format pour impression
(imprimer)

DANS LA MEME RUBRIQUE :
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 27 avril 2004, n° 03BX00760, Ville de Bordeaux
Conseil d’Etat, 12 mai 2004, n° 253341, Association du Vajra triomphant
Conseil d’Etat, 21 novembre 2001, n° 202102, Commune de Wissous
Conseil d’Etat, 6 août 2008, n° 308294, Premier ministre c/ Georges R. et Pierre G
Conseil d’Etat, Avis, 29 septembre 2003, n° 255729, M. Maurice A.
Cour administrative d’appel de Douai, 25 mai 2004, n° 01DA00413, Guy M.
Conseil d’Etat, 22 octobre 2003, n° 238303, Société des Mines de Sacilor Lormines
Conseil d’Etat, référé, 22 avril 2008, n° 315461, Société Sushi N’Co
Cour administrative d’appel de Bordeaux, 27 juin 2002, n°00BX02614, Commune de Manses
Conseil d’Etat, référé, 10 août 2001, n° 237008, Commune de Meyreuil




Conseil d’Etat, 18 juin 2008, n° 285380, Michel B.

L réquisition de la force publique doit être accompagnée, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l’article 50 du décret susvisé du 31 juillet 1992, d’un exposé des diligences auxquelles l’huissier de justice a procédé et des difficultés d’exécution rencontrées ; que s’il ressort des pièces soumises au juge du fond que la demande n’était pas accompagnée d’un tel exposé, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le moyen tiré du caractère incomplet de la réquisition dès lors que le préfet était informé par ailleurs de ces diligences, notamment par une précédente correspondance de la société.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 285380

M. B.

M. Olivier Rousselle
Rapporteur

Mme Catherine de Salins
Commissaire du gouvernement

Séance du 16 mai 2008
Lecture du 18 juin 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 5ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la section du contentieux

Vu l’ordonnance en date du 16 septembre 2005, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat le 22 septembre 2005, par laquelle le président de la cour administrative d’appel de Bordeaux a transmis au Conseil d’Etat, en application de l’article R. 351-2 du code de justice administrative, la demande présentée par M. Michel B., en sa qualité de liquidateur amiable de la SA SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX ( SNT) ;

Vu la requête, enregistrée au greffe de la cour administrative d’appel de Bordeaux le 20 juin 2005, présentée pour M. B. pris en sa qualité de liquidateur amiable de la SA SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX (S.N.T.) dont le siège est Lotissement 18- .A. de Vine Arnouville à Petit Bourg (97170), domicilié en cette qualité au siège ; M. B. demande :

1°) d’annuler le jugement du 14 avril 2005 du tribunal administratif de Basse-Terre en ce qu’il a limité à 50 000 euros la réparation des préjudices résultant de la responsabilité sans faute de l’Etat à raison de son refus de prêter le concours de la force publique aux fins d’exécution de l’ordonnance du 2 avril 1997 du président du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre ;

2°) statuant au fond, de condamner l’Etat à payer à la SA SNT la somme de 1 332 661, 43 euros avec intérêt au taux légal à compter du 14 avril 1997 ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 4 574 euros au titre de l’article L.761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 ;

Vu le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Olivier Rousselle, Conseiller d’Etat,

- les observations de Me Odent, avocat de M. B.,

- les conclusions de Mme Catherine de Salins, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que le juge des référés du tribunal de grande instance de Pointe-à-Pitre a ordonné le 2 avril 1997 qu’il soit mis fin à l’occupation du siège social et au blocage des chantiers de la Société nouvelle de travaux ; que cette société a demandé le 7 avril suivant au préfet de la Guadeloupe de lui accorder le concours de la force publique pour faire exécuter cette décision de justice ; qu’une intervention des forces de l’ordre, prévue pour le 20 mai, a été annulée, le préfet invitant les parties à une négociation ; que le 23 mai, les grévistes ont accepté de reprendre le travail ; que par un jugement du 14 mai 2005, le tribunal administratif de Basse-Terre a condamné l’Etat, sur le fondement des dispositions de l’article 16 de la loi du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution et du principe de l’égalité devant les charges publiques, à verser à la SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX une indemnité de 50 000 euros réparant les conséquences dommageables du refus de concours de la force publique ; que la société, représentée par son liquidateur, demande l’annulation de ce jugement en tant qu’il a évalué son préjudice et limité ainsi le montant de l’indemnité ; que, par la voie d’un pourvoi incident, le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire en demande l’annulation intégrale ;

