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Le deuxième centenaire du Conseil d’Etat

Par Jacques CHIRAC
Président de la République française

Deux cents ans, c’est peu pour une institution comme la vôtre. Il est en effet difficile de remonter l’histoire sans rencontrer une figure ou un événement qui ne rappellent le rôle que jouait déjà le Conseil du Roi avant la Révolution.

Madame la Ministre de la Justice, Garde des Sceaux,
Messieurs les Ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,

Je suis heureux d’ouvrir ce colloque du deuxième centenaire du Conseil d’Etat. 

Deux cents ans, c’est peu pour une institution comme la vôtre. Il est en effet difficile de remonter l’histoire sans rencontrer une figure ou un événement qui ne rappellent le rôle que jouait déjà le Conseil du Roi avant la Révolution. 

Héritier d’une longue tradition, le Conseil d’Etat n’en est pas moins une institution des temps modernes. Une institution profondément inscrite dans la réalité d’une société nouvelle fondée par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen. 

Témoin et acteur de l’enracinement du régime représentatif dans notre pays au XIXème siècle, pilier de la République dès l’avènement de celle-ci, le Conseil d’Etat est depuis lors garant des prérogatives du législateur, en même temps que conseil du Gouvernement. Gardien de la séparation des pouvoirs, défenseur de la souveraineté nationale, il est aussi soucieux du respect de nos engagements en Europe et dans le monde. Reconnu et conforté par la Constitution de la Vème République, son rôle au service de l’intérêt général, de la liberté et du droit n’a cessé de s’étendre.

Depuis sa création en 1799, les fonctions qui lui ont été confiées lui ont fait prendre part à notre histoire administrative et politique. Il seconde le gouvernement dans la rédaction des projets de loi et des décrets. Il arbitre les différends entre les citoyens et l’Etat. Il nourrit la réflexion sur des questions aussi essentielles aujourd’hui qu’internet ou la bioéthique. 

Et, depuis toujours, il constitue pour le Gouvernement un vivier de fonctionnaires de talent en qui Bonaparte voyait non sans malice "des gens honnêtes de toutes les couleurs".

Aujourd’hui comme par le passé, l’Etat et son conseil doivent continuer à évoluer au même rythme. L’émergence d’une Europe à la fois plus large et plus intégrée, l’affirmation des pouvoirs locaux, l’exigence d’une plus grande autonomie des acteurs économiques et sociaux, les attentes nouvelles de nos concitoyens qui réclament toujours plus d’efficacité et de responsabilité, toutes ces évolutions vont redéfinir le périmètre, les formes et le sens de l’action publique. 

L’Etat redevient peu à peu le seul lieu possible de la convergence des règles de droit au service de l’intérêt général. Soucieux d’unité mais respecteux de la diversité, vous devez être attentifs à ces évolutions et ouvrir la voie à une nouvelle conception du rôle et de la place de l’Etat pour les décennies à venir.

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Si le Conseil d’Etat a une histoire, il a aussi un présent, qui se décline au rythme des milliers d’avis et de décisions rendus chaque année. 

Premier conseiller du gouvernement, vous en êtes aussi le juge. Cette double fonction, qui fait l’originalité du Conseil d’Etat, lui confère une place déterminante dans notre système de droit romano-germanique.

A la différence de la Common Law, notre droit, comme celui des autres pays d’Europe continentale, repose en effet sur un principe essentiel : la primauté de la norme écrite. La règle ne se dégage pas des circonstances particulières d’une affaire ; elle n’est pas découverte par le juge. Elle est posée par la loi et appliquée ensuite par les tribunaux.

Ce système juridique est sans doute plus abstrait que celui de la Common Law. Il présente toutefois l’avantage d’être moins coûteux pour le justiciable, en temps et en argent. Il répond surtout à une triple exigence de notre République. Une exigence de démocratie : c’est la loi, incarnation de la volonté générale, qui a vocation à dire le droit. Une exigence d’égalité : parce qu’elle est la même pour tous, la loi assure un traitement identique des citoyens, sans distinction d’aucune sorte. Une exigence de sécurité  : seule une norme écrite et publiée garantit avec certitude l’état du droit applicable.

Il est essentiel que la règle écrite porte, dès sa publication, toutes les garanties de clarté et de légalité nécessaires. Le contrôle préventif que le Conseil d’Etat exerce dans sa fonction consultative joue à cet égard un rôle très utile. Il corrige aussi ce que notre système pourrait avoir de trop abstrait. Il est sain que le gouvernement recueille, avant d’agir, l’avis de praticiens du contentieux qui connaissent les difficultés rencontrées par les usagers dans l’application des textes.

