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Quelques réflexions suite à la lecture de l’arrêt de la CIJ du 14 février 2002

Par Virgile RENAUDIE
Doctorant en droit à la Faculté de droit de Limoges

La récente décision de la Cour internationale de justice du 14 février 2002 opposant la République démocratique du Congo au Royaume de Belgique permet d’aborder à la fois l’immunité des membres de gouvernement suspectés d’une violation du droit international humanitaire et le principe de compétence universelle appliqué aux juridictions belges en ce domaine.

Cour Internationale de Justice, 14 février 2002 République Démocratique du Congo c/ Royaume de Belgique

En août 1998, lors d’une rébellion militaire en République Démocratique du Congo (RDC), le directeur de cabinet du Président, Abdulaye Yerodia Ndombasi, lors d’émissions télévisées, tient des propos virulent à l’encontre des rebelles venant du Rwanda, de l’Ouganda et du Burundi, et plus particulièrement à l’encontre des tutsi. Des chasses, suite à ces interventions, organisées par l’armée vont, entre autres, aboutir au massacre de civils tutsi.

Le juge d’instruction belge Vandermeersch, suite à des plaintes, va délivrer un mandat d’arrêt international, via interpol, visant M. Ndombasi, le 11 avril 2000, ce dernier étant devenu, entre-temps, ministre des Affaires Etrangères, pour crime de droit international constituant une infraction grave au sens des conventions de Genève de 1949 et de leurs protocoles de 1977 et pour crime contre l’humanité.

Le 17 octobre 2000, la RDC dépose une requête auprès du greffe de la Cour International de Justice (CIJ) contre le Royaume de Belgique arguant d’une violation du principe d’égalité souveraine des Etats membres de l’ONU, article 2§1 de la Charte, ainsi que d’une violation du principe d’immunité de juridiction des membres de gouvernement. En outre, elle met fortement en cause la compétence universelle que s’est arrogée la Belgique par la loi du 16 juin 1993, loi qui sera étendue le 10 février 1999.

Les juges de la CIJ, par treize voix contre trois retiendront la responsabilité de la Belgique, mais, malheureusement ne se prononceront pas sur la question de la compétence universelle des juridictions belges, la RDC ayant décidé de ne pas argumenter sur ce point. Cependant, malgré cet acte manqué, la décision nous inspire quelques réflexions sur certains points. Nous laisserons de côté l’aspect responsabilité internationale de l’Etat, bien que l’intérêt ne manque pas, et nous envisagerons successivement l’immunité des membres de gouvernement suspectés d’une violation du droit international humanitaire, problème explicitement traité par les juges, puis la compétence universelle des juridictions belges en ce domaine.

Section 1 - L’immunité d’un membre de gouvernement suspecté d’un crime grave de droit international

Il existe plusieurs types d’immunité, mais celle qui est en cause dans cette affaire est l’immunité de juridiction pénale et l’inviolabilité d’un membre de gouvernement en fonction. La CIJ reconnaît le caractère absolu de cette immunité de juridiction pénale lorsque le suspect est en fonction, ce qui ne signifie nullement irresponsabilité, cependant cette solution semble contestable.

A - Le principe de l’immunité de juridiction pénale.

La cour reconnaît qu’aucune convention, aucun traité ne considèrent l’immunité des chefs d’Etat et des membres de gouvernement. Seules existent les conventions de Vienne du 18 avril 1961 et du 24 avril 1963 relatives aux relations diplomatiques et consulaires et la convention de New York sur les mission spéciales du 8 décembre 1969.

Mais il ressort d’une pratique internationale, jusqu’à présent non contestée, ou du moins peu contestée, que les dirigeants d’un Etat, en fonction, bénéficient d’une immunité de juridiction pénale et d’une inviolabilité, par le biais d’une norme de droit international d’origine coutumière. Cette position semble largement reconnue, on peut citer, à titre d’exemple, un arrêt de la Cour de Cassation de France du 13 mars 2001, concernant le colonel Kadhafi [1].

Cette immunité existe pour permettre aux représentants d’un Etat d’exercer leurs fonctions correctement et librement. Elle est liée au caractère souverain de chaque Etat. Successivement, pour la justifier, on invoquait des arguments tirés du droit interne [2] et du droit international [3]. Aujourd’hui, il semble que l’on se réfère exclusivement à cette norme coutumière internationale.

