En jugeant que les engagements de caution portant sur les emprunts souscrits par les sociétés Sorudis et Sebadis et les prêts sans intérêts et les abandons de créances auxquels il a été procédé ne pouvaient pas être regardés comme ayant été consentis par la SA ROCADIS dans le cadre d’une gestion commerciale normale, alors que la SA ROCADIS avait accordé son parrainage aux sociétés Sorudis et Sebadis, que les engagements de parrainage sont une condition de l’appartenance au réseau des centres de distribution E. Leclerc et qu’il n’était ni établi ni même allégué que ce parrainage, assumé par la SA ROCADIS conjointement avec plusieurs autres centres de distribution, aurait excédé par son importance les possibilités financières de la société, la cour administrative d’appel de Bordeaux a donné aux faits de la cause une inexacte qualification juridique.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N° 219825
SA ROCADIS
M. Bereyziat, Rapporteur
M. Bachelier, Commissaire du gouvernement
Séance du 7 septembre 2001
Lecture du 26 septembre 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 7 avril et 4 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SA ROCADIS, dont le siège est 93, route de Gençay à Poitiers (86000) ; la SA ROCADIS demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt en date du 1er février 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant, d’une part, à l’annulation du jugement du 5 juin 1997 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d’impôts sur les sociétés auxquels elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1986, 1987 et 1988 et, d’autre part, à ce que la cour lui accorde la décharge desdites impositions ;
2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 40 000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de M. Bereyziat, Auditeur ;
les observations de la SCP Monod, Colin, avocat de la SA ROCADIS ;
les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu’en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts le bénéfice imposable à l’impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l’entreprise, à l’exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion commerciale normale ;
Considérant qu’il ressort des énonciations de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux contre lequel se pourvoit la SA ROCADIS, que cette dernière, qui exploite à Poitiers un centre commercial sous l’enseigne E. Leclerc, a assuré, avec d’autres sociétés membres de l’Association des centres distributeurs E. Leclerc (ACDLEC), le "parrainage" des sociétés Sorudis et Sebadis créées en 1982 pour exploiter à proximité de Rodez deux centres commerciaux sous cette enseigne ; que ce parrainage s’est notamment traduit par des engagements de caution à hauteur de plus de 9 millions de francs, souscrits par la SA ROCADIS auprès des banques ayant financé les sociétés Sorudis et Sebadis ; qu’à la suite de difficultés financières rencontrées par ces deux sociétés, la SA ROCADIS, de même d’ailleurs que les autres sociétés assurant le parrainage, après avoir porté sa participation dans le capital des sociétés Sorudis et Sebadis de 0, 08 % à 19, 92 % leur a consenti d’importantes avances sans intérêts, puis a abandonné en décembre 1986 une partie de ces avances pour un montant total de 4, 2 millions de francs ; que l’administration a estimé que la renonciation de la SA ROCADIS à percevoir des intérêts sur les sommes avancées aux sociétés Sorudis et Sebadis, ainsi que les abandons de créances consentis à celles-ci, étaient constitutifs d’actes anormaux de gestion ; qu’elle a en conséquence rapporté le montant des intérêts non perçus et celui des créances abandonnées aux résultats imposables de la société requérante au titre de ses exercices clos en 1986, 1987 et 1988 ;
Considérant que l’octroi de prêts sans intérêts ou l’abandon de créances consentis par une entreprise au profit d’un tiers, de même d’ailleurs que le fait pour celle-ci de fournir gratuitement sa caution, ne relèvent pas en règle générale d’une gestion commerciale normale, sauf s’il apparaît qu’en consentant de tels avantages l’entreprise a agi dans son propre intérêt ; qu’il en va ainsi notamment lorsque les avantages consentis peuvent être regardés comme la conséquence d’engagements constituant la contrepartie des avantages que l’entreprise retire elle-même directement de son adhésion à une association ou à un groupement et du respect des conditions auxquelles l’appartenance à ce groupement est subordonnée ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que pour assurer une sélection sur des critères plus professionnels que financiers des commerçants indépendants admis à exploiter en société un centre de distribution sous l’enseigne E. Leclerc, l’ACDLEC subordonne l’agrément des nouveaux membres au parrainage de ceux-ci par plusieurs centres de distribution préexistants ; que ce parrainage comporte, outre une assistance technique, l’engagement d’assumer une part importante du risque lié à l’investissement exigé pour l’ouverture d’un nouveau centre, et, en cas de difficultés rencontrées par ce dernier, celui de le soutenir financièrement ; que le manquement aux obligations de parrainage peut être une clause d’exclusion du groupement et de résiliation par voie de conséquence du contrat de panonceau ; qu’il n’est pas contesté que l’appartenance au réseau des centres de distribution E. Leclerc procure à chacune des sociétés du groupement des avantages de clientèle et de prix de revient liés notamment au renom de l’enseigne et aux économies ou ristournes réalisées sur les approvisionnements grâce à un "référencement national" des fournisseurs et à l’utilisation de centrales d’achats à forme coopérative ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’en jugeant que les engagements de caution portant sur les emprunts souscrits par les sociétés Sorudis et Sebadis et les prêts sans intérêts et les abandons de créances auxquels il a été procédé ne pouvaient pas être regardés comme ayant été consentis par la SA ROCADIS dans le cadre d’une gestion commerciale normale, alors que la SA ROCADIS avait accordé son parrainage aux sociétés Sorudis et Sebadis, que les engagements de parrainage sont une condition de l’appartenance au réseau des centres de distribution E. Leclerc et qu’il n’était ni établi ni même allégué que ce parrainage, assumé par la SA ROCADIS conjointement avec plusieurs autres centres de distribution, aurait excédé par son importance les possibilités financières de la société, la cour administrative d’appel de Bordeaux a donné aux faits de la cause une inexacte qualification juridique ; que la requérante est par suite fondée à demander l’annulation de l’arrêté attaqué ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant que la SA ROCADIS établit qu’en venant en aide aux sociétés Sorudis et Sebadis, elle a assumé les conséquences de son engagement de parrainage au profit de ces dernières ; qu’ainsi elle devait être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt financier ; que, dans ces conditions, l’administration n’apporte pas la preuve, qui lui incombe en raison de la procédure d’imposition suivie, que la renonciation de la SA ROCADIS à percevoir des intérêts sur les sommes avancées aux sociétés Sorudis et Sebadis et les abandons de créance consentis à ces dernières constituaient des actes anormaux de gestion ; que, par suite, c’est à tort qu’elle a rapporté les sommes correspondantes aux résultats imposables de la société requérante au titre de ses exercices clos en 1986, 1987 et 1988 ;
Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la SA ROCADIS est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre de ces exercices ;
Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à payer à la SA ROCADIS la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt du 1er février 2000 de la cour administrative de Bordeaux et le jugement du 5 juin 1997 du tribunal administratif de Poitiers sont annulés.
Article 2 : La SA ROCADIS est déchargée des cotisations supplémentaires à l’impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre de ses exercices clos en 1986, 1987 et 1988.
Article 3 : L’Etat versera à la SA ROCADIS une somme de 40 000 F à raison des frais exposés par elle et non compris dans les dépens, tant devant le Conseil d’Etat que devant la cour administrative d’appel de Bordeaux.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SA ROCADIS et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
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