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LES DERNIERES DECISIONS :
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Décision n° 88-D-26 du 14 juin 1988 relative à des pratiques d’ententes dans le secteur de l’enseignement de la conduite des véhicules dans le département de l’Ain
Décision n° 88-D-25 du 14 juin 1988 relative à des pratiques mises en oeuvre par différentes entreprises de génie climatique lors de l’attribution de marchés publics et privés dans les régions Provence, Côte d’Azur et Rhône-Alpes
Décision n° 88-D-24 du 17 mai 1988 relative à une saisine et à une demande de mesures conservatoires émanant de la Société d’exploitation et de distribution d’eau (S.A.E.D.E.)
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19 mai 2002

Décision n° 88-D-16 du 29 mars 1988 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des enveloppes de postes de transformation du courant électrique de moyenne tension

LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,

Vu la lettre en date du 17 mars 1987 par laquelle le ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de la privatisation a saisi le Conseil de la concurrence d’un dossier relatif à la situation de la concurrence dans le secteur des enveloppes de postes de transformation du courant électrique de moyenne tension ;

Vu les ordonnances n° 45-1483 et n° 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, relatives respectivement aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ;

Vu l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;

Vu les pièces du dossier ;

Vu les observations présentées par les parties ;

Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ;

Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées :

I. - Constatations

A. - Les caractéristiques du secteur

1. La diversité et les caractéristiques des produits

Le transport à longue distance du courant électrique se fait à haute tension (40 000 volts et plus) et son utilisation s’opère fréquemment à basse tension (220 ou 380 volts). Pour passer de l’une à l’autre, il est techniquement nécessaire d’utiliser le relais de la « moyenne tension » et, normalement, l’on recourt à cette fin à des équipements dénommés « cellules » ; celles-ci devant être protégées sont logées dans des enveloppes qui, depuis une quinzaine d’années, sont pour l’essentiel « préfabriquées » et non réalisées sur place. Il existe trois catégories différentes d’enveloppes destinées à la protection du matériel électrique moyenne tension.

Les postes « bas de poteau simplifié » (P.B.S.) sont les plus simples et les plus petits -, limités à une puissance maximale de 250 kVA, ils ne sont pas équipés de cellules.  Principalement destinés à une utilisation en milieu rural, ces postes sont entièrement préfabriqués en usine et livrés prêts à être raccordés.

Les postes « urbains compacts » (P.U.C.), destinés à abriter de l’appareillage moyenne tension et basse tension, sont de dimension plus grande et leur installation est plus complexe car ils sont enterrés sur 60 centimètres de leur hauteur. Il sont également préfabriqués.

Les postes « à couloir de manoeuvre » (P.A.C.) sont encore plus grands. Ils sont équipés de transformateurs et de cellules. Si ces équipements peuvent être entièrement préfabriqués, ils peuvent également être réalisés sur place par des petites entreprises ou des artisans.

Ainsi, en raison de leurs caractéristiques et de leurs utilisations spécifiques, ces différents produits ne sont pas en concurrence entre eux et forment trois marchés distincts.

L’une des caractéristiques essentielles de ces différents produits est que ce sont des produits banals. Les normes imposées par E.D.F. sont aisément maîtrisables et la production d’enveloppes n’exige pas des investissements industriels particuliers. L’accès au marché de ces produits est donc aisé. Par ailleurs, les enveloppes préfabriquées étant le plus souvent réalisées en béton et étant volumineuses, leur transport est difficile et onéreux. La localisation géographique des constructeurs est essentielle et les importations et exportations s’en trouvent marginalisées.

2. Les caractéristiques de la demande :

Les enveloppes, objet de la présente décision, peuvent être vendues vides ou vendues équipées en totalité ou en partie. Si l’enveloppe vide (dénomination qui recouvre l’enveloppe stricto sensu, mais également les accessoires de base, circuit de terre, liaison basse tension ... ) constitue en elle-même un marché, il est fréquent que son achat s’accompagne de la fourniture de l’équipement destiné à y être intégré. Cette distinction est essentielle car, selon les cas, la concurrence va porter sur le prix de l’enveloppe vide ou sur le prix d’un ensemble total ou partiel d’équipements (enveloppe plus transformateur, plus cellule, etc.).