Il en est autrement pour les anciens chefs d’Etat, comme le montre la décision de la chambre des Lords, du 28 octobre 1998, au sujet de Pinochet. L’immunité n’est plus opérante. Le jugement de Slobodan Milosevic par le tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie s’inscrit également dans ce type de situation.

Nous ne traiterons pas d’avantage du principe de l’immunité, et des différentes controverses au sujet de faits commis dans le cadre des fonctions, de faits commis dans le cadre de la vie privée, avant, pendant et après l’exercice de la fonction. Nous ne tenons pas à alimenter un débat quelque peu assoupi concernant, entre autres, un dirigeant d’un Etat européen placé entre la Belgique et l’Espagne, en cette période de campagne présidentielle.

B - Une absence d’exception à cette immunité de juridiction pénale contestable

La CIJ ne semble pas admettre l’existence d’une norme coutumière reconnaissant une exception au principe de l’immunité. Or la thèse inverse est largement soutenue. La question est de savoir, en l’absence de textes généraux, si la coutume consacre une telle exception au principe.

L’immunité a connu des exceptions. Le tribunal de Nuremberg a jugé l’Amiral Dönitz, considéré comme le successeur d’Hitler, mais il faut préciser que sa responsabilité n’a été retenue que pour ses fonctions de dirigeant de la marine. De plus, l’hypothèse de ce procès, et l’on pourrait citer d’autres hauts responsables du IIIème Reich jugé et bénéficiant normalement d’une telle immunité, n’est guère probante, car nous sommes dans une situation particulière, à un tournant de l’histoire du droit international pénal, dans un processus de justice des vainqueurs avec tout ce que cela implique de libertés prises avec le droit. Mais ce n’est pas pour cela que nous contestons le bien fondé d’un tel jugement. On peut également citer la tentative de jugement de Guillaume II, suite à la première guerre mondiale, en vertu des articles 227 et suivant du traité de Versailles.

Est soutenue également la thèse selon laquelle existerait une exception à l’immunité devant les juridictions internationales mais pas devant les juridictions nationales. On pourrait disserter, certes, dans ce cas il faudrait faire une distinction entre droit international pénal et droit pénal international, dans le premier cas, les deux juges, national et international, trouvent vraisemblablement leur compétence dans une convention internationale, qui, au moment de sa ratification exprime la position de la communauté internationale, être impalpable supérieur à l’Etat. Les deux juges sont donc compétents et peuvent passer outre l’immunité du dirigeant d’Etat. Soutenir cette thèse reviendrait à accorder à la seule juridiction internationale la représentation de l’intérêt de la communauté internationale, et ce malgré l’existence de conventions ou traités reflétant eux-même ces intérêts et fondant la compétence des juges. Cela reviendrait à nier la volonté de la communauté internationale contenue dans ces conventions ou à la faire disparaître de la convention lorsqu’elle est appliquée par un juge national, or cela n’est pas envisageable. Dans le second cas, la situation est différente, car il faudrait distinguer entre la norme d’origine purement interne et celle d’origine internationale. C’est seulement dans le cas d’une norme d’origine nationale que l’immunité pourrait rester opérante.

On peut enfin faire la remarque suivante, admettre cette thèse, c’est admettre l’existence de deux conceptions de la justice. Le concept de justice est unique, il ne doit pas y avoir une justice nationale de force moindre, de valeur moindre que la justice internationale. La justice reste la justice quelque soit le juge. On peut contester la qualité de la justice, la légitimité du juge, la compétence du juge mais pas l’idéal de justice contenu dans une décision d’un juge compétent .

Plus près de nous, les Tribunaux internationaux (TPI) et la Cour Pénale Internationale (CPI) [4], avec leurs statuts, affirment la volonté et la possibilité de poursuivre des dirigeants d’Etat accusés de crimes graves de droit international, ces dirigeants ne pouvant se réfugier derrière leurs immunités.

Outre ces cas ponctuels, il n’y aurait pas, selon la CIJ d’exception générale aux immunités de juridiction pénale des dirigeants d’Etat, même accusés de crimes graves.