Sur le pourvoi incident du ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire :

Considérant qu’il ressort du protocole de fin de grève signé le 22 mai 1997 et soumis au juge du fond qu’il est conclu entre la Société nouvelle de travaux et l’Union Générale des Travailleurs de la Guadeloupe ; qu’ainsi l’Etat n’a pas la qualité de partie à ce contrat, alors même qu’un représentant de la direction départementale du travail et de l’emploi y a apposé sa signature ; que, dans ces conditions, les stipulations de l’article 11 du protocole, aux termes duquel les parties renoncent à toute instance ou action, présente ou future, ayant un lien direct ou indirect avec le conflit social, ne sauraient faire obstacle à l’exercice par la Société nouvelle de travaux d’un recours indemnitaire dirigé contre l’Etat ; que le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire n’est dès lors pas fondé à soutenir que les juges du fond auraient dû soulever d’office l’existence d’une transaction rendant irrecevable la demande dont ils étaient saisis ;

Considérant que la réquisition de la force publique doit être accompagnée, en vertu des dispositions du deuxième alinéa de l’article 50 du décret susvisé du 31 juillet 1992, d’un exposé des diligences auxquelles l’huissier de justice a procédé et des difficultés d’exécution rencontrées ; que s’il ressort des pièces soumises au juge du fond que la demande n’était pas accompagnée d’un tel exposé, le tribunal administratif n’a pas commis d’erreur de droit en écartant le moyen tiré du caractère incomplet de la réquisition dès lors que le préfet était informé par ailleurs de ces diligences, notamment par une précédente correspondance de la société ;

Considérant que si l’article 50 du décret susvisé du 31 juillet 1992 dispose dans son troisième alinéa que le défaut de réponse de l’autorité compétente à une demande de réquisition transmise par l’huissier dans un délai de deux mois équivaut à un refus, la responsabilité de l’Etat peut être engagée à raison de son inaction, préalablement à l’expiration de ce délai, lorsque les circonstances, comme en l’espèce, sont de nature à entraîner pour le propriétaire une privation de son bien dont les effets sont particulièrement graves, et exigent, par suite, une décision rapide sur les suites à donner à la demande ; que le tribunal administratif a exactement qualifié les faits de l’espèce en estimant que l’absence d’exécution forcée pendant un délai inférieur à deux mois engageait la responsabilité de l’Etat ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le pourvoi incident du ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire doit être rejeté ;

Sur le pourvoi de la SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX :

Considérant que, pour écarter les conclusions indemnitaires relatives aux chefs de préjudice afférents à l’amortissement du matériel de la SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX, aux locations extérieures, aux frais de fonctionnement des bureaux, aux frais financiers et aux pénalités contractuelles, le tribunal administratif s’est borné à affirmer que les justificatifs produits étaient insuffisants, alors qu’un rapport d’expertise complet était joint à la demande de la Société nouvelle de travaux et qu’il établissait de manière certaine la réalité de certains de ces préjudices ; qu’ainsi, le tribunal administratif a insuffisamment motivé sa décision au regard des éléments dont il était saisi et dénaturé les pièces du dossier ; qu’il convient par suite d’annuler son jugement en tant qu’il a évalué le dommage et fixé à 50 000 euros l’indemnité due à la Société nouvelle de travaux ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu, dans les limites de l’annulation prononcée, de régler l’affaire au fond ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu du délai raisonnable dont disposait l’administration pour donner suite à la demande de concours de la force publique dont elle avait été saisie le 7 avril 1997, la SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX peut prétendre à la réparation des dommages qu’elle a subis, du fait de l’impossibilité d’accéder à ses chantiers, entre le 22 avril et le 23 mai 1997 ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte de l’instruction qu’afin de limiter les effets de l’occupation de son siège social et pour permettre à une partie de son personnel administratif non gréviste de travailler et traiter les affaires urgentes, la SOCIETE NOUVELLE DE TRAVAUX a pris à bail un local et que cette location s’est poursuivie entre le 23 avril et le 23 mai 1997 ; que la société est dès lors fondée à demander, dans la limite de ces trente et un jours, l’indemnisation du coût de cette location soit 1 371 euros ; que le blocage des chantiers pendant cette période ayant retardé d’autant la réalisation des travaux, la société justifie avoir acquitté des intérêts à un organisme financier qui lui avait consenti une avance sur la rémunération à percevoir pour ces chantiers ; que le montant des frais financiers, directement liés à la poursuite du blocage entre le 23 avril et le 23 mai, s’élève à 7 137 euros ; qu’elle justifie également avoir, après la fin du blocage, exposé des frais de remise en état des différents chantiers liés à des dégradations commises par les grévistes ou à la simple interruption de ces chantiers ; que ces dépenses, qui s’élèvent au total à 42 518 euros, ne peuvent cependant être prises en compte que pour autant qu’elles résultent de la prolongation du blocage entre les 23 avril et 23 mai soit pour la somme 25 347 euros ; que doivent être également indemnisés les frais résultant de l’intervention d’un huissier pendant cette période, soit un montant de 2 000 euros au regard des justifications qui figurent au dossier, et les frais de l’expertise produite dans la limite de 5 000 euros ; qu’il résulte de l’instruction que, dans la limite de la somme de 15 000 euros, la société justifie avoir subi un préjudice commercial du fait que les retards pris dans les chantiers en cours et l’occupation de son siège social entre le 23 avril et le 23 mai 1997 l’ont empêchée de prendre de nouvelles commandes ;