Globalement, en valeur, l’administration évalue le marché des enveloppes aux alentours de 300 millions de francs (année 1984).  La même année, en volume, la part revenant aux postes «  bas de poteau simplifié » était évaluée à 46 p. 100 de la demande totale (3 710 postes sur 8 085 postes)  ; les parts revenant aux « postes urbains compacts » et aux « postes à couloir de manoeuvre » se montaient respectivement à 13 et 41 p. 100.

L’acheteur principal sur le marché des enveloppes est E.D.F.  ; sa demande correspond à 65 p. 100 de la demande totale.  E.D.F. n’est cependant pas en mesure d’exercer sa puissance d’achat car, pour une large part, les acquisitions sont réalisées de manière décentralisée par ses services régionaux d’approvisionnement des marchés.

Les achats des services E.D.F. portent sur des enveloppes vides ; les cellules et les transformateurs qui les équipent font l’objet de marchés spécifiques. Les achats d’E.D.F. relatifs aux enveloppes résultent d’appels d’offres. Il s’agit là de marchés de fournitures, sans engagement de commandes. Après dépouillement des offres, E.D.F. négocie systématiquement avec les soumissionnaires. Il est de coutume que les marchés des postes PAC soient conclus sur une base régionale et à périodicité variable tandis que les marchés propres aux postes PBS et PUC sont plus volontiers conclus sur une base nationale et pour une durée d’un an.

3. Les caractéristiques de l’offre

Une quinzaine d’entreprises de dimension modeste employant de 10 à 100 salariés interviennent sur les marchés des postes préfabriqués.

Le nombre des fournisseurs en postes PBS et PUC se situe pour chacun de ces marchés aux alentours de huit. Deux d’entre eux, les sociétés Transpost et Serem, filiale d’Alsthom, offrent au total 30 et 25 p. 100 des productions de postes PBS et PUC. Pour leur part, les sociétés affiliées à Merlin Gerin (Saem, Sbruzzi, Sapem et Rochier) contribuent à hauteur de 20 et 29 p. 100 à l’offre respective de ces deux catégories de postes. Pour les postes PBS, l’offre

est par ailleurs assurée par les sociétés Simplex (29 p. 100 du marché), Erie (10p. 100 du marché), Beaufils (6 p. 100) et Jedelec (5 p. 100). Pour les postes PUC, les parts revenant aux sociétés Jedelec, Erie et Beaufils sont évaluées respectivement à 17, 14 et 13 p. 100. Toutes ces données se réfèrent à l’année 1984.

Les fournisseurs de postes préfabriqués PAC sont plus nombreux. Il reste cependant que les sociétés respectivement affiliées à Alsthom et Merlin Gerin satisfont l’offre de manière prééminente en détenant 37 et 26 p. 100 du marché. L’offre est par ailleurs assurée par les société Erie, Beaufils, Monolit, Normatransfo, Geliot, etc. Il reste que ces différents producteurs sont concurrencés par des fournisseurs artisanaux réalisant in situ des travaux de maçonnerie, mais la part occupée par ces derniers dans la demande globale n’a pu être évaluée.

La structure de l’offre concernant les marchés des enveloppes (pour postes PBS, PUC et PAC, préfabriqués ou non) fait ainsi apparaître deux catégories d’intervenants. Tandis que certains d’entre eux sont intégrés à des fournisseurs de cellules et de transformateurs, d’autres, appelés « incorporateurs indépendants », sont tenus de s’approvisionner auprès des fournisseurs de ces matériels lorsque le client commande des enveloppes équipées.

B. - Les pratiques relevées

Les éléments de fait soumis à l’appréciation du Conseil et qui se rapportent au marché des enveloppes remontent aux années 1983-1984.

