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19 mai 2002

Décision n° 2002-D-17 du 12 mars 2002 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés concernant la rénovation du centre hospitalier de Narbonne

LE CONSEIL DE LA CONCURRENCE, siégeant en Commission permanente,

Vu la lettre enregistrée le 17 décembre 1997 sous le numéro F 1001, par laquelle le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a saisi le Conseil de la concurrence de pratiques relevées lors de la passation d’un marché public de rénovation de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu à Narbonne ;

Vu le livre IV du code de commerce et le décret n° 86-1309 du 29 décembre 1986, modifié, fixant les conditions d’application de l’ordonnance n° 86-1243 du 1er  décembre 1986 ;

Vu la lettre du 13 juillet 2000 par laquelle la présidente du Conseil de la concurrence a notifié aux parties et au commissaire du gouvernement sa décision de porter l’affaire devant la commission permanente en application de l’article L. 463-3 du code de commerce ;

Vu les observations présentées par les sociétés SAES, SM et par le commissaire du Gouvernement ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Le rapporteur, la rapporteure générale adjointe, le commissaire du Gouvernement et les sociétés SAES et SM entendus lors de la séance du 15 janvier 2002 ;

Adopte la décision fondée sur les constatations (I) et sur les motifs (II) ci-après exposés :

I. - Constatations

Le marché concerné

Le 11 avril 1996, l’Hôtel-Dieu de Narbonne, poursuivant son programme de rénovation engagé quelques années plus tôt, a lancé un appel d’offres en vue de la rénovation des bâtiments abritant le plateau technique et les services de chirurgie. Onze entreprises ont soumis une offre, dont la société SAES, agissant seule, et la société SM, en groupement avec deux autres entreprises locales, les sociétés Camel et Combres-Tesquier.

Après réception des offres, l’établissement public a demandé aux entreprises de procéder à quelques rectifications des propositions de prix présentées, pour tenir compte de la clarification apportée à la suite des contradictions qu’il avait relevées entre le cahier des clauses administratives particulières et le plan général de sécurité. En méconnaissance des dispositions du code des marchés publics, qui prescrit la confidentialité en matière de transmission des offres, l’hôpital a demandé aux entreprises délégataires de transmettre leurs propositions amendées par télécopie. Le marché a été attribué le 4 juin 1996 par la commission d’appel d’offres à SAES, qui présentait l’offre la moins-disante.

Saisi par la société SM d’une demande d’annulation de la procédure de passation du marché, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Montpellier, statuant en application des dispositions de l’article L. 22 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel alors en vigueur, a annulé la procédure de passation par une ordonnance rendue le 31 juillet 1996.

Le 18 novembre 1996, conformément aux prescriptions de l’ordonnance, l’Hôtel-Dieu a lancé un second appel d’offres, intégrant d’emblée les conséquences de la clarification du cahier des clauses administratives particulières. Cinq offres ont été remises, dont celle du groupement constitué par les sociétés SM et SAES, qui a obtenu le marché, en faisant la proposition la moins-disante.

Le montant de l’offre du groupement constitué par les sociétés SM et SAES, qui n’ont pas postulé par ailleurs individuellement au marché, s’est révélé supérieur de 16 % à l’offre présentée par la seule société SAES, lors de la première phase.

Lors du premier appel d’offres, en effet, après intégration des modifications demandées par le maître de l’ouvrage, la société SAES avait présenté l’offre la moins-disante, qui s’élevait à 15 440 000 F HT. De son côté, le premier groupement piloté par la société SM avait fait une offre qui s’élevait à 19 297 517 F HT, proche de l’estimation administrative, fixée à 20 500 000 F HT.

Lors du second appel d’offres, les propositions de prix recueillies le 18 novembre 1996 se présentaient de la façon suivante :

Entreprises

Offre HT (en francs)

Ecart par rapport à l’offre modifiée

SM-SAES

17 904 383

- 1 393 134 (SM)
+ 2 464 383 (SAES)

