Conseil d’Etat, Section de l’intérieur, 27 juin 2002, n° 367729, Avis "Vivendi Universal"

La limite de 20% imposée, sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France, aux personnes de nationalités étrangères par l’article 40 de la loi du 30 septembre 1986, s’apprécie par rapport au capital social ou aux droits de vote dans les assemblées générales d’une société titulaire d’une autorisation, pris dans leur ensemble.

CONSEIL D’ETAT

Section de l’intérieur

N° 367729

Séance du jeudi 27 juin 2002

AVIS

Le Conseil d’Etat, saisi par le Premier ministre des questions suivantes posées par le Conseil supérieur de l’audiovisuel au sujet de l’article 40 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication :

o) Pour apprécier si le seuil légal de 20 p. 100 mentionné par le premier alinéa de l’article 40 de la loi du 30 septembre 1986 est dépassé, suffi-il de connaître la nationalité des sociétés actionnaires de la société titulaire d’une autorisation ou convient-il d’isoler aussi au sein de leur capital social, leur actionnariat extra-communautaire afin de l’intégrer dans le calcul des 20 p. 100 ? La notion de détention indirecte d’une part de capital social d’une société titulaire d’une autorisation relève-t-elle des règles du code de commerce relatives au contrôle des sociétés ?

o) Une autre difficulté d’application tient à la cotation en bourse des sociétés. Le seuil de 20 p. 100 prévu à l’article 40 doit-il s’apprécier seulement sur la partie fixe de l’actionnariat ou sur l’ensemble du capital ?

Vu la Constitution, notamment son Préambule et l’article 55 ;

Vu le Traité instituant les Communauté européenne, notamment ses articles 48 et 56 ;

Vu l’accord sur l’Espace économique européen et le protocole portant adaptation dudit accord, ensemble le décret n° 94-113 du 1er février 1994 qui en porte publication ;

Vu le code de commerce, notamment son livre deuxième ;

Vu le code pénal, notamment ses articles 111-4 et 121-3 ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 modifiée relative à la liberté de communication, notamment ses articles 40, 41-3, 42-3 et 77 ;

Vu l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 portant adaptation de la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs ;

Est d’avis de répondre aux questions posées dans le sens des observations qui suivent :

Sur les règles applicables :

La loi du 30 septembre 1986 susvisée, dans le chapitre troisième du titre II intitulé « Dispositions applicables à l’ensemble des services de communication audiovisuelle soumis à autorisation », a entendu assurer la qualité de l’information relative aux entreprises de communication audiovisuelle et l’indépendance de leur activité ; dans ce but, les articles 35 à 39 prévoient successivement d’interdire la pratique du prête-nom, d’imposer le caractère nominatif des actions représentant le capital d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service de communication audiovisuelle, d’exiger une information continue du public sur la propriété et la direction de l’entreprise, de contrôler les opérations de concentration ; quant à l’article 40, il tend à protéger la société titulaire d’une autorisation relative à un service de communication audiovisuelle d’une influence étrangère excessive, assurant par là même une protection culturelle dans ce secteur d’activité.

I. – Aux termes de ce dernier article : « Sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France, aucune personne de nationalité étrangère ne peut procéder à une acquisition ayant pour effet de porter, directement ou indirectement, ma part du capital détenue par des étrangers à plus de 20 p. 100 du capital social ou des droits de vote dans les assemblées générales d’une société titulaire d’une autorisation relative à un service de radiodiffusion sonore ou de télévision par voie hertzienne terrestre assuré en langue française.

Est considérée comme personne de nationalité étrangère, pour l’application du présent article, toute personne physique de nationalité étrangère, toute société dont la majorité du capital social n’est pas détenue, directement ou indirectement, par des personnes physiques ou morales de nationalité française et toute association dont les dirigeants sont de nationalité étrangère. ».

Aux termes de l’article 77 de la même loi, tel qu’il a été implicitement modifié par l’ordonnance n° 2000-916 du 19 septembre 2000 susvisée : « Sera puni d’une amende de cent cinquante mille euros quiconque aura contrevenu aux dispositions de l’article 39 ou de l’article 40. »

II. – Destinées à protéger, notamment sur le terrain culturel, les sociétés titulaires d’une autorisation contre une influence étrangère excessive qui peut découler de la détention illicite de plus de 20 p. 100 du capital social ou des droits de vote dans les assemblées générales par les actionnaires étrangers, les dispositions de l’article 40 précité restent compatibles avec les engagements internationaux souscrits par la France, en particulier lorsqu’ils contiennent une clause d’assimilation au national ou une clause de réciprocité dans le domaine audiovisuel ; ces engagements sont, en effet, respectés dès lors qu’aucune discrimination n’est faite, lors de la mise en œuvre de l’article 40, entre des personnes de nationalité française et les personnes de nationalité étrangère en faveur desquelles ces engagements ont été souscrits.

