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Les communautés d’agglomération fragilisées

Par Jean-Louis PERU
Avocat, Cabinet GAIA

La loi CHEVENEMENT a fortement bousculé les mécanismes d’adhésion des collectivités aux organismes de coopération en réservant aux communautés d’agglomération la faculté de déterminer l’étendue de leurs propres compétences en définissant, après adhésion des communes, les opérations d’intérêt communautaire.

La loi CHEVENEMENT a fortement bousculé les mécanismes d’adhésion des collectivités aux organismes de coopération.

Traditionnellement, par application du principe de spécialité des établissement publics, les communes devaient identifier dans l’acte d’adhésion les contours les plus précis possible des compétences transférées.

Inversant ce processus, la loi CHEVENEMENT réserve aux communautés d’agglomération la faculté de déterminer l’étendue de leurs propres compétences en définissant, après adhésion des communes, les opérations d’intérêt communautaire.

Il s’agit donc d’une adhésion aveugle à un principe et à un organisme de coopération et non plus d’un transfert de compétences préalablement déterminées.

Cette innovation législative semblait peu orthodoxe au regard des principes de l’autonomie des collectivités locales et de la généralité des compétences qui leur sont légalement attribuées, confrontés à celui de la spécificité des établissements publics.

Nous nous étions interrogés [1] sur la mise en œuvre de ce mécanisme par lequel l’étendue du transfert de compétences n’était identifiée qu’après adhésion à l’EPCI.

Les premières décisions jurisprudentielles semblent de nature à restreindre considérablement le schéma juridique voulu par le législateur, ces réticences fragilisant les possibilités d’action des communautés d’agglomération [2].

Après le Tribunal administratif de Montpellier, la Cour administrative d’appel de Marseille a, par arrêt du 12 juin 2001 (req. N°00MA02760), censuré les modalités du transfert des compétences opéré au bénéfice de la communauté d’agglomération de Montpellier.

Le district de Montpellier se devait de se transformer en communauté d’agglomération d’ici le 1er janvier 2002.

A cette occasion, le préfet a étendu le périmètre de l’ancien district pour englober de nouvelles communes et communautés de communes dans le cadre de la communauté d’agglomération.

Les communes et communautés de communes opposées à cette extension ont engagé un contentieux à l’encontre de cette procédure d’extension.

La cour d’appel a validé l’annulation prononcée par le tribunal administratif aux motifs :

"qu’il résulte des dispositions de l’article L.5211-17 du Code général des collectivités territoriales que, pour que les communes membres d’un établissement public de coopération intercommunale puissent transférer librement certaines de leurs compétences à cet établissement public, leurs conseils municipaux, ainsi que l’organe délibérant de cet organisme, doivent non seulement délibérer sur le principe du transfert de compétences, mais également sur le transfert des biens, équipements ou service public nécessaires à leur exercice ; qu’ils doivent, en outre, lorsque les compétences transférées portent sur des zones d’activité économique ou sur des zones d’aménagement concerté, régler par des délibérations spécifiques, les conditions financières et patrimoniales du transfert des biens immobiliers nécessaires à l’exercice de ces compétences, ainsi que les conditions d’affectation des personnels concernés ;".

Relevant que l’arrêté du préfet prononçant le transfert des compétences a pour conséquence "de dessaisir, dès son intervention, les communes membres de ces compétences et de substituer, en la matière, de plein droit, l’établissement public de coopération intercommunale à ces communes dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes ", la Cour considère que faute d’avoir déterminé les moyens mis à disposition de l’EPCI pour l’exercice de ses propres compétences, le transfert de celles-ci n’est pas intervenu.

Cette décision aboutit, sous une forme indirecte, à imposer la détermination de l’étendue de l’intérêt communautaire préalablement au transfert de compétences au bénéfice de l’EPCI.

La Cour pose ces exigences en considération de la possibilité qu’ont les communes de "transférer librement certaines de leurs compétences".

Elle se réfère dès lors au principe de spécialité des EPCI et à celui de la libre administration des collectivités qui supposent de déterminer les compétences avant de les transférer, au travers l’identification des moyens nécessaires à leur mise en œuvre.

Ceci vaut non pas seulement en matière de ZAC mais pour l’ensemble des compétences transférées.

La Cour rappelle que, juridiquement, l’adhésion à la communauté d’agglomération entraîne transfert immédiat des compétences dont les communes sont alors dessaisies et pour lesquelles elles ne peuvent plus intervenir.

Aussi les communes ne peuvent plus délibérer sur aucun des aspects des compétences dont elles se sont dessaisies en les transférant.

Elles ne peuvent donc plus, une fois ce transfert opéré, décider de l’affectation au bénéfice de la communauté des moyens qu’elles ont conservés. A l’inverse, si elles ne déterminent pas les moyens utiles aux services transférés, il n’y a pas véritablement transfert de compétence mais simple délibération de principe dépourvue de portée juridique.