Occitane-Giraud

17 950 000

+ 514 822

Travaux du Midi

18 501 305

- 268 995

Escourrou

19 398 674

- 334 332

Dumez

20 565 731

- 181 465


Les pratiques relevées

L’enquête menée par l’administration en décembre 1996 a fait apparaître que l’entreprise SAES avait déjà cherché à se rapprocher de l’entreprise SM, avant le premier appel d’offres. Dans une déclaration faite le 12 décembre 1996 aux enquêteurs, M. Ther, chef d’agence de la société SAES, a déclaré : "Pour le marché initial, des contacts avaient été pris avec la société SM car elle présentait pour SAES l’avantage d’être une entreprise locale". M. Maratuech, président du conseil d’administration de la société SM, dans une déclaration faite le même jour aux enquêteurs, confirme : "Avant le premier appel d’offres, j’avais été approché par un responsable de l’agence de Toulouse de la SAES qui avait certainement pensé qu’une alliance avec une entreprise locale pouvait être un élément favorable pour obtenir le marché". Ces contacts n’avaient pas abouti car la société SM s’était déjà engagée à postuler au marché en groupement avec les entreprises Combres-Tesquier et Camel.

Après avoir obtenu l’annulation de la première procédure, la société SM s’est immédiatement rapprochée de la SAES, attributaire du marché lors du premier appel d’offres, afin de constituer un groupement. Dans sa déclaration précitée, M. Ther précise : " Dès que la seconde phase a été mise en place par le maître d’ouvrage, des contacts ont aussitôt été pris par M. Maratuech". M. Maratuech, pour sa part, justifie sa démarche en indiquant : "Nous nous sommes associés au motif suivant : la notoriété et l’expérience des gros chantiers d’une entreprise de taille nationale m’a initialement fait penser que mon étude de prix n’était pas correctement montée. J’ai pensé que le savoir-faire de cette entreprise pourrait être de nature à améliorer mon étude de prix afin de rechercher toujours plus de compétitivité".

M. Maratuech ajoute toutefois : "Cette alliance me permet de maîtriser mon principal concurrent ". Par ailleurs, une hausse significative du prix de l’offre finale par rapport à l’offre moins-disante du premier appel d’offre a été constatée.

La constitution du groupement, sur le plan juridique, s’est effectuée en deux temps : une convention préalable à l’ouverture des plis du second appel d’offres a instauré un "groupement momentané d’entreprises solidaires". Une société en participation a été ensuite constituée entre les sociétés SM et SAES ; son acte constitutif énonce que la répartition des bénéfices ou des pertes entre les associés se fera au prorata des parts, soit 50 % pour chacun des associés.

Dans sa déclaration précitée, M. Ther explique les modalités d’établissement du prix proposé par le groupement : "Après confrontation des études de chacune des entreprises au niveau des approches techniques, nous sommes convenus d’un prix de soumission de 17 904 383 F HT, étant souligné que la société SM souhaitait une offre de prix plus élevée et nous un prix légèrement inférieur". Il indique également que le prix, "qui se situe volontairement en-deçà de 18 000 000 F HT (…) ne présentait plus un niveau bas comme ce fut le cas lors de la première soumission de la SAES, mais courait le risque de n’être plus compétitif".

Le grief notifié

Au vu des éléments recueillis, un grief a été notifié aux entreprises SAES et SM pour avoir mis en œuvre une entente illicite dans le cadre de leur réponse à l’appel d’offres pour la rénovation de l’Hôtel-Dieu de Narbonne, en méconnaissance des dispositions de l’article 7 de l’ordonnance du 1er décembre 1986, devenu l’article L. 420-1 du code de commerce.

II. - Sur la base des constatations qui précèdent, le conseil,

Sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les moyens de procédure ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 464-6 du code de commerce : "Lorsqu’aucune pratique de nature à porter atteinte à la concurrence sur le marché n’est établie, le Conseil de la concurrence peut décider, après que l’auteur de la saisine et le commissaire du Gouvernement ont été mis à même de consulter le dossier et de faire valoir leurs observations, qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure" ;

Considérant que les éléments figurant au dossier sont insuffisants pour établir que les entreprises SAES et SM ont mis en œuvre une entente ayant pour objet ou pouvant avoir pour effet de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de la rénovation de l’Hôtel-Dieu de Narbonne ;

Considérant en effet, en premier lieu, qu’il est loisible à des entreprises de se grouper pour répondre à un appel d’offres, un tel groupement pouvant cependant constituer, dans certaines circonstances, une pratique anticoncurrentielle contraire aux dispositions du livre IV du code de commerce ; que tel est le cas, lorsque ce groupement est de nature à éliminer, dans les faits, l’essentiel de la concurrence entre les entreprises appelées à soumissionner ou, lorsque ce groupement est constitué à l’insu du maître de l’ouvrage et que les entreprises qui se sont entendues, ou ont échangé des informations sur le montant de leur soumission, présentent des offres séparées comme si leurs stratégies étaient indépendantes ;