Considérant, en deuxième lieu, que si la société sollicite l’indemnisation de réclamation de ses sous-traitants et de la résiliation de l’un des marchés interrompus, les pièces du dossier ne permettent pas de regarder comme établi le caractère certain de ces préjudices ; que si le versement de pénalités de retard liées à l’interruption de chantiers peut être regardé comme un préjudice direct, la demande présentée par la société SNT n’est pas assortie des justificatifs permettant de regarder comme certain ce préjudice ; que, par suite, la demande relative à ce chef de préjudice doit être écartée ;

Considérant, enfin qu’en sollicitant à la fois l’indemnisation du préjudice découlant du fait qu’elle a continué à acquitter des charges sans dégager en contrepartie de recettes pendant cette période et l’indemnisation du préjudice résultant de la perte de recettes et de la baisse de son taux de marge au titre de la même période, la société demande à être indemnisée sous deux formes différentes du même préjudice ; qu’en l’espèce, eu égard au caractère théorique du calcul de la perte de recettes, non justifié par des documents comptables, et aux difficultés que connaissait l’entreprise et qui l’avaient conduite à licencier une partie de son personnel, le chef de préjudice résultant de la perte de recettes doit être écarté ; que s’agissant des frais de personnel, la société en justifie, dans la limite de 58 066 euros correspondant au montant des salaires et charges sociales versés à des personnels empêchés de travailler pendant la période du 23 avril au 23 mai ; que les frais de location de matériel doivent également être pris en compte dans la limite de cette même durée soit la somme de 11 683 euros ; qu’en revanche, les frais d’amortissement du matériel de l’entreprise et les frais généraux sollicités au titre des autres frais de fonctionnement acquittés sans contrepartie pendant la période ne présentent pas avec la poursuite de l’occupation de l’entreprise pendant la période en cause un lien suffisamment direct pour être indemnisés ; qu’il résulte également de l’instruction que les frais d’avocat liés à la négociation du protocole qui a mis fin au mouvement ne présentent pas un lien direct avec la prolongation du blocage ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que M. B., liquidateur judiciaire de la société SNT aux droits de laquelle il vient, est fondé à demander l’indemnisation du préjudice subi par la société du fait de la prolongation du blocage de l’entreprise entre les 23 avril et 23 mai 1997 dans la limite de 125 604 euros ; que cette somme portera intérêt à compter du 14 avril 1997 ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de l’Etat une somme de 4 000 euros au titre des frais exposés par la SNT et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 14 mai 2005 du tribunal administratif de Basse-Terre est annulé en tant qu’il a déterminé le préjudice de la Société nouvelle de travaux à 50 000 euros. L’indemnité due par l’Etat est portée à un montant de 125 604 euros, portant intérêt au taux légal à compter du 14 avril 1997.

Article 2 : L’Etat versera la somme de 4 000 euros à M. B., liquidateur amiable de la SNT au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M.B. et le pourvoi incident de la ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire sont rejetés.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Michel B. et à la ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales.

 


©opyright - 1998 - contact - Rajf.org - Revue de l'Actualité Juridique Française - L'auteur du site
Suivre la vie du site