Cette position semble pour le moins surprenante. Les références précitées marquent une réelle volonté de punir de telles comportements. A cela s’ajoute, selon nous, un mouvement d’envergure du droit international en ce sens. Les différents traités sur les imprescriptibilités [5], sur les crimes contres la paix et la sécurité de l’humanité [6], les actions menées par l’ONU dont la CIJ est l’un des organes principaux. Il faut également citer les législations et jurisprudences internes [7]. La volonté de la Grande-Bretagne et de la Belgique est flagrante [8]. La France elle même reconnaît l’existence d’une exception à cette immunité de juridiction, dans l’affaire Kadhafi [9].

Loin de nous l’idée de vouloir nous substituer aux juges internationaux, mais il semble qu’un fort opinio juris soit détectable en la matière, ce qui constituerait ce que l’on appelle une coutume sauvage. Nous pouvons ajouter que la pratique des Etats, bien que n’ayant pas encore eu de résultat positif tend vers la reconnaissance d’une telle exception.

Nous conclurons ce point par la réflexion suivante. Un dirigeant d’un Etat, qui pratique une politique d’extermination ethnique sur son territoire, dirigeant qui lui même n’hésite pas à mettre la main à la pâte, pourra donc se déplacer officiellement à l’étranger, ou à l’ONU et ne sera pas inquiété ? Nous devrons donc attendre comme semble le préconiser la CIJ qu’il ait fini d’exercer ses fonctions avant de pouvoir le poursuivre ? Car la cour admet explicitement que cette immunité s’oppose à la poursuite du suspect, tant qu’il est en fonction, mais cela ne signifie nullement impunité. La responsabilité existe, que les actes soient perpétrés dans le cadre de fonctions officielles ou à titre purement personnel. Mais il faut simplement attendre la fin des fonctions. Cela signifie-t-il impunité dans le cas où une telle personne resterait dirigeante à vie de son Etat ?

On comprend la réticence de la CIJ à entailler une fois encore la souveraineté des Etats, mais sa décision prête fortement à la critique d’un point de vue pratique et moral. La Cour aurait pu, sans statuer ultra petita, prendre partie sur la compétence universelle, et plus particulièrement sur celle des tribunaux belges.

Section 2 - la compétence universelle des tribunaux belges

La compétence universelle est la possibilité offerte à une juridiction de se reconnaître compétente pour une infraction commise n’importe où, par n’importe qui. Cela concernerait les infractions les plus graves touchant à une moralité qui se voudrait universelle. Or cette compétence universelle de jugement n’appartient pas par nature aux Etats. Quelque soit la théorie de l’Etat à laquelle on adhère, on peut retenir que l’Etat se forme avant tout pour assurer la sécurité des individus évoluant en son sein. Cela permet à l’organe législatif de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité contre des atteintes pouvant venir aussi bien de l’intérieur que de l’extérieur. De plus, l’Etat a une compétence exclusive sur son territoire [10], ce qui interdit à un autre de s’ingérer dans ces affaires [11]. Certes la jurisprudence du Lotus de 1927 de la CPJI [12] envisage la possibilité de légiférer dans un cas particulier pour réprimer une atteinte, non pas directe à un intérêt de l’Etat, mais odieuse pour la communauté internationale, mais cela s’explique par la particularité de la situation envisagée, à savoir la piraterie en haute mer dans une zone soumise à aucune souveraineté.

Le Royaume de Belgique a reconnu une compétence universelle à ses juridictions pour certains crimes internationaux, par les lois du 16 juin 1993 et du 10 février 1999.

Nous traiterons de la compétence universelle dans son aspect le plus contestable, c’est-à-dire, lorsqu’une personne présumée responsable, pour reprendre une terminologie récente, est poursuivie alors qu’elle n’a aucun lien avec le pays qui la poursuit et qu’elle ne se trouve pas sur son territoire. Car si elle est accusée de s’en être prise à un ressortissant du pays ou si elle même est de la nationalité de ce pays, nous somme dans une hypothèse de droit pénal international, où la compétence de l’Etat est peu contestable. Reste l’hypothèse de la personne poursuivie qui se trouverait sur le territoire du pays qui entend exercer sa compétence universelle, nous nous trouvons dans une hypothèse plus justifiable, qui pourrait trouver un fondement par exemple par un possible trouble à la sécurité intérieure du pays ; on peut également se référer aux positions de Grotius [13] et de Covarruvias [14], qui reconnaissent la compétence de l’Etat sur le territoire duquel le présumé criminel se trouve. Dans ce cas l’Etat serait tenu d’arrêter, d’extrader et de poursuivre, selon la maxime, aut dedere, aut judicare. Nous envisagerons successivement la loi du 16 juin 1993 et la loi de modification du 10 février 1999.

