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La soumission des entreprises publiques au droit de la concurrence. L’exemple de La Poste.

Mme Françoise Malbo, responsable du département droit communautaire du service juridique de La Poste était l’invitée du Centre de Recherches en Droit Public et Economique de Dijon pour dialoguer sur ce thème.

Jeudi 6 Mai 1999, Mme Françoise Malbo, Responsable du département Droit communautaire du service juridique de la Poste était invitée à une conférence au sein de l’Université de Dijon par les professeurs Denis Broussolle et Yan Laidié du Groupe d’études sur l’Interventionnisme et le Droit économique du Centre de Recherches en Droit Public et économique de Dijon. Résumé des débats.

La Poste n’a plus de monopole. En effet son activité n’est pas exercée dans sa globalité sous la forme d’un monopole notamment en ce qui concerne les activités dites de diversification comme par exemple, les activités financières. C’est la loi du 02 Juillet 1970 [Loi n°90-568(1)] qui donne son statut actuel à La Poste qui d’une administration publique est devenue une entreprise autonome de droit public que le Tribunal des Conflits a eu l’occasion de qualifier dans l’Affaire Chronopost d’établissement Public Industriel et Commercial [EPIC]. La Poste a une double activité, l’une totalement monopolistique que constitue le service public du courrier, et la seconde, concurrentielle et concurrencée à savoir par exemple les activités dites de messagerie expresse.

A l’heure actuelle, la France n’a toujours pas transposée la directive du 15 Décembre 1997(2). Alors que le délai de transposition était écoulé le 10 Février 1999, seuls 4 des 15 Etats membres de l’Union Européenne avaient transposés en droit interne ce texte [à savoir la Grèce, l’Espagne, la Finlande et la Suède qui à ce jour ne compte plus aucun monopole.]. 

Que prévoit cette directive ?

Tout d’abord, la directive communautaire utilise des termes un peu spécifiques qu’il est nécessaire de définir avant de continuer plus en avant dans ce résumé.

Le Service Universel Postal  : aux termes de la directive, c’est le droit de tout utilisateur d’obtenir une offre de services postaux de qualité déterminée fournis de manière permanente en tout point du territoire à des prix abordables par tous les utilisateurs. Le service universel prévoit que tout utilisateur a droit tous les jours ouvrables et pas moins de 5 jours par semaine, et cela sauf circonstances exceptionnelles, à une levée, tri, transport et distribution des plis postaux jusqu’à 2kg, des colis postaux jusqu’à 10kg [voire 20kg] et des services relatifs aux envois recommandés et en valeur déclarée. En un mot, il s’agit du minimum que doit fournir un Etat à chacun de ses ressortissants.

Le Service Réservé  : celui-ci n’est possible que dans un but de maintenir le Service universel. Il s’agit de prestations qui seront réservées, confiées à un ou plusieurs opérateurs par chaque Etat et cela de façon monopolistique. Il s’agit de la levée, du tri, transport, et distribution des envois de correspondance intérieure dont le prix est inférieur à 5 fois le tarif public applicable et cela à condition que leur poids soit inférieur à 350g. Il est possible d’avoir des dérogations pour les aveugles et malvoyants. Cela inclut également le publipostage (jusqu’en 2003) et le courrier transfrontalier.

Après ces deux précisions, revenons au résumé des débats.

Cette directive communautaire est destinée à mettre en place un service unique des marchés postaux et d’améliorer la qualité de ce service. Elle est à l’initiative de la France qui souhaitait améliorer la communication entre les Etats et permettre un accès dans les mêmes conditions de prestations. Les débats ont commencé en 1989 et ont abouti en 1992 au Livre Vert de la Commission Européenne sur les services postaux. Ce livre a posé divers principes et a mis en avant la nécessité de préserver le service universel, pierre angulaire du service postal communautaire, à savoir un accès au service postal dans des conditions équivalentes. Afin de permettre l’existence de ce service universel, il y a la nécessité d’un service réservé, d’un service minimum restant sous monopole d’un ou de plusieurs opérateurs choisi par l’autorité réglementaire nationale. Bien évidemment, les opérateurs libéraux souhaitent le voir le plus limité que possible.