A l’heure où le droit investit de nouveaux domaines pour faire face à des enjeux aussi variés que la bioéthique, l’exclusion sociale ou les nouvelles technologies de l’information, le Conseil d’Etat doit plus que jamais veiller à la cohérence et à la rigueur des règles juridiques. L’extension du domaine du droit ne doit pas se faire au détriment de sa qualité. Parce que la loi est exigeante, elle doit être exacte ; et parce qu’elle est partout, elle doit être comprise par tous.

*

Autre caractéristique de notre système romano-germanique : il a mis en place des règles propres à l’action des collectivités publiques. Dans ce domaine, l’influence du Conseil d’Etat a été décisive. Il a créé un droit qui permet de juger la puissance publique en tenant compte des exigences de l’intérêt général. C’est l’aspect de son activité qui a le plus contribué à son rayonnement international. Mais c’est aussi celui qui, paradoxalement, est parfois le plus mal compris en France. 

Il répond pourtant à un impératif majeur. Les Français attendent des collectivités publiques qu’elles remplissent efficacement leurs fonctions d’arbitrage, de service et de protection des plus vulnérables. La prise en compte de l’intérêt général par le droit public n’est rien d’autre que le moyen par lequel cette aspiration fondamentale peut être satisfaite Elle garantit le respect du principe d’égalité. Elle ne diminue en rien l’obligation faite aux autorités publiques de respecter les droits individuels. 

Ces droits ne sauraient connaître d’autres limites que celles qui sont strictement nécessaires à la recherche du bien commun. La Déclaration de 1789 ne dit pas autre chose. Face aux grands mouvements du monde et aux inquiétudes qu’ils suscitent, ces principes sont plus que jamais d’actualité. Il faut une juridiction entièrement vouée à leur application rigoureuse.

Si, dans le même élan révolutionnaire, la loi des 16 et 24 août 1790 a interdit, à peine de forfaiture, aux juges judiciaires de "troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs" et de "citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions", c’est parce que les Parlements d’ancien régime avaient empêché la modernisation du Royaume et l’unification du droit français. C’est l’expérience vécue d’un système où le juge entravait constamment l’action publique qui a conduit la Révolution à rejeter de telles immixtions en même temps qu’elle posait les fondations d’une légitimité nouvelle du pouvoir politique.

Certains présentent la juridiction administrative comme une survivance de l’Etat napoléonien, liée à une conception autoritaire de l’Etat, aujourd’hui révolue. C’est oublier qu’elle découle d’abord de la vision révolutionnaire de la séparation des pouvoirs. C’est oublier surtout qu’elle est partie intégrante de notre tradition républicaine, au point de figurer parmi les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Les Français attendent de la République qu’elle soit plus que la somme des citoyens qui la composent : ils veulent qu’elle soit aussi une communauté d’idéal. Il n’y a pas de République en France sans ardente obligation ; pas de gouvernement sans une démarche volontaire au service de l’intérêt général.

Cette prise en compte de l’intérêt général fonde la légitimité du juge administratif en même temps qu’elle définit sa compétence. Ce qui rend certains arrêts du Conseil d’Etat célèbres, ce n’est pas uniquement la règle de droit qu’ils ont posée  ; c’est la consécration juridique qu’ils ont donnée à une volonté politique, exprimée par la Nation tout entière.

Le droit administratif a façonné notre modèle de service public, et il continue à le faire vivre. 

Il a fondé un régime de responsabilité publique très favorable au citoyen et révélateur de son souci d’équilibre. Un équilibre qui assure l’indemnisation équitable des victimes, mais qui évite aussi de faire peser sur les acteurs du service public le poids d’une suspicion paralysante. Il y a là une équation qui resterait insoluble sans la possibilité, sans le devoir de se prononcer en fonction d’un critère d’intérêt général.

Ce système ne doit pas être vidé de son sens par une pénalisation excessive de la vie publique. Les progrès indéniables de l’Etat de droit s’accompagnent dans notre société d’évolutions plus ambiguës. Il n’y a pas si longtemps, on demandait au juge administratif ou au juge civil d’assurer la réparation des dommages subis sans rechercher de faute pénale, sauf action délictueuse ou criminelle caractérisée. Aujourd’hui, c’est de plus en plus souvent au juge pénal que l’on s’adresse directement, pour lui demander, non pas une réparation, mais une sanction.