Considérant qu’au cas d’espèce, il est établi que les carnets de commandes des entreprises s’étaient remplis entre le mois d’avril 1996, durant lequel a été lancé le premier appel d’offres pour la rénovation de l’Hôtel-Dieu de Narbonne et le mois de novembre 1996, époque du lancement d’un nouvel appel d’offres faisant suite à l’annulation par le tribunal administratif de la précédente procédure de passation du marché ; que l’augmentation du nombre des commandes pouvait conduire les entreprises à souhaiter se grouper, afin de partager leurs moyens si elles étaient attributaires du marché ; qu’en outre, compte tenu de ce que la société SM avait été à l’origine de la demande d’annulation du marché précédent, de ce qu’elle était au surplus, une entreprise locale et avait déjà eu l’occasion de travailler sur le site de l’hôpital, il pouvait apparaître judicieux à la société SAES de se grouper avec cette entreprise pour accroître ses chances de succès ; que par ailleurs, il pouvait sembler être avantageux pour la société SM, qui cherchait un partenaire de plus grande taille ayant une expérience des grands chantiers, de se grouper avec la société SAES ;

Considérant qu’il n’est pas davantage contesté que l’offre initiale de la SAES, d’un montant de 15 440 000 F HT, était particulièrement basse ; que, de plus, entre la soumission, lors du premier appel d’offres et la soumission, lors du second appel d’offres, la nature des travaux à entreprendre avait, pour partie, été modifiée ; qu’enfin, compte tenu du niveau des commandes à l’automne 1996, les entreprises SAES et SM, qui avaient décidé de répondre en groupement, pouvaient légitimement choisir de faire une offre d’un niveau supérieur à celui que la société SAES avait initialement proposé, à un moment où elle était confrontée à une pénurie de commandes ; qu’en choisissant de proposer un prix qui leur semblait rémunérateur les entreprises du groupement, qui étaient en concurrence avec, au moins, six autres entreprises ou groupements, prenaient, certes, le risque de ne pas être retenues, risque sans conséquences très importantes pour elles au regard de leurs carnets de commandes, mais avaient, en revanche, la certitude de ne pas faire de pertes si elles emportaient le marché ; qu’ainsi, il n’est pas établi que le montant proposé, qui apparaît d’ailleurs, à posteriori, du même ordre de grandeur que le coût effectif supporté par les entreprises attributaires, ne puisse avoir d’autre explication que la mise en œuvre concertée d’une pratique ayant pour objet ou pour effet de limiter la concurrence sur le marché ;

Considérant, par ailleurs, que si le groupement en cause à été déclaré attributaire du marché en raison du fait, d’une part, que certaines entreprises, qui avaient soumissionné lors du premier appel d’offres, ont renoncé à se présenter au second, soit que leur carnet de commandes se soit rempli entre temps (augmentation de 50 % du volume de commandes par rapport à la période du lancement du premier appel d’offres dans le cas de la société Fondeville), soit, qu’elles aient estimé que le niveau des prix proposé par la SAES lors du premier appel d’offres était tellement inférieur à celui qu’elles étaient en mesure de proposer qu’elles souhaitaient ne pas se discréditer (cas de la Méridionale) et, d’autre part, que d’autres entreprises ont proposé des prix supérieurs au groupement SAES/SM, aucun élément du dossier ne permet, en revanche, d’établir que certaines des entreprises concurrentes auraient déposé, lors du second appel d’offres, des offres de couverture, ou que le groupement aurait eu la certitude, fondée sur des échanges d’information, d’apparaître comme le moins-disant ;

Considérant, enfin, que le maître d’ouvrage n’a pu être trompé sur la réalité de la concurrence, dès lors que les entreprises SAES et SM ont fait connaître leur décision de répondre en groupement, comme le leur permettait, d’ailleurs, le règlement de l’appel d’offres ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il n’est pas établi que le groupement entre les entreprises SAES et SM, pour répondre au second appel d’offres concernant la rénovation de l’Hôtel-Dieu de Narbonne, ait eu pour objet, ou pour effet, de limiter la concurrence sur le marché et constitue une pratique prohibée par les dispositions du livre IV du code de commerce ;

DéCIDE

Article unique - Il n’y a pas lieu de poursuivre la procédure.

Délibéré sur le rapport oral de M. Lénica, par M. Jenny, vice-président, présidant la séance, Mme Pasturel, vice-présidente et M. Nasse, vice-président.

 


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