi, ledit jugement doit être annulé ;

Considérant qu’il y a lieu d’évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M FREROT devant le tribunal administratif de Melun sous le numéro 97-500 et, par l’effet de la jonction, sur les conclusions de la requête présentée devant la cour sous le numéro 97PA3554 visant la décision du 18 juin 1996 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris ;

Sur la légalité de la décision du 24 mai 1996 de placer M FREROT en cellule disciplinaire à titre préventif et de la décision du 18 juin 1996 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la demande ou de la requête :

Considérant que pour caractériser de faute disciplinaire du second degré l’attitude de M FREROT le 24 mai 1996, l’administration a estimé que l’intéressé "avait refusé de se soumettre à une mesure de sécurité définie par les règlements de service et instructions de service" ; que M FREROT soutient que le refus d’ouvrir la bouche lors d’une fouille intégrale ne pouvait fonder une sanction disciplinaire dès lors que l’obligation dont s’agit n’est prévue que par la circulaire du garde des sceaux n AP 86 12 G1 du 14 mars 1986 relative à la fouille des détenus à laquelle est annexée une simple note technique précisant les modalités de la fouille intégrale, circulaire qui serait illégale en raison de l’incompétence du ministre pour édicter des dispositions à caractère réglementaire et inopposable faute d’avoir fait l’objet d’une publicité adéquate ;

Considérant que même en l’absence d’un texte législatif ou réglementaire l’y habilitant expressément, le ministre de la justice avait, en sa qualité de chef de service, le pouvoir de déterminer certaines des conditions dans lesquelles les fouilles de détenu seraient effectuées en application des dispositions de l’article D 275 du code de procédure pénale ; qu’ainsi M FREROT n’est pas fondé à soutenir que le ministre de la justice n’était pas compétent pour édicter les dispositions de la circulaire du 14 mars 1986 qui ont fondé les décisions attaquées ;

Considérant toutefois qu’il n’est pas établi par les pièces versées au dossier, ni d’ailleurs allégué par la ministre de la justice que la circulaire précitée du 14 mars 1986 aurait fait l’objet d’une quelconque publication au Journal Officiel de la République Française ou d’une mesure de publicité adéquate au sein de la maison d’arrêt de Fresnes ; qu’ainsi faute d’une publicité suffisante, cette circulaire n’était pas opposable à M FREROT ; que le requérant n’a dès lors commis aucune faute en refusant de subir une fouille conformément aux modalités fixées par ladite circulaire ; qu’il s’ensuit que les décisions des 24 mai et 18 juin 1996 sont dépourvues de fondement légal ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M FREROT est fondé à obtenir l’annulation des décisions du 24 mai 1996 le plaçant en cellule disciplinaire à titre préventif et du 18 juin 1996 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris rejetant son recours contre la sanction de mise en cellule disciplinaire pour une durée de huit jours sans sursis qui lui avait été infligée le 28 mai 1996 ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 97 500 du tribunal administratif de Melun en date du 15 octobre 1997 et le jugement n° 96-12297 du même tribunal du 15 octobre 1997 en tant qu’il a rejeté les conclusions de M. FREROT tendant à l’annulation de la décision du 18 juin 1996 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris sont annulés.

Article 2 : La décision du 24 mai 1996 de placer M. FREROT en cellule disciplinaire à titre préventif et la décision du 18 juin 1996 du directeur régional des services pénitentiaires de Paris sont annulées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête n°97PA03554 est rejeté.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1164