Il résulte de la jurisprudence, tant de la Cour de justice des Communautés européennes que du Conseil d’Etat, qu’au regard du droit communautaire, les personnes physiques ou morales ressortissant d’un Etat membre de la Communauté européenne ou d’un Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen, autre que la France, doivent lors de la mise en œuvre de l’article 40 être traitées comme les personnes de nationalité française, spécialement lorsqu’il s’agit d’apprécier le respect du seuil légal de 20 p. 100 mentionné au premier alinéa ou de déterminer la nationalité du détenteur de la majorité du capital social d’une société actionnaire de la société titulaire de l’autorisation.

Sur la première question :

La détermination de la nationalité d’une personne physique ou morale qu’impose pour sa mise en œuvre l’article 40 précité afin de vérifier les conditions de contrôle d’une société titulaire d’une autorisation au sens de ce texte, ne soulève de réelles difficultés que pour les sociétés dans la mesure où leur nationalité se distingue de celle des personnes physiques, par son caractère spécifique et contingent. En définissant la « personne de nationalité étrangère, pour l’application du présent article », le deuxième alinéa de l’article 40 précité entend, dans un souci d’efficacité, renforcer la prévisibilité des règles prohibitives mentionnées au premier alinéa et simplifier leur mise en œuvre ; ce faisant, il écarte, à la différence de ce qui est expressément prévu dans l’article 41-3 de la même loi en matière de concentrations, l’application des règles générales de l’article L. 233-3 du code de commerce relatives au contrôle d’une société par une autre.

En considérant comme « personne de nationalité étrangère,… toute société dont la majorité du capital social est détenue, directement ou indirectement, par des personnes … morales de nationalité française… », le deuxième alinéa de l’article 40 précité conduit, sous réserve du droit communautaire et plus généralement des engagements internationaux souscrits par la France, à vérifier la nationalité de toute société actionnaire d’une société titulaire d’une autorisation au sens du premier alinéa du même article. Ainsi, pour être considérée comme une société de nationalité française, il ne suffit pas à cette société actionnaire d’avoir un siège social en France et d’être, à ce titre, régie pour sa constitution et son fonctionnement par le droit français des sociétés, elle doit aussi faire l’objet d’un contrôle par des intérêts français que le deuxième alinéa de l’article 40 définit, de façon spécifique, comme la détention de la majorité du capital social ou des droits de vote dans les assemblées générales par des personnes de nationalité française.

Si ces dernières sont des sociétés il convient de s’assurer de leur nationalité par application des même critère, siège social et contrôle, qui seront à nouveau repris si ces sociétés ont elle-mêmes pour associés des sociétés et cela jusqu’à la connaissance certaine de la nationalité du détenteur indirect d’actions de la société titulaire d’une autorisation au sens de l’article 40. Lorsque la nationalité française ou étrangère d’une société est ainsi établie, il résulte des dispositions du deuxième alinéa de l’article 40 que son capital dans son ensemble, est réputé, pour l’application de ce dernier article, représenter selon le cas des intérêts français ou des intérêts étrangers.

Aux termes du deuxième alinéa de l’article 40 précité « est considérée comme personne de nationalité étrangère… toute société dont la majorité du capital social n’est pas détenue… par des personnes… morales de nationalité française… » ; en dépit de la formulation négative de ce texte, il ne saurait s’interpréter comme renversant la charge de la preuve au détriment de la société qui contrôle une société titulaire d’une autorisation au sens du premier alinéa de l’article 40 précité. La sanction pénale attachée au respect de cet article, lorsqu’il vise les personnes contrevenant sciemment aux dispositions de l’alinéa premier sur les acquisitions d’actions, implique l’application des principes de procédures pénale en matière de preuve, notamment de présomption d’innocence.

Il incombe donc, d’une manière générale, aux autorités chargée de veiller au respect des différentes prescriptions de l’article 40 de rapporter la preuve que la société en cause est étrangère et, dans ce but, elles peuvent solliciter de ladite société les informations utiles.

Sur la deuxième question :

La limite de 20 p. 100 imposée, sous réserve des engagements internationaux souscrits par la France, aux personnes de nationalités étrangères par l’article 40 précité, s’apprécie par rapport au capital social ou aux droits de vote dans les assemblées générales d’une société titulaire d’une autorisation, pris dans leur ensemble ; il ressort, en effet, des dispositions expresses du texte précité qu’il n’est fait aucune distinction entre le capital stable et le capital « flottant ». Il appartient aux autorités chargées de veiller au respect des prescriptions de l’article 40 précité, de demander à la société exerçant un contrôle direct ou indirect sur une société titulaire d’une autorisation, de fournir des informations sur son actionnariat en se fondant notamment sur les possibilités offertes par l’article L. 228-2 du code de commerce pour identifier les actionnaires en vues des assemblées générales.

Cet avis a été délibéré et adopté par le Conseil d’Etat dans sa séance du jeudi 27 juin 2002.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article1013