A - La compétence universelle des tribunaux belges d’après la loi de 1993

La loi de 1993 se fonde sur les conventions de Genève de 1949 et sur leurs protocoles additionnels de 1977. En effet ces conventions prescrivent l’obligations pour les Etats de mettre leur législation en conformité avec les principes qu’elles reconnaissent, et d’appliquer lesdites conventions, quelque soit la nationalité des présumés responsables, et de les traduire devant leurs propres juridictions.

La loi de 1993 n’est pas choquante, car elle trouve un fondement conventionnel incontestable. Ce qui, néanmoins peut l’être c’est la situation qui en découle et qui érige le juge belge en juge de toutes les infractions au droit international humanitaire commises sur la planète. Pour reprendre une expression de Beccaria, « les juges ne sont pas les vengeurs du genre humain… » [15].

La justice belge s’est illustrée récemment en jugeant quatre rwandais au sujet des massacres de Butare [16]. Mais l’on peut tout de même s’interroger sur la capacité du juge belge à statuer sur des faits qui se sont passés loin de Belgique dans un contexte qui lui est totalement étranger. Même si le législateur trouve un fondement pour justifier cette loi, cela ne signifie nullement que le juge belge est capable de tout juger, sans vouloir porter une quelconque appréciation sur la qualité de la justice belge.

Signalons la prise de position du ministre belge de la justice qui précise que la loi de 1993 s’applique de manière rétroactive. Les travaux préparatoires quant à eux rappellent que cette loi ne fait que reprendre des normes ayant déjà valeur positive en Belgique. L’interprétation ministérielle n’a aucune valeur juridique, selon nous, car le ministre n’a pas de pouvoir législatif propre, or seul le législateur peut déroger au principe de non rétroactivité, principe plus que reconnu. De plus une jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme réprouve les interprétations ministérielles au titre de l’article 6 [17]. Cette déclaration, si l’on se réfère aux travaux préparatoires pourrait être moins choquante, si effectivement ces principes appartenaient déjà au droit belge.

La CIJ a décidé de ne pas traiter ce point mais retient l’hypothèse de la compétence universelle des tribunaux belges, afin de se prononcer sur le fond de l’affaire. Cela est dommage, car la définition de la compétence universelle, en doctrine semble fluctuer au gré des convictions personnelles des juristes.

B - l’extension de la compétence universelle des tribunaux belges avec la loi de février 1999

Le législateur belge, se référant à la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948 et au statut de la CPI, étend la compétence des juridictions belges par une loi du 10 février 1999, relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire. Or la convention de 1948 et le statut de la CPI ne comportent nullement un mandat autorisant les juridictions belges à se reconnaître compétentes afin de poursuivre, en dehors de tout lien territorial.

La convention de 1948 incite les parties contractantes à punir le crime de génocide (art 1). Elles doivent prendre les mesures législatives adéquates (art 5). L’article 6 prévoit la compétence des tribunaux du territoire sur lequel le crime a été commis ou celle de la cour criminelle internationale. Les autres Etats devant extrader et non juger. Il semble donc que cette convention ne prescrit à aucun moment une quelconque compétence universelle.

Concernant le statut de la CPI, rien de précis n’est indiqué. Le préambule se contente de rappeler que les Etats doivent soumettre les criminels à leurs juridictions criminelles. Cette précision est très vague, si l’on peut dire. Est-ce une déclaration d’intention ? Quoiqu’il en soit, à l’heure où nous écrivons cet article, la CPI n’est pas en vigueur, il n’y a que 52 ratifications sur les 60 requises. Le statut de la CPI ne peut donc servir de fondement juridique à la loi du 10 février 1999.