J’ai déjà eu l’occasion de le dire : il n’est pas sain que la recherche d’une responsabilité pénale soit considérée comme la réponse normale à tout dysfonctionnement. C’est en définitive notre service public qui porte le poids de cette dérive, c’est lui qui s’en trouve "pénalisé", dans tous les sens du terme.

Le droit pénal doit conserver sa fonction, qui est de punir un comportement fautif expressément interdit par la loi. Il ne saurait devenir une voie d’action détournée qui conduirait à brider toute initiative publique ou privée, et notamment celles des maires. La faute, la prise de risque inconsidérée doivent être sanctionnées ; mais l’aléa ne peut être qu’indemnisé. Il ne faut pas céder à la facilité qui consiste à rechercher, derrière tout accident, un bouc émissaire.

Il va de soi que cette pénalisation excessive de notre droit sera d’autant mieux évitée que les systèmes de responsabilité civile, politique et administrative, fonctionneront de manière efficace. La justice administrative a pris acte de cette nécessité en faisant évoluer la responsabilité publique pour ouvrir plus largement le droit à réparation.

Si le juge administratif s’est imposé au cours des deux derniers siècles, c’est aussi parce qu’il est un bon juge. Un juge facile d’accès. Un juge qui veille à ce qu’aucun acte de l’administration ne lui échappe. Un juge efficace, qui aide les requérants à obtenir le respect de la chose jugée.

C’est aussi un juge exigeant. Il contrôle d’autant mieux l’administration qu’il la connaît bien, qu’il est en mesure d’apprécier non seulement ses actes, mais aussi ses motivations. Il compense ainsi le déséquilibre qui pourrait s’instaurer entre les particuliers et la puissance publique.

Comme tout juge, il doit juger vite. Car une décision qui arrive trop tard est une forme de déni de justice. Juger sans retard est impératif. Tout doit être mis en oeuvre pour atteindre cet objectif.

Le Conseil d’Etat est un juge présent dans le monde entier. S’il est vrai qu’elle puise ses origines en France, la juridiction administrative n’est plus un particularisme hexagonal. Elle existe chez nos voisins européens : italiens, allemands, belges ou portugais. Mais aussi dans beaucoup d’autres pays, du Liban à la Thaïlande, en passant par la Tunisie ou la Colombie. Je salue d’ailleurs les très nombreux visiteurs étrangers qui se sont joints à vous pour cet anniversaire, et en particulier le Président Camara, du Conseil d’Etat sénégalais, qui a bien voulu tenir en leur nom des propos auxquels j’ai été très sensible.

Même des pays comme le Royaume-Uni, traditionnellement réticents à la distinction entre droit public et droit privé, voient se développer chez eux un contentieux administratif spécifique, des formations de jugement spécialisées et des notions voisines de nos principes de droit public. Il est vrai que dans le même temps, nos juridictions connaissent, sous l’influence de la Cour de Strasbourg, une évolution symétrique, en s’inspirant des exigences procédurales qui font la force des systèmes anglo-saxons. Il y a là un mouvement de convergence inévitable : les querelles de clocher et les controverses théoriques pèsent peu face à l’impératif de dire le droit d’une manière transparente et efficace.

Deux cents ans après sa fondation, le Conseil d’Etat est toujours au carrefour de notre droit et de notre Etat. Il s’est depuis longtemps émancipé des conceptions autoritaires de la puissance publique qui ont marqué ses premières années. Plus qu’un héritage impérial, il s’affirme aujourd’hui comme l’instrument du droit au service du pacte républicain. Il doit conserver ce rôle, en sachant le faire évoluer, comme il l’a fait au cours des deux derniers siècles.

*

Il vous appartient en effet de tirer les conséquences des évolutions de la société pour ce qui concerne la sphère publique. 

Les attentes nouvelles de nos concitoyens à l’égard des services publics, leur lassitude parfois face à un système administratif plus porté à censurer qu’à aplanir les difficultés, sont autant de facteurs nouveaux qu’il importe de prendre en compte. 