En 1993, les premières lignes directrices de la Commission Européenne réaffirment la mise en place d’un service réservé pour les lettres ordinaires avec une certaine limitation de poids et de prix. Concernant le publipostage [marketing direct, courrier avec contenu identique et non personnalisé], c’est ici que les débats ont été les plus nombreux. Les opérateurs souhaitent le voir se libéraliser puisque cela représente une très vaste part du marché postal. A ce jour, et cela jusqu’en 2003, il a été décidé que le publipostage appartenait au service réservé de la même façon que les courriers appartenant à la catégorie de poids et de prix prévu, à savoir jusqu’à 350 grammes et pour un tarif maximum de 5 fois le tarif de base [c’est à dire le tarif public de référence qui est fixé en France par le Ministère de tutelle, le régulateur du marché et qui correspond à l’heure actuelle au tarif "du premier échelon de poids de la catégorie normalisée la plus rapide" soit 3frs]. Il faut noter que ces deux conditions de poids et de tarif sont cumulatives et qu’au delà, tout est libéralisé. Aux cours des débats, il a été soulevé la question d’un tarif de base commun à l’ensemble des pays. Bien évidemment, un tel tarif européen universel n’est qu’une utopie en raison des trop grandes diversités entre les Etats.

Un second problème s’est posé à savoir le cas du courrier international, c’est à dire du courrier intra-communautaire ou transfrontalier. Il y avait une volonté assez forte de libéraliser et certaines postes imaginaient que cela pouvait être libéralisé pour uniquement l’international sortant. Il a néanmoins été décidé que le courrier international serait traité comme du courrier en tant que tel et restait donc sous monopole tant qu’il vérifiait les deux conditions de poids et de prix. A noter que la directive a prévu que le courrier transfrontalier "pouvait" être conservé sous monopole. Ainsi, les Etats qui avaient déjà procédé à la fin du monopole sur ce type de courrier n’étaient pas obligés de faire marche arrière, évitant de remettre ainsi en cause une situation bien établie.

Concernant les colis, il a été décidé qu’il n’y avait aucun monopole mais il y avait une obligation de rendre un service universel pour un colis allant jusqu’à 10 ou 20kg pour la prise en charge et 10 ou 20kg pour la distribution. En France, le système est celui d’un 20/20 [20kg pour la prise en charge, 20kg pour la distribution].

Concernant les lettres recommandées et les envois en valeur déclarée, ceux-ci appartiennent au service universel sans être soumis au service réservé et donc, bénéficient d’une mise en concurrence.

Ainsi, il est possible de comparer la notion de service universel à celle d’un service public européen, à celle de minimum nécessaire à toute personne. Ce service universel peut être attribué à un ou plusieurs prestataires de service par l’autorité de régulation nationale de chaque Etat. Le service réservé existe parce qu’il y a un service universel et que le premier garantit le second. Mais un problème n’est pas encore réglé. C’est celui du coût de ce service universel et de la nécessité de le financer. Ici se trouve une zone grise où aucune solution n’est encore fixée définitivement - et cela alors même que le délai de transposition de la Directive est écoulé. 

Concernant les prestataires de service, les opérateurs qui seront chargés du service universel seront soumis au principe de l’obligation de transparence des comptes [prévue aux articles 13 et 14 de la directive]. Lorsque l’opérateur ne bénéfice pas de monopole, il n’a pas à répondre de cette obligation. Cela n’est plus le cas, a contrario, lorsque ce dernier bénéficie d’une telle situation de monopole. En effet, on exige de lui qu’il justifie de l’absence de toute pratique anti-concurrentielle et notamment qu’il n’y ait pas de subventions croisées des services en monopole vers les services en concurrence, afin de ne pas remettre en cause la concurrence existante.

Ainsi, la Poste, une fois la directive transposée se trouvera face à plusieurs situations  :

Secteur du Service Universel  :
 
- Situation de monopole : cas des lettres inférieures à 350g et 5 fois le tarif de base, publipostage ou courrier transfrontalier [article 7 de la Directive]

 
- Situation concurrentielle : cas des colis, des lettres recommandées et paquet en valeur déclarée, cas non prévus à l’article 7 et entrant dans le champ d’application des articles 3 et suivants de la Directive.

Secteur Concurrentiel [appelé aussi service concurrentiel pur] :
 
- Cas des lettres expresses, transport de fonds, publicité non adressée (PNA) ... mais aussi de la distribution des courriers électroniques (mél, email ou courriel).

Concernant justement le cas des courriers électroniques, à l’heure actuelle, il se peut que l’on se trouve face à un situation de courrier hybride où des emails (donc, dans un secteur totalement concurrentiel) sont ensuite mis sous plis et ensuite distribuer ce qui fait repasser le message sous le monopole de l’établissement public. Internet va-t-il affecter prochainement la position de La Poste et notamment, va-t-il affecter son chiffre d’affaire ?

Les derniers chiffres publiés, aussi bien ceux montrant une progression du chiffre d’affaire de l’entreprise publique que ceux montrant l’explosion du taux de foyers équipés d’un accès à Internet, pourraient laisser penser que la Poste n’a subi aucune conséquence du fait du développement d’Internet en France puisque les deux chiffres sont en augmentation.