Si certaines des pièces versées au dossier (pièces nos 54, 55, 57, 59, 60 et 61) témoignent d’un état de réelle concurrence entre les producteurs intégrés d’enveloppes que sont les sociétés Alsthom, Merlin Gerin et leur filiales respectives, d’autres pièces font état de tentatives de concertation entre ces sociétés. Des documents, émanant de la seule société Merlin Gerin, évoquent le besoin de « remise en ordre professionnelle » et la nécessité de « bâtir à terme assez court une politique professionnelle commune à A.A. (Alsthom) et M.G. (Merlin Gerin) » (pièce n° 8), de « maîtriser la concurrence des incorporateurs indépendants » (pièce n° 9), de « limiter les indépendants à leur volume actuel ou même de les affaiblir », de « contrôler la concurrence » (pièce n° 11), de « revenir à la vérité pour le prix des enveloppes » (pièce n° 15). Toutefois un autre document, émis par la société Alsthom (pièce n° 19), révèle des divergences entre les sociétés Alsthom et Merlin Gerin à propos de leur attitude à l’égard de ce marché. Tandis que la société Merlin Gerin souhaiterait qu’on « laisse survivre » quelques incorporateurs indépendants et qu’« on les amène à table », la société Alsthom « souhaite au contraire aller rapidement jusqu’au bout, afin qu’il n’y ait plus que les groupes A.A. et M.G. ».

Les pièces nos 13, 18, 19, 22 et 23 rendent compte du fait que des représentants des sociétés Alsthom et Merlin Gerin ont envisagé des concertations destinées à provoquer le relèvement du prix des cellules et à s’interdire «  de mettre des stocks de cellules en consignation chez les indépendants  » (pièce n° 18). Les pièces nos 18 et 19 évoquent par ailleurs l’idée qu’une « intervention  » a été envisagée par les fournisseurs de cellules vis-à-vis du dirigeant de la société Le Béton visant à cantonner l’activité de cette dernière société dans la production de poteaux. Enfin, selon la pièce n° 25, non visée dans la notification de griefs mais citée dans le rapport, des représentants des sociétés Alsthom et Merlin Gerin ont, à l’occasion d’une réunion commune tenue le 17 avril 1984, envisagé la mise en place d’« un barème professionnel » concernant les enveloppes.

Par ailleurs, en décembre 1983, le service régional d’approvisionnement des marchés (S.R.A.M.) de Clermont-Ferrand a lancé une consultation concernant des postes PAC, la remise des plis étant fixée le 5 janvier 1984. Les pièces 45 à 48 démontrent que ce marché a donné lieu à des concertations.  Ainsi, la pièce n° 47 (document Merlin Gerin établi postérieurement à la remise des plis) précise qu’« à l’issue d’une consultation assez généralisée du S.R.A.M. de Clermont-Ferrand, nous avons répondu avec la stratégie suivante... discussion avec Alsthom pour une harmonisation des prix des deux groupes pour les enveloppes béton... Avant la remise des plis, des contacts ont eu lieu entre Merlin Gerin et Serem plus Transpost ».

Les pièces 45, 46 et 48 démontrent que la concertation s’est poursuivie lorsqu’E.D.F. a entamé des négociations avec les entreprises soumissionnaires présélectionnées et que la société Monolit y a participé. Tel est le sens des mentions portées sur la pièce n° 45 émanant de Merlin Gerin datée du 24 janvier 1984 « marché régional E.D.F. pour enveloppes... J’ai eu une concertation avec A.A. : Serem se fait couvrir par Transpost ; voici les prix Serem. J’ai fait mettre Monolit dans les mêmes eaux ».