Autant la loi de 1993 pouvait être considérée comme relativement incontestable, mais la loi de révision de 1999 est sans fondement. La violation d’une norme du jus cogens et l’atteinte à l’ordre juridique international sont avancés pour justifier la compétence universelle. Certes le jus cogens fait naître une obligation erga omnes. Le TPI pour l’ex-Yougoslavie semble d’ailleurs accréditer ce raisonnement dans son arrêt Furundzija [18], au sujet de la torture. Cet argument nous semble être le plus intéressant, cependant cela donne-t-il un mandat de juridiction aux organes judiciaires internes ? ou bien est-ce seulement une obligation de réprimer ces comportements dans la limite des compétences traditionnelles des juges nationaux et des législateurs nationaux ? Certes les juridictions internationales pénales ne sont compétentes que pour les crimes les plus graves et à l’encontre des présumés criminels les plus importants, doit-on en déduire alors qu’implicitement les juridictions nationales se voient reconnaître une compétence universelle ? En l’état actuelle des choses, il y a beaucoup trop de déductions tirées des non-dits des textes. Le droit pénal, international ou non, nécessite des textes clairs et précis, l’élément légal de l’incrimination est pour l’instant trop aléatoire. Il faut une délégation expresse de la communauté internationale en droit international pénal [19].

Signalons une solution proposée par C. Lombois [20] qui envisage de dissocier compétence judiciaire et compétence législative. Il admet que dans certains cas le législateur et incompétent mais le juge le serait par « le seul souci d’une justice prompte et efficace. » Mais dans cette hypothèse, le lieu d’arrestation reste déterminant, donc en définitive, subsiste toujours un lien avec le territoire. Il ne s’agit pas d’une compétence universelle absolue et totalement « arbitraire ». Dans ce cas, C. Lombois préconise l’application de la loi du lieu de commission des faits par le juge du pays du lieu d’arrestation du suspect, mais il faut qu’existe également un consensus sur la répression de cette infraction entre les Etats concernés.

Le législateur belge s’est manifestement arrogé un pouvoir qu’il ne possède pas. Il reconnaît une compétence à ses juridictions qu’il ne peut leur donner. Comme nous l’avons précisé, le seul cas qui pose vraiment problème, et l’arrêt de la CIJ est dans le vif du sujet, c’est la compétence du juge belge à l’égard d’une personne suspectée de crime international grave et n’ayant absolument aucun rapport avec la Belgique. Concernant la décision de la CIJ, la Belgique allègue les dispositions des conventions de Genève et pas les dispositions ajoutées en 1999. Sa compétence ne semble donc pas contestable en l’espèce, mais nous pensons qu’à l’avenir il faudra distinguer dans la loi de compétence universelle les dispositions de 1993 et celles de 1999. Il aurait été intéressant que la responsabilité de la Belgique soit engagée sur le manque de fondement légal ou conentionnel de la loi telle que modifiée en 1999, une responsabilité du fait du législateur. Cela aurait eu le mérite de préciser l’état du droit international en la matière.

Dans l’affaire portée devant la CIJ, la compétence universelle est souvent justifiée par la jurisprudence du Lotus. D’après la Belgique et le juge ad hoc désigné par la Belgique, Mme Van der Wyngaert cette jurisprudence dissocie territoire et compétence de l’Etat et justifie la compétence universelle. C’est une interprétation tout de même large de l’arrêt. La CPJI consacre le principe d’une liaison entre compétence et territoire, mais elle admet que ces deux éléments peuvent ne pas coïncider lorsqu’un intérêt de l’Etat est en jeu. Seule une atteinte aux intérêts belges ou à la sécurité extérieure de la Belgique auraient pu servir de fondement à une telle compétence. Mais dans ce cas nous serions dans une hypothèse de droit pénal international. Quoiqu’il en soit nous soutenons le manque de fondement légal des éléments introduits en 1999, en l’absence d’un mandat de compétence contenus dans les conventions servant de fondement.

La Belgique est-elle la future chambre d’enregistrement des doléances mondiales ? Il ne faut pas céder à la tentation de vouloir à tout prix consacrer une compétence universelle, au mépris d’un droit encore peu explicite en la matière. Il ne faut pas confondre volonté politique et capacité juridique. Aujourd’hui la Belgique s’en prend à des représentants de la RDC, du Chili ou à des ressortissants rwandais avec plus ou moins de succès. La procédure contre Ariel Sharon montre les difficultés d’une telle politique contre le représentant d’un pays fort et les inconvénients diplomatiques. Osera-t-elle instruire ou émettre un mandat contre G.W. Bush pour son intervention en Afghanistan ou ses velléités de lutte contre « l’axe du mal » ?

