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19 mai 2002

Décision n° 88-D-08 du 16 février 1988 relative à des pratiques anticoncurrentielles relevées à l’occasion d’un appel d’offres pour la construction d’un restaurant scolaire à Aix-en-Provence

LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE,

Vu la lettre en date du 13 mai 1987 par laquelle le ministre d’Etat, ministre de l’économie, des finances et de la privatisation, a saisi le Conseil de la concurrence du comportement de deux entreprises ayant participé à un appel d’offres visant la construction d’un restaurant scolaire à Aix-en-Provence ;

Vu les ordonnances nos 45-1483 et 45-1484 du 30 juin 1945 modifiées, respectivement relatives aux prix et à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique ;

Vu l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, modifiée, ensemble le décret n°86-1309 du 29 décembre 1986 pris pour son application ;

Vu les lettres du 18 novembre 1987 du président du Conseil de la concurrence notifiant aux parties la transmission du dossier à la commission permanente, conformément aux dispositions de l’article 22 de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 ;

Vu les pièces du dossier ;

Le rapporteur, le rapporteur général, le commissaire du Gouvernement et les parties entendus ;

Retient les constatations (I) et adopte la décision (II) ci-après exposées.

I. - Constatations

a) Le marché

La commune d’Aix-en-Provence a lancé en mai 1984 un appel d’offres restreint pour la construction d’un restaurant scolaire destiné à l’école maternelle du Roi-René et à l’école primaire Sallier. La date limite de réception des candidatures a été fixée au 13 juin 1984. Le montant total des travaux à réaliser a été estimé à 2 354 640 F T.T.C.
Le marché était décomposé en dix lots.

S’agissant du lot n°2, comprenant le gros oeuvre, les revêtements muraux, le sol et l’étanchéité pour un montant estimé à 1 031 800 F, quinze entreprises ont déposé leur candidature et les entreprises Enco-J. Begue, Rodari, Viaux et Fils, Olivero, S.E.C.T.P. et M.V.1. ont été retenues pour soumissionner lors de la séance d’admission tenue par la commission d’appel d’offres le 20 juin 1984.

A l’ouverture des plis, le 14 septembre 1984, les propositions des entreprises Enco-J. Begue et Rodari B.T.P., qui étaient les deux moins-disantes, ont été respectivement de 1 598 256,95 F et de 1 741 784,50 F.

Le montant des propositions dépassant très largement le montant des estimations, l’appel d’offres a été déclaré infructueux pour l’intégralité des lots le 19 septembre 1984.

La commission d’appel d’offres a invité dix entreprises générales à remettre avant le 15 octobre 1984 une offre globale, faisant toutefois apparaître le montant demandé pour chacun des lots.

En ce qui concerne ce second appel d’offres, cinq entreprises ont répondu.  En particulier, la société anonyme Enco-J. Begue a fait parvenir une offre globale de 3 404 987,68 F. Cette offre, la moins-disante de toutes, dépassait cependant le total des offres moins-disantes du premier appel d’offres. Aussi la commission d’appel d’offres a-t-elle décidé le 17 octobre 1984 de déclarer à nouveau l’appel d’offres infructueux.

L’entreprise Rodari n’a pas soumissionné à ce second appel car elle n’avait pas été retenue par la commission.

Un troisième appel d’offres a été lancé, avec possibilité de présenter des variantes et d’obtenir un ou plusieurs lots séparés. La date limite de réception des offres a été fixée au 14 décembre 1984.

La société Enco-J. Begue est arrivé en troisième position des entreprises moins-disantes en ayant fait, en ce qui concerne le lot n°2, une proposition principale de 1 565 687,56 F et une variante pour 1 369 021,85 F.

Ses propositions, tous lots confondus, ont été de 3 302 838,04 F et de 2 967 604, 26 F pour la variante.

L’offre pour le lot n° 2, soit 1 565 687,56 F, correspondait à celle du premier appel, avec un rabais de 3 p. 100 sur le montant hors taxe des travaux.

Quant à la société Rodari, elle ne présentait qu’une offre, concernant le lot n°2, de 1 681 635,33 F.

La commission d’appel d’offres a désigné le 18 décembre 1984 la société Gagneraud, dont l’offre était de 1 191 729,31 F pour le lot n°2, attributaire dudit lot.

b) Le comportement des entreprises.

Il résulte des documents saisis par les enquêteurs de la direction régionale de Marseille de la concurrence et de la consommation que les entreprises qui ont participé à l’appel d’offres visant à la construction du restaurant de l’école maternelle du Roi René et de l’école primaire Sallier se sont tenues en contacts étroits.

Ceci ressort en particulier de l’examen du cahier des appels téléphoniques de la société Enco-J. Bègue où sont portées les mentions suivantes : « 8 octobre 1984. - M. Armand. - Entreprise J.P. Adam... Rappeler au sujet du restaurant école maternelle Roi René ». - « 11 octobre 1984. - Michel et Cie de Miramas-Aff.  Restaurant école Aix ne donne pas suite ». - « 12 octobre 1984. - Entreprise Cardini... rappeler... au sujet école Aix » (pièce A9/8).