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence,

Considérant que, dans le cas où les faits constatés sont antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986, l’absence de vide juridique résulte de l’application des règles de fond contenues dans l’ordonnance du 30 juin 1945 dans la mesure où les qualifications énoncées par celle-ci sont reprises par le nouveau texte ; que l’ordonnance du 1er décembre 1986 dispose que les pouvoirs de qualification des pratiques anticoncurrentielles et de décision antérieurement dévolus au ministre chargé de l’économie, sont confiés au Conseil de la concurrence ; qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 59 de cette ordonnance, demeurent valables les actes de constatation et de procédure établis conformément aux dispositions de l’ordonnance du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient visées par les dispositions du premier alinéa de l’article 50 de cette dernière ordonnance et auxquelles les dispositions de son article 51 n’étaient pas applicables, sont identiques à celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que la politique de hausses coordonnées des prix des cellules de nature à porter préjudice au développement des incorporateurs indépendants a déjà fait l’objet d’une qualification antérieure et donné lieu à la décision n° 88-D-10 du Conseil de la concurrence en date du 1er mars 1988 ;

Considérant que, d’une part, le Conseil de la concurrence ne peut valablement statuer sur un grief que si celui-ci a fait l’objet d’une notification effectuée dans les conditions fixées par l’article 21 de l’ordonnance n° ’ 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu’en l’espèce le grief relatif à l’existence d’un barème professionnel concernant les enveloppes n’ayant pas donné lieu à une telle notification à l’encontre des sociétés Alsthom et Merlin Gerin, ce grief ne peut être retenu en l’état du dossier ; que, d’autre part, il n’y a pas lieu, à défaut d’élément de preuve suffisant sur ce point, de procéder à une notification de griefs complémentaire ;

Considérant que si le rapprochement des mentions contenues dans les pièces nos 18 et 19 montre que les sociétés Alsthom et Merlin Gerin ont étudié la possibilité d’une action concertée destinée à contrarier le développement de la société Le Béton, ces mentions ne sont pas, faute d’autres éléments, suffisantes pour établir l’existence d’un accord sur ce point ; qu’au surplus le dirigeant de la société Le Béton, qui commençait à aborder le marché des postes préfabriqués, a déclaré n’avoir jamais été l’objet de « pressions » de la part des fournisseurs de cellules ;

Considérant qu’il n’est pas établi qu’en envisageant de s’interdire de « faire des stocks de cellules chez les incorporateurs quels qu’ils soient », les sociétés Alsthom et Merlin Gerin aient entendu, par là même, éliminer lesdits incorporateurs du marché ; qu’aussi bien il ne résulte pas du dossier que des incorporateurs aient éprouvé des difficultés dans l’exécution des commandes qu’ils passaient ;

Considérant que le marché lancé à la fin de l’année 1983 par le service régional d’approvisionnement des marchés d’EDF à Clermont-Ferrand a donné lieu à une concertation visant à « l’harmonisation des prix  » entre les sociétés Serem, Transpost et Merlin Gerin avant la remise des plis ; que ces entreprises se sont une nouvelle fois concertées, après la remise des plis, en vue de faire obstacle aux prétentions de baisse de prix émanant du service acheteur que la société Monolit a alors participé à ces nouvelles concertations ; que les sociétés Serem, Transpost, Merlin Gerin et Monolit ont entendu faire obstacle à l’abaissement des prix ; qu’elles ont ainsi contrevenu aux dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; que les dispositions de son article 51 ne sont pas applicables ; que les faits constatés sont également contraires aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ; qu’il y a donc lieu d’infliger des sanctions pécuniaires ;

Considérant, en ce qui concerne le montant des sanctions pécuniaires, que la société Transpost a absorbé la société Serem le 1er janvier 1986 ; que la société Monolit, après avoir adhéré à l’entente au lendemain de la remise des plis, s’en est finalement retirée,

D E C I D E :

Article unique  : Il est infligé à chacune des sociétés Merlin Gerin et Transpost une sanction pécuniaire de 200 000 F , une sanction pécuniaire de 100 000 F est infligée à la société Monolit.

Délibéré en formation plénière, sur le rapport de M. A.-P. WEBER, dans la séance du 29 mars 1988, où siégeaient M. LAURENT, président ; MM. BETEILLE et PINEAU, vice-présidents ; MM. BON, CABUT, CERRUTI, CORTESSE, FRIES, GAILLARD, Mme LORENCEAU, MM. MARTIN-LAPRADE, SARGOS, SCHMIDT, membres.

 


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