Or, cette solution n’est pour moi qu’un simple écran de fumée. En effet, les chiffres publiés montrent effectivement une forte progression du nombre d’abonnés à un fournisseur d’accès à Internet (FAI), mais il s’agit essentiellement d’accès résidentiels et non professionnels alors que les professionnels sont les plus gros clients en matière postale. En effet, il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences du développement du nombre d’entreprises connectées à Internet puisque cela ne fait qu’environ 4 mois que les premiers FAI, avec à leur tête Wanadoo, ont lancé des offres promotionnelles à destination des professionnels soutenus par France Télécom qui propose parallèlement la possibilité de bénéficier, à des tarifs avantageux, d’accès à haut débit à Internet [ADSL, Câble, Boucle Radio, Satellite..]. A mon avis, il est encore trop tôt pour tirer les conséquences, mais je considère que d’ici 6 mois, les premiers effets se feront ressentir pour la Poste du fait du développement d’Internet et du service de messagerie électronique qui y est attaché. Il y aura un "effet Internet" comme il y a eu un "effet Fax", effet qui sera source pour la Poste d’une chute de son chiffre d’affaire. 

Un deuxième aspect a été abordé au cours de cette conférence, à savoir diverses procédures importantes dont a fait l’objet la Poste relativement à ses diverses activités et toujours sur le même problème de la concurrence.

La première importante affaire a été celle qui a commencé en 1990 par une plainte de la Fédération Française des Sociétés d’Assurances qui accusait la Poste d’Abus de Position Dominante et dénonçait les aides de l’Etat sous la forme d’un abattement fiscal de 85% en matière de fiscalité locale ce qui permettrait à la Poste d’opérer dans des conditions non loyales. En 1998, la Cour de Justice des Communautés Européennes [CJCE] a validé la décision du Tribunal de Première Instance des Communautés Européennes [TPICE] qui reconnaissait l’existence d’une aide de l’Etat qui était dédiée à une obligation d’aménagement du territoire, aide ne dépassant pas le coût de cet aménagement et par conséquent, cette aide pouvait être acceptée et cela était donc valable au regard de l’article 90-2 du Traité de Rome. La Commission Européenne avait quand à elle conclu auparavant à la non application de l’article 92 du Traité de Rome alors que le TPICE avait conclu que l’article 92 était applicable mais il était écarté par l’article 90-2. C’est cette solution qui à l’heure actuelle est applicable.

La Deuxième affaire est celle du transport de fonds. La Poste possède une activité de transport de fonds en interne. Elle a décidé d’externaliser cette activité ce qui a provoqué diverses réactions et notamment des dépôts de plainte au niveau national et communautaire. La Commission Européenne a rejet la plainte tendant à faire condamner l’entreprise publique pour l’Abus de Position Dominante. Le deuxième volet portait sur la notion d’Aide de L’Etat. Seulement, après 10 ans, aucune décision n’est encore intervenue.

La troisième grosse affaire est l’Affaire Chronopost, anciennement Société Française de Messagerie Internationale qui est détenue par le groupe holding de la Poste [à savoir à 60% par Sofiposte]. Ses concurrents notamment américains [DHL, etc..] ont contesté les pratiques entre La Poste et sa filiale, d’autant que le domaine de la messagerie expresse est un domaine concurrentiel pur. Ils considéraient que la filiale bénéficiait du réseau de la Poste et par conséquent, qu’il y avait des pratiques anti-concurrentielles à savoir des subventions croisées mais également pour aide d’Etat. Divers plaintes ont été déposées devant le Conseil de la Concurrence, la Commission Européenne et le Tribunal de Commerce de Paris. 

Un premier recours avait été rejeté par la Commission sur le fondement de l’aide de l’Etat ce qui avait conduit les entreprises à saisir la CJCE et donc à renvoyer le dossier en instruction. Le 01.10.1997, la Commission Européenne a rendu une décision. Elle a considéré qu’il n’y avait pas d’aide de l’Etat et que la Poste s’est comportée comme tout investisseur privé en condition de marché. Un recours a été intenté en décembre 1997 devant le TPICE et est toujours en instruction.

Devant le Tribunal de Commerce de Paris, saisi en 1993, aucun débat au fond n’a encore eu lieu en raison de l’examen de nombreuses questions préliminaires et notamment de questions préjudicielles demandées par les concurrents de l’entreprise publique.
 



(1) - Loi n°90-568 du 02 Juillet 1990 fixant le nouveau statut de l’Entreprise Autonome de Droit Public La Poste [sur le site de Bertrand Grondin]

(2) - Directive 97/67/CE du 15 Décembre 1997 concernant les règles communes pour le développement du marché intérieur des services postaux de la Communauté et l’amélioration de la qualité.

 


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