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Conseil d’Etat, 7 mars 2008, n° 299240, Pierre G.

L’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 299240

M. G.

Mme Christine Grenier
Rapporteur

M. Luc Derepas_ Commissaire du gouvernement

Séance du 13 février 2008
Lecture du 7 mars 2008

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés les 1er décembre 2006, 6 février, 15 février et 6 juillet 2007 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Pierre G. ; M. G. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et des solidarités a rejeté la demande qu’il lui a adressée le 1er août 2006, afin que soient prises les mesures d’application de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002, en tant qu’il est relatif au titre de chiropracteur ;

2°) d’enjoindre au Premier ministre de prendre ces mesures dans un délai de six mois à compter de la notification de la décision à intervenir, le cas échéant sous astreinte ;

3°) de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la Constitution ;

Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Christine Grenier, chargée des fonctions de Maître des requêtes,

- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. G. et de la SCP Vier, Barthélemy, Matuchansky, avocat de l’Association française de chiropratique,

- les conclusions de M. Luc Derepas, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 définit les modalités d’exercice de la chiropraxie et renvoie à des décrets d’application le soin de définir notamment le contenu des formations et du diplôme permettant d’exercer cette activité, les modalités d’agrément des établissements de formation, les équivalences reconnues aux titulaires de diplômes étrangers, les conditions permettant aux praticiens en exercice de bénéficier du titre de chiropracteur, les actes que les titulaires de ce titre sont autorisés à effectuer et les conditions dans lesquelles ils les accomplissent ; qu’à la date de la décision attaquée, aucun des décrets d’application ainsi prévus par la loi n’avait été pris ; que M. G. demande l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de la santé et des solidarités a rejeté sa demande du 1er août 2006 tendant à ce que ces décrets soient pris ;

Sur l’intervention de l’Association française de chiropratique :

Considérant qu’aux termes de l’article 2 de ses statuts, l’Association française de chiropratique a notamment pour objet de " faire reconnaître la chiropratique en tant que profession de santé (.) " ; que la circonstance que M. G. s’est prévalu à tort de sa qualité de membre de cette association dans sa requête sommaire et son mémoire complémentaire, point qu’il a au demeurant rectifié dans un nouveau mémoire, n’est pas de nature à rendre l’association recevable à intervenir ; qu’elle se prévaut toutefois également de son intérêt à la poursuite des négociations en cours avec le ministre de la santé, de la jeunesse et des sports pour définir le régime applicable à l’usage du titre de chiropracteur ; que, par suite, et quel que soit le bien-fondé des moyens qu’elle invoque, l’Association française de chiropratique justifie d’un intérêt lui donnant qualité pour intervenir au soutien des conclusions du ministre de la santé, de la jeunesse et des sports ; qu’il résulte de ce qui précède que l’intervention en défense de l’Association française de chiropratique est recevable ;

Sur la légalité de la décision attaquée :

Considérant qu’en vertu de l’article 21 de la Constitution, le Premier ministre " assure l’exécution des lois " et " exerce le pouvoir réglementaire ", sous réserve de la compétence conférée au Président de la République pour les décrets en Conseil des ministres par l’article 13 de la Constitution ; que l’exercice du pouvoir réglementaire comporte non seulement le droit mais aussi l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi, hors le cas où le respect d’engagements internationaux de la France y ferait obstacle ;

Considérant, en premier lieu, qu’il résulte des pièces du dossier que le ministre chargé de la santé publique a engagé une concertation avec les praticiens concernés par la mise en œuvre de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 ; que, par lettre du 3 mai 2006, l’Association française de chiropratique a demandé au ministre chargé de la santé publique de bien vouloir retirer toute référence à la chiropraxie et à ses praticiens des projets de décrets d’application de la disposition législative précitée ; qu’il a été donné suite à cette demande et que la concertation entre le ministre et les représentants des chiropracteurs s’est poursuivie ; que, toutefois, aucune disposition législative ou réglementaire, ni aucun principe général du droit ne prévoit que les décrets d’application de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 doivent être précédés d’une consultation des praticiens concernés, ni qu’ils doivent leur être soumis pour avis ; que, si le ministre chargé de la santé publique pouvait réunir un groupe de travail comprenant des représentants des chiropracteurs, la circonstance que cette concertation n’a pas abouti ne saurait dispenser le pouvoir réglementaire de respecter l’obligation qui découle de la Constitution de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’application de la loi ;

Considérant, en second lieu, que l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 ne prévoit pas que ses décrets d’application doivent être validés scientifiquement, ni précédés d’un avis de l’Académie nationale de médecine ; qu’en dépit des difficultés rencontrées par l’administration dans l’élaboration d’un texte d’application de la disposition législative en cause, la décision de refus attaquée, née du silence gardé par le ministre sur la demande du 1er août 2006, méconnaît l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les décrets d’application de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 en tant qu’il est relatif au titre de chiropracteur ; qu’il résulte de ce qui précède que M. G. est fondé à demander l’annulation de la décision attaquée ;

Sur les conclusions tendant à la prescription de mesures d’exécution :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public (.) prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure, assortie le cas échéant, d’un délai d’exécution " ; qu’en vertu de l’article L. 911-3 de ce même code, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, peut assortir cette injonction d’une astreinte ;

Considérant que l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre chargé de la santé publique a refusé de prendre les décrets d’application de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 en tant qu’il est relatif au titre de chiropracteur, implique nécessairement l’édiction de ces décrets ; qu’il y a lieu, pour le Conseil d’Etat, d’ordonner au Gouvernement d’édicter ces décrets dans un délai de six mois ;

Considérant, en revanche, qu’à la différence des pouvoirs qui lui sont dévolus par l’article L. 911-5 du code de justice administrative qui permet au Conseil d’Etat de prononcer d’office une astreinte en cas d’inexécution d’une décision rendue par une juridiction administrative, l’article L. 911-3 du même code ne lui reconnaît pas un tel pouvoir ; que dès lors que le requérant se borne à demander que l’injonction soit " le cas échéant prononcée sous astreinte ", sans autre précision, ses conclusions ne peuvent être accueillies ;

Sur les conclusions présentées par M. G. au titre de l’article L. 741-2 du code de justice administrative :

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les mémoires de l’Association française de chiropratique comporteraient des mentions injurieuses, outrageantes ou diffamatoires ; que les conclusions de M. G. tendant à la suppression de tels passages doivent, par suite, être rejetées ;

Sur les conclusions au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat le versement de la somme de 3 000 euros à M. G. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

Article 1er : L’intervention de l’Association française de chiropratique est admise.

Article 2 : La décision implicite par laquelle le ministre chargé de la santé publique a refusé de proposer au Premier ministre de prendre les mesures d’application de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002, en tant qu’il est relatif au titre de chiropracteur, est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au Premier ministre de prendre les décrets d’application de l’article 75 de la loi du 4 mars 2002 en tant qu’il est relatif au titre de chiropracteur dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision. Le Premier ministre communiquera au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat copie des actes justifiant des mesures prises pour exécuter la présente décision.

Article 4 : L’Etat versera la somme de 3 000 euros à M. G. au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre G., à l’Association française de chiropratique, au Premier ministre et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.

 


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