La loi CHEVENEMENT renvoyant à la communauté déjà constituée la charge de déterminer le champ des transferts dont elle bénéficie par le biais de l’intérêt communautaire, la Cour administrative de Marseille ne s’oppose pas directement aux dispositions de la loi mais en limite considérablement les effets en exigeant que soient déterminées, au moment de l’adhésion, les conditions de transfert des moyens matériels et humains attachés à l’exercice des compétences transférées.

Cette décision s’inscrit dans le droit fil de la jurisprudence qui, dans le souci d’éviter toute incohérence dans la gestion des affaires et des services locaux, et afin de limiter les charges concurrentes supportées par les contribuables et usagers, exige que les contours des compétences transférées soient précisés (CE, assemblée, 16 octobre 1970, commune de Saint-Vallier, Leb. p. 583).

En effet, le transfert de compétence peut être global ou partiel.

Ainsi, le Président BRAIBANT (conclusions commune de Saint Vallier) soulignait : "les communes peuvent, au moment de la constitution du syndicat ou de l’extension de ses attributions, décider que certaines compétences ne sont transférées que partiellement, ou se réserver la possibilité de les exercer concurremment avec les syndicats".

Il en va ainsi d’un syndicat qui n’avait pour compétence que la construction et l’exploitation d’un réseau de distribution d’eau potable (CE, 31 juillet 1996, commune de Sète, DA 1996, n°89, p.4), le Conseil d’Etat jugeant que la limitation apportée à sa compétence, du fait de son adhésion à un syndicat, n’avait pas eu pour effet de priver une commune adhérente du droit de s’alimenter elle-même à partir d’autres sources, et ce en raison de la rédaction des statuts et de la délibération d’adhésion qui autorisait cette segmentation de la compétence.

En réalité, il y a toujours transfert complet d’une compétence, celle-ci pouvant ne recouper qu’un élément d’une compétence plus globale, voire concurrente.

Mais la plénitude de compétences des communes et le principe de spécialité des organes de coopération font que les collectivités maîtrisent, et elles seules, l’étendue des compétences transférées.

Ce qui importe donc, c’est que le transfert de compétence soit le plus précisément possible identifié pour déterminer les sphères d’intervention des différentes entités.

Ainsi un syndicat intercommunal compétent en matière d’aduction et de distribution d’eau potable n’est pas fondé à soutenir que la fourniture d’eau brute pour l’arrosage des espaces verts, mission qui ne lui a jamais été expressément confiée, constitue une extension normale et naturelle de sa compétence (TA Montpellier, 7 déc. 1978, SIVOM de Mauguio-Perols, Rec. p. 730).

De même, un transfert de compétences entraînant mise à disposition des biens décharge la collectivité dessaisie de toute responsabilité du fait de l’ouvrage (CE, 4 février 1976, communauté urbaine de Lille, Rec. p. 82), la collectivité désormais compétente ne pouvant pas même l’appeler en garantie (CAA de Nancy, 7 novembre 1991, Communauté urbaine de Lille / SIDEN).

La loi CHEVENEMENT s’était efforcée d’inverser la procèdure de détermination des compétences en en confiant le soin à la communauté d’agglomération.

La Cour de Marseille semble rappeler, indirectement, le juge administratif ne contrôlant pas la constitutionnalité des lois [3], que le principe constitutionnel de la libre administration des collectivités n’autorise pas de dessaisir les communes de leurs compétences sans qu’elles en déterminent elles même la nature et l’étendue.

La jurisprudence relative aux districts permet de se rapprocher de la question soulevée par l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille.

Les districts disposaient de compétences obligatoires clairement définies, quant à leur nature et leur étendue, par le législateur puisqu’ils étaient compétents pour les services du logement [4] et les centres de secours contre l’incendie (ancien art. L.164-4 du Code du communes).

Les services assurés par les syndicats de communes inclus dans le périmètre du district lui étaient également obligatoirement attribués.

Ce dernier bénéficiait donc d’un transfert de compétences déjà opéré par les communes au bénéfice d’un syndicat, les communes ayant à l’origine déterminé elles-mêmes l’étendue des compétences initialement transférées.

Outre ces domaines obligatoires, le district pouvait bénéficier d’une extension d’attributions. Par application de l’article L.164-7 du Code des communes, il appartenait en premier lieu au conseil de district de délibérer sur la modification statutaire à la majorité des deux tiers au moins des membres du conseil représentant plus de la moitié de la population ou à la majorité de ses membres représentant plus des deux tiers de la population.

Les conseils municipaux devaient obligatoirement être consultés sur ce projet de modification, l’adhésion des deux tiers des communes membres étant indispensable.

Lorsque ces conditions étaient réunies, la décision de modification était prise par arrêté préfectoral.

Le Conseil d’Etat a fait application de cette procédure, par arrêt du 10 novembre 1978 (Ville de Champigneulles, Rec. p. 730).

