Tribunal administratif de Caen, 9 juillet 2002, n° 01-1753, M. Raymond M. 

Le retard dans l’établissement du diagnostic de préthrombose carotidienne dont était atteint le patient, lié notamment à une erreur de diagnostic initiale et à l’absence de réalisation d’un examen simple tel qu’un Doppler lors de son admission au service des urgences du Centre hospitalier régional universitaire de Caen, alors que le médecin traitant de ce patient qui l’avait adressé audit service, évoquant explicitement une parésie avait sollicité des examens supplémentaires, a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE CAEN

N° 01-1753

M. Raymond M.

Jugement lu le 9 juillet 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Le Tribunal administratif de Caen,

1ère chambre

Jugement avant dire droit

Vu la requête, enregistrée le 12 septembre 2001, sous le n° 01-1753, présentée pour M. et Mme Raymond M. et pour Mme Corinne B. en son nom personnel et en qualité de représentant légal de son fils mineur Kevin B. ;

Les requérants demandent que le tribunal :
- déclare le Centre hospitalier régional universitaire de Caen responsable du préjudice subi par M. Raymond M. et sa famille,
- condamne le Centre hospitalier régional universitaire de Caen à verser :

o) à M. M. une somme de 1.800.000 F au titre de l’IPP (incapacité permanente partielle), une rente à vie annuelle de 204.000 F, une somme de 250.000 F au titre du pretium dolons, de 250.000 F au titre du préjudice d’agrément, de 50.000 F au titre du préjudice esthétique, de 13.725,35 F au titre du paiement d’un fauteuil avec télécommande et de 229.832,47 F au titre de l’acquisition d’un nouveau véhicule rendu nécessaire par son état,

o) à Mme Hélène M., une somme de 300.000 F au titre des préjudices moraux et & agrément,

o) à Mme B., une somme de 50.000 F au titre de son préjudice moral,

o) à Mme B., en qualité de représentant légal de son fils Kevin, une somme de 150.000 F ;

- condamne le Centre hospitalier régional universitaire de Caen à leur payer une indemnité de 15.000 F sur le fondement de l’article L.761-l du code de justice administrative ;
- déclare commun à la Caisse primaire d’assurance maladie du Calvados, le jugement à intervenir ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 12 octobre 2001, présenté pour le Centre hospitalier universitaire de Caen ; le Centre hospitalier régionai universitaire de Caen conclut à ce que le tribunal, avant dire droit sur la réparation du préjudice de M. Raymond M., désigne un expert médical, réduise substantiellement les demandes de Mme M. et de Mme B. tant en son nom personnel qu’en qualité de représentant légal de son fils, au titre de leur préjudice moral ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 25 juin 2002, présenté pour la Caisse primaire d’assurance maladie du Calvados ; la caisse demande l’application de l’article L.376-1 du code de la sécurité sociale et si le tribunal retient la responsabilité du Centre hospitalier régional universitaire de Caen, elle demande le remboursement de ses débours qui s’élèvent provisoirement à 5.344,64 euros par imputation sur le préjudice mis à la charge du tiers au titre de l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, ainsi que la condamnation du Centre hospitalier régional universitaire de Caen à lui verser l’indemnité forfaitaire de 760,00 euros instituée par l’ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 ;

Vu la réclamation préalable ;

Vu l’ensemble des pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu à la séance publique du 2juillet 2002, les parties ayant été régulièrement averties :

Mme MURAT, conseiller, en son rapport,

Me HUREL, avocat au Barreau de Caen, pour les requérants, en ses observations,

M. MATHIS, commissaire du gouvernement, en ses conclusions,

et en avoir délibéré,

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment des rapports des experts désignés par le juge pénal, qui ne sont pas contestés sur ce point, que le retard dans l’établissement du diagnostic de préthrombose carotidienne dont était atteint M. M., lié notamment à une erreur de diagnostic initiale et à l’absence de réalisation d’un examen simple tel qu’un Doppler lors de son admission au service des urgences du Centre hospitalier régional universitaire de Caen, alors que le médecin traitant de M. M. qui l’avait adressé audit service, évoquant explicitement une parésie avait sollicité des examens supplémentaires, a constitué une faute de nature à engager la responsabilité du Centre hospitalier ;

Considérant, d’une part, que les expertises produites au dossier, réalisées dans le cadre de l’action judiciaire engagée par M. M. à l’encontre d’un médecin du Centre hospitalier régional universitaire de Caen sont dépourvues de caractère contradictoire à l’égard de cet établissement ; que, d’autre part, si le premier expert, le docteur Guégan, estime que le diagnostic effectué plus précocement, dès le 29 septembre 1998, aurait probablement permis une intervention pîus précoce et ainsi prévenu la survenue d’un accident ischémique, le docteur Adam, second expert, conclut que le diagnostic erroné a fait perdre à M. M. des chances de récupération mais que les complications chirurgicales inhérentes à cette thérapeutique ont sûrement grandement favorisé l’accident ischémique définitif ; qu’ainsi les deux experts s’ils relèvent l’existence d’un lien entre les séquelles actuelles de M. M. et le retard de diagnostic de thrombose carotidienne n’ont pas la même appréciation des conséquences de ce retard sur l’état de l’intéressé ; que dans ces conditions, l’état du dossier ne permet pas au tribunal de se prononcer en toute connaissance de cause sur les conséquences dommageables du retard de diagnostic ci-dessus analysé ; qu’il y a lieu, par suite, avant de statuer sur la demande indemnitaire d’ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;

D E C I D E :

Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les demandes indemnitaires présentées par les consorts M., procéder à une expertise médicale.

Article 2 : L’expert sera désigné par le président du tribunal. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R.621-2 à R.621-14 du code de justice administrative.

Article 3 : L’expert aura pour mission :

- de se faire communiquer l’entier dossier médical de M. M. détenu par le Centre hospitalier régional universitaire de Caen ainsi que tous autres documents médicaux utiles et notamment ceux qui seraient détenus par le centre hospitalier de Granville ;
- de décrire l’état de M. M. avant son admission au service des urgences du Centre hospitalier régional universitaire de Caen ;
- de dire si un diagnostic plus précoce aurait permis d’éviter l’accident ischémique sylvien dont M. M. a été atteint, et si les soins postérieurs au diagnostic ont été diligents et conformes aux données acquises de la science ainsi qu’aux règles de l’art médical ;
- de dire quel aurait été l’état de santé de M. M. après intervention, en l’absence de retard à l’intervention ou de tout autre cause de complication et l’évolution prévisible de cet état ;
- d’examiner M. M., de décrire son état actuel, de préciser si son état est consolidé et dans l’affirmative en fixer la date ;
- d’évaluer l’ensemble des préjudices de l’intéressé résultant du retard de diagnostic en déterminant le taux de l’incapacité permanente partielle, les souffrances physiques, le préjudice esthétique et le préjudice d’agrément, en chiffrant ces trois derniers chef de préjudice sur une échelle de 1 à 7 ;
- d’une manière générale, de fournir au tribunal tous éléments utiles à la solution du présent litige ;

Article 4 : Les frais de la présente expertise seront avancés par le Centre hospitalier régional universitaire de Caen.

Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement sont réservés jusqu’en fin d’instance.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1123