De même, au siège de la société Viaux et fils, qui a répondu au premier et au troisième appel d’offres, ont été saisies des notes manuscrites indiquant : «  Gardiol-Pizoni... le rappeler pour nous remettre des prix pour nous couvrir il ne répond pas » (pièce A9/13).

Le contenu de ces documents reste équivoque mais d’autres documents, plus précis, ont également été saisis.

En particulier, au siège de l’entreprise Rodari a été découvert le manuscrit du devis quantitatif estimatif de trente-trois pages contenant les métrés, surfaces, cubages, poids et prix détaillés, établi par la société Enco-J.  Bègue pour l’appel d’offres du 14 septembre 1984 (premier appel d’offres, pièce n° B II 1).

Au siège de l’entreprise Rodari et à celui de l’entreprise Olivero, a été saisi un devis quantitatif et estimatif dactylographié, se présentant sous une forme récapitulative pour le document découvert chez Rodari et sous forme récapitulative et détaillée pour le document découvert chez Olivero.

Ces devis comportent la liste des sous-traitants pour les lots 1 et 3 à 9, et sont relatifs au deuxième appel d’offres du 17 octobre 1984 (pièces A9/11 et A9/12).

La société Rodari n’a pas soumissionné lors du deuxième appel d’offres, mais s’est présentée au troisième et dernier appel.

Quant à l’entreprise Olivero elle n’a participé qu’au premier appel d’offres.

Les auditions des responsables des sociétés Enco-J.  Bègue et Rodari concernant la communication des devis ont révélé des contradictions.

M. Jacques Bègue, lors de son audition du 9 mai 1985, a déclaré  : « J’ai demandé conseil auprès de M. Henri Rodari et de son métreur. M. Rodari a bien voulu faire un pointage sur mon métré de détail et m’a indiqué qu’à son avis j’étais très compétitif. Le document que vous me dites avoir trouvé chez M. Rodari est certainement une photocopie de mon métré de base écrit à la main. Ensuite, j’ai discuté avec M. Olivero qui a l’habitude de travailler pour la mairie d’Aix. Je lui ai demandé son avis pour ma proposition de base tapée à la machine et ceci pour ciblage de mes prix unitaires. Olivero m’a dit que j’étais parfaitement dans le coup » (pièce A9/10).

Quant à M. Henri Rodari, il a précisé le 18 avril 1985 « Le document intitulé Restaurant scolaire Sallier Roi René, devis estimatif des travaux comportant trente-trois pages... est en fait une photocopie de l’étude réalisée pour ce marché par l’entreprise Bègue. Celle-ci me l’a communiqué pour le troisième appel d’offres lancé pour le marché, afin que je puisse moi-même faire ma propre proposition de prix... le niveau de prix proposé par ma propre société est supérieur à celui de l’entreprise Bègue qui était à mon sens trop faible compte tenu de la difficulté de ce chantier » (pièce A9/7).

Les explications de M. Henri Rodari sont contredites par celles données par la gérante de la S.A.R.L. Rodari. Dans l’un de ses dires il est précisé, outre les liens d’amitié unissant MM. J. Bègue et H. Rodari, que M. Bègue a apporté à la société Rodari, « pour contrôle », son offre de prix, offre qui a été « trouvée plus que raisonnable ».

La société Enco-J. Bègue a repris les déclarations faites lors de l’enquête administrative et dit avoir confié son étude à M. Rodari « à titre de conseil et d’ami » afin que les entreprises Enco-J. Bègue et Rodari puissent vérifier « la compétence technique de leurs services d’études » tout en indiquant dans le même document que ses techniques sont différentes de celles de l’entreprise Rodari et en affirmant avoir ignoré « jusqu’à la visite des contrôles » la participation de la société Rodari au troisième appel d’offres.

Dans des observations en réponse à la notification de griefs la société Enco-J. Bègue soutient que le fait de demander conseil à l’entreprise Rodari, après le deuxième appel d’offres, n’a pas eu pour effet de réduire le jeu de la concurrence puisque l’entreprise Viaux a répondu plus favorablement que Enco-J. Bègue et que l’entreprise Gagneraud a été encore moins-disante.