La multiplication des sources de droit, aussi bien nationales qu’internationales, la meilleure insertion de la France dans l’économie mondiale, le resserrement continu de nos liens avec les autres pays d’Europe, mais aussi la montée en puissance de la démocratie locale créent un foisonnement de règles qui doivent être combinées et maîtrisées. Cette évolution est porteuse de progrès, mais elle peut également être source d’insécurité. C’est un grand défi pour l’Etat que de réussir à l’ordonner pour garantir l’existence d’un cadre stable et protecteur, favorable aux relations entre les hommes et au développement de l’activité. Un cadre permettant d’assurer en toutes circonstances cette sécurité juridique sans laquelle il n’y aurait ni confiance ni initiative. Un cadre exprimant, face à toutes les forces centrifuges, cette volonté de vivre ensemble et cet attachement à la cohésion sociale qui font la force de notre communauté nationale. 

Au milieu de tous les changements du monde, il importe en effet que l’Etat soit plus que jamais un repère, un pôle de stabilité, le garant de notre unité.

Le Conseil d’Etat est son conseil. C’est à lui que revient la mission de mettre en cohérence les évolutions du droit. Rien de ce qui relève de l’évolution de la chose publique ne doit lui être étranger.

La construction de l’Europe d’abord. Elle fait clairement apparaître que l’Etat est une réalité en devenir dont le principe reste immuable, mais dont les frontières et le contenu évoluent.

Dans notre pays, l’émergence de l’Europe a une signification symbolique. Etat, Nation et souveraineté ont longtemps coïncidé au point de se confondre. Nous découvrons aujourd’hui que la Nation française existe en dehors de l’Etat, qu’elle est forte, qu’elle possède une vie propre, une richesse, une diversité qui vont bien au-delà des cadres administratifs. Cette identité nationale, cette unité profonde, ne sont pas menacées par l’Europe. Bien au contraire, l’Europe est pour la France l’instrument d’une capacité retrouvée à maîtriser son destin.

La construction européenne a également des répercussions juridiques. La moitié des règles qui entrent chaque année dans notre droit sont d’origine communautaire. Ce chiffre ne doit pas être brandi comme un épouvantail. Souvent, l’Europe s’inspire de notre législation, elle ne fait que rendre ce que nous lui avons prêté. Il n’en reste pas moins que cette évolution change le rôle de l’Etat, aussi bien dans la conception des normes que dans leur application.

Le Conseil d’Etat en a d’ores et déjà tiré toutes les conséquences au contentieux. Depuis dix ans, il examine la conformité des textes législatifs aux engagements internationaux pris par la France. Nos concitoyens peuvent le saisir pour faire respecter les droits nouveaux que leur confèrent les traités européens ou internationaux.

Le Conseil d’Etat s’est aussi adapté au nouveau contexte communautaire dans sa fonction consultative. Depuis 1992, il signale au gouvernement les projets d’actes communautaires qui relèvent de la compétence législative, et doivent donc être transmis au Parlement. Ce faisant, il permet au Parlement de mieux mesurer le poids de nos engagements dans les instances européennes et de participer plus efficacement à l’élaboration de la règle communautaire. Il retrouve aussi sa vocation traditionnelle qui est de protéger la loi contre les empiétements de l’administration, que cette administration siège à Paris ou à Bruxelles.

Cette mission est essentielle pour permettre au Parlement de peser réellement sur les normes communautaires et donc pour notre démocratie. La réforme récente de notre Constitution, en janvier dernier, a encore accru son importance. Elle s’exerce souvent dans des délais très courts. Le Conseil d’Etat s’y est remarquablement prêté.

On peut s’en réjouir ou le déplorer : l’Union européenne prend très largement le visage du droit. L’actualité la plus récente nous le rappelle, et il ne saurait en être autrement dans un lieu où doivent se concilier quinze points de vue différents. C’est donc aussi en termes juridiques qu’il nous faudra exprimer notre projet de société et affirmer notre modèle national. Le Conseil d’Etat doit nous y aider en développant encore sa capacité de réaction et d’expertise.

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Autre évolution majeure au sein de nos institutions, la montée en puissance de la démocratie locale, qui modifie la place de l’Etat. Elle s’est traduite par des transferts de compétence importants et par un nouvel équilibre politique.

Elle doit maintenant franchir de nouvelles étapes. La répartition des compétences entre les différents niveaux d’administration reste en effet trop enchevêtrée. Cette confusion est source d’inefficacité, de surcoût dans la gestion des administrations et elle nourrit chez les Français un sentiment d’éloignement vis-à-vis du politique. La décentralisation ne rapprochera pas le citoyen de l’administration si les compétences sont partout, et les responsabilités nulle part.

