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Conseil d’Etat, 11 juillet 2008, n° 295816, Kheira B.

Il résulte des dispositions combinées du deuxième alinéa de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, introduit dans ce code par la loi du 9 décembre 1974, et des articles L. 43 et L. 241 du même code que les ayants cause des membres des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d’Algérie entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 sont susceptibles d’avoir droit à pension, si la mort a été causée par des blessures ou suites de blessures reçues au cours d’événements de guerre ou par des accidents ou suites d’accidents éprouvés par le fait ou à l’occasion du service. Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le décès, postérieurement au 2 juillet 1962, d’un membre des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d’Algérie peut ouvrir au conjoint survivant droit à pension, s’il est établi que l’événement ou l’accident qui est à l’origine du décès a été éprouvé par le fait du service.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 295816

Mme B.

M. Alexandre Lallet
Rapporteur

Mlle Anne Courrèges
Commissaire du gouvernement

Séance du 20 juin 2008
Lecture du 11 juillet 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu le pourvoi sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juillet et 14 décembre 2006 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Kheira B. ; Mme B. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 9 mai 2006 de la cour régionale des pensions de Montpellier, en tant qu’il confirme le jugement du 25 juin 2003 du tribunal départemental des pensions de l’Hérault rejetant sa demande de pension fondée sur l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre en sa qualité d’ayant cause de son mari Safi Allam décédé en Algérie en 1962 ;

2°) réglant l’affaire au fond, d’annuler la décision du chef de service des ressortissants à l’étranger de Château-Chinon du 9 juillet 2001 et d’enjoindre à l’Etat de lui accorder le bénéfice d’une pension de réversion ou, à défaut, d’enjoindre à l’Etat d’examiner à nouveau sa demande de pension, dans un délai de quinze jours, sous une astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat la somme de 2 500 euros à verser à la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme B., sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

Vu le code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Vu la loi nº 74-1044 du 9 décembre 1974 ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Lallet, Auditeur,

- les observations de la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme B.,

- les conclusions de Mlle Anne Courrèges, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’il résulte des dispositions combinées du deuxième alinéa de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre, introduit dans ce code par la loi du 9 décembre 1974, et des articles L. 43 et L. 241 du même code que les ayants cause des membres des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d’Algérie entre le 1er janvier 1952 et le 2 juillet 1962 sont susceptibles d’avoir droit à pension, si la mort a été causée par des blessures ou suites de blessures reçues au cours d’événements de guerre ou par des accidents ou suites d’accidents éprouvés par le fait ou à l’occasion du service ; qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que le décès, postérieurement au 2 juillet 1962, d’un membre des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d’Algérie peut ouvrir au conjoint survivant droit à pension, s’il est établi que l’événement ou l’accident qui est à l’origine du décès a été éprouvé par le fait du service ;

Considérant que, pour rejeter la demande de Mme B. tendant au bénéfice d’une pension sur le fondement de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre en sa qualité d’ayant cause de son mari, ancien membre des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d’Algérie, décédé le 8 juillet 1962, la cour régionale des pensions de Montpellier s’est fondée sur ce que, à la date de son décès, M. Allam ne se trouvait plus sous le commandement militaire français ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi que le lui demandait la requérante, si ce décès résultait d’un événement de guerre ou d’un accident éprouvé par le fait du service, la cour régionale des pensions n’a pas légalement justifié sa décision ; que, par suite, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, l’arrêt attaqué doit être annulé en tant qu’il porte sur la demande de pension fondée sur les dispositions de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler, dans cette mesure, l’affaire au fond en application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;

Considérant, d’une part, que les pensions servies en application des dispositions du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre citées plus haut constituent des créances qui doivent être regardées comme des biens, au sens de l’article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que les stipulations de l’article 14 de la même convention font obstacle à ce que les personnes pouvant prétendre à ces pensions soient traitées de manière discriminatoire ; que tel est le cas lorsqu’une distinction entre des personnes placées dans une situation analogue n’est pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les buts de la loi ;

Considérant que le deuxième alinéa de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre subordonne le bénéfice des droits à pension qu’il ouvre aux membres des forces supplétives françaises ayant participé à la guerre d’Algérie ainsi qu’à leurs ayants cause à la condition, notamment, que les intéressés possèdent la nationalité française à la date de présentation de leur demande ; qu’il ressort des travaux préparatoires de la loi du 9 décembre 1974, dont ces dispositions sont issues, qu’elles avaient notamment pour objet d’étendre aux membres des forces supplétives françaises ayant combattu aux côtés des militaires français au cours de la guerre d’Algérie le bénéfice des prestations que le Livre Ier de ce code reconnaît aux militaires ; que toutefois, eu égard à l’objet de ces pensions et alors même que la condition de nationalité n’est pas applicable aux ressortissants étrangers qui résident en France, la différence de traitement entre les personnes concernées, selon qu’elles ont ou non la nationalité française, ne peut être regardée comme reposant sur un critère en rapport avec cet objectif et n’est donc pas justifiée ; qu’en raison de l’incompatibilité de cette condition avec les stipulations rappelées ci-dessus, la circonstance que Mme B. n’avait pas la nationalité française à la date de sa demande ne saurait légalement justifier le refus de lui accorder une pension sur le fondement de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ;

Considérant, d’autre part, que Mme B. soutient, sans être contredite, que son mari a été fait prisonnier avant le 2 juillet 1962 alors qu’il faisait partie des forces supplétives participant à la guerre d’Algérie ; qu’il ressort des pièces du dossier, notamment de deux témoignages concordants, que ce dernier a été tué par des partisans du Front de libération nationale le 8 juillet suivant ; qu’ainsi, dans les circonstances particulières de l’espèce, ce décès doit être regardé comme survenu par le fait du service ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Mme B. est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal départemental des pensions de l’Hérault a rejeté sa demande de pension fondée sur l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre ; qu’il y a lieu d’annuler ce jugement ainsi que la décision du chef du service des ressortissants à l’étranger de Château-Chinon du 9 juillet 2001 rejetant la demande de pension présentée par l’intéressée, et d’enjoindre au ministre de la défense d’accorder à celle-ci le bénéfice de la pension sollicitée à compter de la date de sa demande, dans un délai d’un mois à compter de la présente décision ; qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte ;

Considérant que Mme B. a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocat peut se prévaloir des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme B., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’Etat, la somme de 2 500 euros demandée à ce titre ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour régionale des pensions de Montpellier du 9 mai 2006, le jugement du tribunal départemental des pensions de l’Hérault du 25 juin 2003 et la décision du chef du service des ressortissants à l’étranger de Château-Chinon du 9 juillet 2001 sont annulés en tant qu’ils rejettent la demande de pension présentée par Mme B. sur le fondement de l’article L. 243 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de la guerre.

Article 2 : Il est enjoint à l’Etat, dans un délai d’un mois à compter de la présente décision, d’accorder à Mme B. le bénéfice d’une pension à compter de la date de sa demande.

Article 3 : L’Etat versera à la SCP Didier, Pinet, avocat de Mme B., la somme de 2 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette société renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : Le surplus des conclusions présentées par Mme B. devant le Conseil d’Etat est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Kheira B. et au ministre de la défense.

 


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