De manière plus restrictive, le Tribunal administratif de Châlon sur Marne (6 mai 1986, commune de Cormontreuil C/District de Reims, JCP 1986, G, 20704) a considéré que "le conseil de district de Reims ne pouvait décider de transférer au dit district, les compétences des communes membres en matière d’élaboration de plan d’occupation des sols, qu’à la condition que le conseil municipal de chacune de ces communes ait préalablement décidé de confier au district de Reims l’élaboration de son POS".

Ainsi, s’agissant des districts, la loi et la jurisprudence réservaient, à tout le moins à une majorité qualifiée des communes membres, la détermination des compétences facultatives transférées.

La loi CHEVENEMENT nous place dans une tout autre situation et on ne peut écarter l’hypothèse selon laquelle le Conseil d’Etat, lequel devrait statuer en 2002, validerait la décision de la Cour administrative d’appel de Marseille, son raisonnement juridique apparaissant solidement étayé.

Or cette décision est lourde de conséquences pour l’ensemble des communautés d’agglomération déjà constituées ou en cours de constitution dans la mesure où, si elle devait être confirmée par le Conseil d’Etat, les communautés d’agglomération n’auraient pas bénéficié d’un transfert de compétences régulier et n’auraient donc aucune qualité juridique à intervenir dans leurs différents domaines d’action.

De fait, dans la plupart des cas, lorsqu’elles ne sont pas restées coquille vide, les communautés d’agglomération n’ont été dotées de moyens matériels et humains qu’après leur création dans des conditions précisément censurées par la Cour administrative d’appel.

Aussi, les communautés d’agglomération agiraient dans des domaines qui ne relèveraient pas encore de leurs compétences. Leurs interventions seraient celles d’une autorité incompétente, ce qui rendrait nul l’ensemble de leurs actes et délibérations.

Cette irrégularité pourrait être soulevée lors d’un contentieux engagé lors de la constitution d’une communauté mais également postérieurement, par la voie de l’exception d’illégalité, à l’occasion d’un contentieux engagé à l’encontre de n’importe laquelle des délibérations communautaires, telles l’adoption du budget, le recrutement du personnel, la passation de marchés ou de délégation de service public.

On mesure les difficultés que rencontreraient ces communautés d’agglomération et les communes membres, notamment en matière de ZAC communautaire si les constructeurs venaient à considérer les participations versées comme irrégulières car manquant de base légale.

Dans ce cas, la communauté d’agglomération ne pourrait que restituer ces sommes indues, sans que les communes puissent y prétendre, la création même de la ZAC étant irrégulière.

La seule parade envisageable à cette jurisprudence serait de refaire délibérer les conseils municipaux et la communauté pour, à tout le moins, opérer le transfert des moyens nécessaires aux actions communautaires, ces moyens devant être appréciés en fonction de l’importance et de la nature des transferts opérés.

Mais ces nouvelles délibérations ne pourraient garantir l’action des communautés d’agglomérations que pour l’avenir. Elles ne pourraient pas rétroagir et ne suffiraient sans doute pas à valider rétrospectivement le transfert des compétences mal opéré lors de la constitution des communautés d’agglomération.

Il n’y aurait alors d’autre solution que d’opérer une validation législative.

Si celle-ci serait inefficace s’agissant de la communauté d’agglomération de Montpellier, la décision de la Cour d’appel étant revêtue de l’autorité de la chose jugée (CE, 27 octobre 1995, Ministère du logement C/M. MATTIO, Rec. p. 359), une telle validation permettrait de redonner une base légale aux autres communautés d’agglomération déjà constituées.

Mais, même dans cette hypothèse, la tâche du législateur sera délicate dans la mesure où le problème de détermination de l’intérêt communautaire a posteriori demeurera entier et qu’une telle validation doit réserver les droits à indemnité que des tiers pourraient tirer des irrégularités ayant affecté la conclusion des contrats validés par le législateur (CE, 30 juin 1999, M. SARFATI, RFDA 1999, p.876).

Une autre solution, mais pour l’avenir uniquement, serait d’ériger les communautés d’agglomération en collectivité locale, processus que le législateur de 1999 a enclenché en ignorant le principe de spécificité, et qu’il n’a pas toutefois mené à terme, ce qui explique les difficultés rencontrées aujourd’hui par les communautés d’agglomération placées à mi chemin du statut des collectivités territoriales et de celui d’établissement public.


[1] voir la Gazette des communes du 3 juillet 2000 : La loi CHEVENEMENT méconnaît-elle le principe de libre administration des collectivités territoriales ?

[2] 110 sont actuellement constituées, 20 autres devant être créées d’ici la fin de l’année

[3] voir la Gazette des communes du 3 juillet 2000 précité

[4] Dans ce cadre, les services du logement recouvraient les services municipaux créés à titre temporaire et chargés d’assurer une meilleure répartition des logements exitants par la tenue à jour du fichier des logements vacants (anciens articles 326 et s. du Code de l’urbanisme).

© - Tous droits réservés - Jean-Louis PERU - 8 décembre 2001

 


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