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13 février 2003

Appréciation de la réciprocité d’un accord international : la CEDH impose un revirement au juge administratif

Dans le fil droit de la jurisprudence Beaumartin, la Cour européenne des droits de l’homme vient, le 13 février 2003, de condamner la France en raison de la jurisprudence administrative actuelle opérant un renvoi préjudiciel auprès du ministre des affaires étrangères pour l’appréciation de la condition de réciprocité d’un accord international.

L’affaire que la CEDH a eu à juger est relativement inédite. Mme Yasmina Chevrol, ressortissante française née en Algérie, est titulaire d’un diplôme de docteur en médecin de la faculté d’Alger obtenu en 1969. Le 17 février 1987, la requérante sollicita son inscription au tableau du conseil départemental de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône. Le conseil départemental rejeta sa demande au motif que, bien que française, elle ne disposait pas du diplôme français de docteur en médecine, la renvoyant dans le cadre et l’application de l’article L 356-2 du code de la santé publique. Après de nombreuses demandes, une nouvelle requête fût déposée en se fondant sur l’article 5 des « accords d’Evian » qui prévoit stipule : que « les grades et diplômes d’enseignement délivrés en Algérie et en France, dans les mêmes conditions de programmes, de scolarité et d’examens, sont valables de plein droit dans les deux pays ». Nouvellement rejeté, un recours devant le juge administratif dût formé.

Le 29 octobre 1998, à la demande du Conseil d’Etat, le ministère des Affaires étrangères fit part de ses observations sur le recours de la requérante et notamment sur l’application de ces accords. Dès connaissance de ces observations, la requérante produisit au Conseil d’Etat des attestations émanant de diverses autorités algériennes et établissant la reconnaissance de la validité de plein droit en Algérie des diplômes obtenus en France par des praticiens français. Ces éléments apportaient donc la preuve de l’existence d’une application par le Gouvernement algérien des dispositions des accords d’Evian.

Néanmoins, par un arrêt du 9 avril 1999, le Conseil d’Etat rejeta la requête, sans même prendre en compte les éléments factuels apportés par la requérante, au motif "qu’il n’appartient pas au juge administratif d’apprécier si et dans quelle mesure les conditions d’exécution par l’autre partie d’un traité ou d’un accord sont de nature à priver les stipulations de ce traité ou de cet accord de l’autorité qui leur est conférée par la constitution". Finalement, et par décision du 12 avril 1999, le conseil national de l’ordre des médecins des Bouches-du-Rhône décida d’inscrire la requérante au tableau.

La question principale soulevée devant la Cour européenne des droits de l’homme était la suivante : le juge administratif constitue-t-il toujours un tribunal indépendant et impartial dès lors qu’il demande au ministère des affaires étrangères d’apprécier la condition de réciprocité d’un accord international. En effet, l’article 55 de la Constitution française affirme la supériorité des traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés sur la loi, dès leur publication, "sous réserve de son application par l’autre partie". Cette disposition a été interprété, dans les rares affaires soumises au Conseil d’Etat, comme interdisant au juge d’apprécier l’effectivité de la condition de réciprocité et lui enjoignant de renvoyer par le jeu de la question préjudicielle l’appréciation de cette condition devant le ministre des affaires étrangères, appréciation s’imposant au Conseil d’Etat.

La solution du juge administratif reposait sur un principe fondateur : celui de la séparation des pouvoirs. Il ne revient pas au juge d’apprécier le comportement d’un Etat étranger et en particulier d’appréciation l’opportunité pour le Gouvernement français de dénoncer l’application d’un accord international au seul motif que celui-ci n’est pas appliqué par l’autre partie. Dans le cas contraire, cela aurait pu être interprété comme une ingérence du juge dans les pouvoirs politiques.

Seulement, la CEDH ne suit pas cet argumentaire. Au contraire, elle relève que l’interposition de l’autorité ministérielle, fut déterminante pour l’issue du contentieux juridictionnel, ne se prêtait à aucun recours de la part de la requérante, qui n’a d’ailleurs eu aucune possibilité de s’exprimer sur l’utilisation du renvoi préjudiciel ou sur le libellé de la question, ni de faire examiner ses éléments de réponse à cette question, ni de pouvoir ainsi répliquer au ministre, le cas échéant de façon utile, voire décisive aux yeux du juge.

Ainsi, le Conseil d’Etat s’étant considéré comme lié par cet avis, "il s’est ainsi privé volontairement de la compétence lui permettant d’examiner et de prendre en compte des éléments de fait qui pouvaient être cruciaux pour le règlement in concreto du litige qui lui était soumis". Il ne pouvait pas donc être regardé comme un tribunal impartial et indépendant au sens de l’article 6§1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Cette décision risque d’avoir des implications assez forte notamment, à terme, dans le domaine des actes de gouvernement. Cette notion même n’est elle pas amené à disparaître ? Nous reviendrons plus en détail prochainement sur cette affaire, ayant assuré la défense et la représentation de Mme Chevrol devant la Cour européenne des droits de l’homme. (BT)

 


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