Joe Verhoeven [21] n’hésite pas à mettre en avant l’anarchie qui régnerait si tous les Etats en faisaient autant. Nous ne pouvons qu’abonder en son sens. Les présumés responsables chercheront alors à se faire arrêter dans le pays où la loi leur est la plus favorable et les victimes n’y gagneront sûrement pas.


[1] F. Poirat, chronique de jurisprudence française en matière de droit international public, Cass., Crim, 13 mars 2001, RGDIP, 2001-2.

[2] Par exemple la cour de Cassation française dans plusieurs arrêts a retenu comme fondement le décret du 13 ventôse an II. A titre d’exemple, Cass., chb. Civ. 22 avril 1958, époux X.. c/ soc. Centrale de construction, GP 1958, p. 416. Pour un panorama des différentes sources retenues par le juge français, voir F. Poirat, RGDIP, 2001-2.

[3] Voir A. Weyembergh, sur l’ordonnance du juge d’instruction Vandermeersch rendue dans l’affaire Pinochet le 6 novembre 1998, RBDI, 1999-1, p. 178 et s.

[4] Art. 27 du statut de la CPI.

[5] Convention sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité du 26 novembre 1968.

[6] Le projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité de la CDI, le statut du tribunal de Nuremberg, la convention sur la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, les principes de la résolution 3074 de l’assemblée générale des nations unies du 3 décembre 1973, les dispositions de nombreux codes pénaux à travers le monde, la convention de New York du 10 décembre 1984 ... nous pourrions multiplier encore les exemples.

[7] Le code pénal et le code de procédure pénal français condamnent les crimes de guerre et contre l’humanité. Par exemple, l’ordonnance du 28 août 1944, la loi n° 48-1416 du 15 septembre 1948, la loi n° 64-1326 du 26 décembre 1964, la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995…

[8] Voir l’affaire Pinochet en Grande-Bretagne et en Belgique. Voir Santiago Villalpando, décision de la High Court du 24 avril 1999, RGDIP 2000-2, p. 393 et A. Weyembergh, sur l’ordonnance du juge d’instruction Vandermeersch rendue dans l’affaire Pinochet le 6 novembre 1998, RBDI, 1999-1, p. 178. Il faut préciser que dans l’exemple britannique, les juges faisaient droit à un mandat d’arrêt international délivré à l’initiative d’un juge espagnol.

[9] F. Poirat, chronique de jurisprudence française en matière de droit international public, Cass., Crim, 13 mars 2001, RGDIP, 2001-2.

[10] Max Huber, SA, Ile de Palmas, 4 avril 1928.

[11] Cette idée a été consacrée dans l’arrêt activités militaires et paramilitaires au Nicaragua par la CIJ en 1986. Mais dans le cas précis de commission de crimes graves se pose le problème d’un droit d’ingérence et d’intervention contraire à la souveraineté mais dans l’esprit d’une compétence universelle.

[12] Lotus, arrêt n° 9, 1927, CPJI, série A, n° 10, p. 20.

[13] Grotius, de jure belli ac paci, livre 2, chap. XXI, par. 4 ; voir aussi livre 1, chap. V.

[14] Coarruvias, practicarum quaestionum, chap. 2, n° 7.

[15] Beccaria, traité des délits et des peines, par. 21.

[16] Leur culpabilité a été reconnue par décision de la Cour d’assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles-Capitale du 8 juin 2001.

[17] CEDH, 24 novembre 1994, Beaumartin contre France, série A, n° 296-B.

[18] TPIY, chambre de première instance, le procureur c/ Furundzija, affaire n° IT-95-17/1T du 10 décembre 1998.

[19] J.-F. Roulot, la répression des crimes contre l’humanité par les juridictions criminelles en France, RSC (3) 1999.

[20] C. Lombois, droit pénal international, Dalloz, 1979, p. 19 et s.

[21] J. Verhoeven, Vers un ordre répressif universel ? quelques observations., AFDI 1999, p. 56.

© - Tous droits réservés - Virgile RENAUDIE - 2 mars 2002

 


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