II. - A la lumière des constatations qui précèdent, le Conseil de la concurrence

Considérant que, s’agissant de l’application par un organisme non juridictionnel d’un texte qui n’est pas de nature pénale, le droit transitoire à appliquer répond aux deux principes suivant lesquels l’abrogation d’un texte ne vaut que pour l’avenir tandis que les faits antérieurs à l’abrogation sont examinés au regard des règles de fond en vigueur à l’époque où ils sont intervenus ; que dans ces conditions les faits ci-dessus constatés étant antérieurs à l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 1er décembre 1986, les articles 50 et 51 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 demeurent applicables en l’espèce ;

Considérant qu’il résulte des dispositions générales de l’ordonnance n°86-1243 du 1er décembre 1986 que le Conseil de la concurrence a remplacé la Commission de la concurrence pour l’examen des pratiques anticoncurrentielles ; que les pouvoirs de qualification de ces pratiques et de décision, antérieurement dévolus au ministre chargé de l’économie, ont été confiés au Conseil de la concurrence ;

qu’en vertu des dispositions du dernier alinéa de l’article 59 de l’ordonnance, demeurent valables les actes de constatation et de procédure établis conformément aux dispositions de l’ordonnance n°45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’enfin les pratiques qui étaient visées par les dispositions du premier alinéa de l’article 50 de cette ordonnance et auxquelles les dispositions de son article 51 n’étaient pas applicables sont identiques à celles qui sont prohibées par l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986 ;

Considérant que les concertations ayant pour objet, lors d’un appel d’offres, de désigner à l’avance l’entreprise qui devra apparaître comme la moins disante et d’organiser le dépôt d’offres de couverture par les autres faussent le jeu de la concurrence et sont prohibées par les dispositions de l’article 50 susvisé  ; que sont également répréhensibles les pratiques par lesquelles les entreprises procèdent à des échanges d’information préalablement au dépôt effectif de leurs offres ;

Considérant que l’entreprise Enco-J. Begue, moins-disante lors des deux premiers appels d’offres, a transmis les devis estimatifs des travaux qu’elle avait établis pour ces appels à l’entreprise Rodari arrivée en seconde position lors du premier appel ; que cette dernière, en soumissionnant en même temps qu’Enco-J.  Begue au troisième et dernier appel d’offres portant sur les mêmes travaux faisant l’objet du lot n° 2, mais à un prix supérieur et dans des conditions succinctes d’élaboration de son devis, a présenté une offre ayant les caractères d’une offre de couverture destinée à renforcer la position de moins-disant de son concurrent apparent ,

Considérant, d’une part, que M. Henri Rodari a déclaré le 18 avril 1985 qu’un des devis litigieux lui avait été communiqué par la société Enco-J. Bègue pour le troisième appel d’offres, afin de pouvoir établir lui-même sa propre proposition de prix et que, d’autre part, l’entreprise Enco-J. Begue n’avait aucun intérêt à soumettre pour avis un devis détaillé à une entreprise utilisant, comme elle le reconnaît elle-même, des procédés techniques aussi peu comparables aux siens ; que dès lors doivent être écartées les explications de la société Enco-J. Begue selon lesquelles la fourniture de son devis chiffré à la société Rodari après le second appel d’offres aurait été faite à titre de contrôle de son offre de prix et pour vérifier la « compétence technique de leurs services d’études » respectifs ;

Considérant que la justification que la société Enco-J. Begue entend tirer de l’intérêt de faire contrôler ses prix et de faire exécuter un pointage sur son métré n’explique pas pourquoi la liste des sous-traitants qu’elle avait arrêtée pour répondre à l’appel d’offres global se retrouve jointe au devis estimatif chez deux de ses concurrents, l’entreprise Rodari et l’entreprise Olivero ,

Considérant que, dans ses observations orales, l’entreprise Rodari se prévaut à tort de la compétitivité de son offre pour le lot n° 2 lors du troisième appel d’offres, alors que son devis présentait un caractère sommaire et que ses propositions étaient très proches de celles qu’elle avait formulées lors du premier appel d’offres, qu’elles étaient supérieures à celles connues de son concurrent Enco-J.  Begue et n’avaient par conséquent aucune chance d’être retenues  ;

Considérant que la circonstance qu’à défaut d’éléments suffisants, aucun grief n’ait été notifié à des entreprises autres que Enco-J. Begue et Rodari n’établit pas qu’il n’y ait pas eu entente entre ces deux sociétés  ;

Considérant que le fait que d’autres entreprises aient soumissionné lors du troisième appel d’offres et que deux autres entreprises aient été moins-disantes lors de cet appel n’établit pas davantage qu’il n’y ait pas eu entente entre la
société Enco-J. Begue et la société Rodari ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le comportement des sociétés Enco-J. Begue et Rodari, constitutif d’une entente préalable au troisième et dernier appel d’offres, a eu pour objet et a pu avoir pour effet de restreindre le jeu de la concurrence sur le marché considéré ; qu’un tel comportement tombe sous le coup des dispositions de l’article 50 de l’ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 ; qu’il n’est pas établi que l’article 51 soit applicable ; que de telles pratiques sont également visées par les dispositions de l’article 7 de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er décembre 1986 ;

D E C I D E :

Article unique : Il est infligé à la société anonyme Enco-J. Begue et à la S.A.R.L. Rodari une sanction pécuniaire de 50 000 F pour chacune.

Délibéré en commission permanente, sur le rapport de M. PERS, dans la séance du 16 février 1988, où siégeaient : M. LAURENT, président ; M. PINEAU, vice-président, et M. SCHMIDT, conseiller remplaçant, M. BETEILLE, vice-président, empêché.

 


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