L’enjeu est de taille. La compétition des territoires est commencée. Les entreprises n’investiront plus là où elles ne trouveront pas en face d’elles un exécutif responsable, maître des principaux leviers de décision. 

Le renforcement de la démocratie locale changera aussi les conditions d’intervention de nombreux services publics, parce que les besoins concrets qu’expriment nos concitoyens ne pourront pas être pleinement satisfaits sans le relais des initiatives locales. C’est vrai dans le domaine de la sécurité, où les maires doivent se voir reconnaître de nouvelles responsabilités. C’est encore plus vrai pour l’enseignement, pour la formation et pour l’emploi, qui s’accommodent de moins en moins des rigidités d’un système centralisé.

Là encore, le Conseil d’Etat a un rôle à jouer. L’action publique est devenu un concert à plusieurs voix. Il vous revient de contribuer à ce que cette richesse ne conduise pas à la cacophonie. Dans vos fonctions consultatives, cela implique que vous ayez à coeur de souligner les doublons de compétence et d’indiquer au gouvernement les conséquences qu’implique le renforcement des pouvoirs des acteurs locaux pour le fonctionnement des administrations centrales et déconcentrées. Dans vos fonctions juridictionnelles, cela suppose que vous assuriez le respect, par chaque collectivité, de ses obligations légales et de ses engagements contractuels.

Au Conseil d’Etat revient aussi de faire évoluer le rôle de l’administration pour qu’elle se comporte de plus en plus comme un partenaire ou un appui. A lui enfin de nourrir la réflexion pour que les collectivités ne soient pas entravées par des réglementations trop pesantes, et pour qu’elles bénéficient de ressources en rapport avec leurs responsabilités.

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Ces diverses évolutions s’inscrivent dans le cadre d’une réforme de l’Etat que nos concitoyens attendent. Les Français demandent davantage de cohérence, de proximité et d’efficacité dans l’organisation de leur service public.

Plus que toute autre instance, le Conseil d’Etat peut et doit veiller à la cohérence de l’action publique. Vous devez être la conscience de l’administration. C’est le sens de votre métier de juge comme de votre rôle de conseil : rappeler l’administration au respect de la règle de droit, la contraindre à motiver ses décisions et à justifier ses choix, s’assurer qu’elle respecte certaines règles de cohérence et qu’elle agit en toutes circonstances en pleine connaissance de cause.

Je n’ai pas besoin non plus de vous rappeler l’importance qu’attachent les Français à un service public plus proche de leurs préoccupations. Au sein des grands corps de l’Etat, vous avez le privilège de conserver un lien direct avec nos concitoyens, au moins en ce qui concerne votre activité contentieuse. La réforme des procédures d’urgence intervenue cette année doit d’ailleurs vous permettre de répondre plus efficacement à leur attente.

Cette relation avec les citoyens vous impose des obligations particulières. Connaissant les difficultés auxquelles se heurte la machine publique, il vous appartient de rechercher les voies d’une administration plus souple, plus simple et plus efficace.

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Mesdames et Messieurs,

Au cours des deux derniers siècles, le Conseil d’Etat a tenu avec constance une fonction arbitrale. Il a assuré la cohérence de notre droit et l’efficacité de l’action publique au service de l’intérêt général.

A l’heure de la mondialisation, cette mission prend une nouvelle dimension. D’abord parce que l’évolution des mentalités met davantage l’accent sur la défense des intérêts individuels. Ensuite parce que l’ouverture des frontières et la complexité croissante de nos sociétés ne permettent plus de fixer les règles à partir d’un centre unique. L’Etat doit trouver des relais internationaux et mettre en place de nouveaux instruments pour éviter que l’absence d’arbitre n’impose la loi du plus fort. La France participe à l’émergence de ce nouvel ordre juridique mondial, en faisant valoir ses atouts, qui sont nombreux. Votre expérience séculaire, votre attachement à la défense des libertés publiques en font partie.

Au-delà même de cette évolution, l’Etat est conduit à renouveler ses modes d’intervention. Dans un système de concurrence, ce n’est pas seulement par la loi, mais aussi par l’efficacité de son service public qu’il servira le mieux l’intérêt général. Il lui faudra s’imposer par la maîtrise de ses dépenses, par la qualité des prestations de son système éducatif et judiciaire, par la place qu’il saura faire aux initiatives des partenaires sociaux et par l’efficacité de ses administrations de terrain. Vous devez aider l’Etat à faire vivre cette exigence et cet engagement !

Je vous remercie.

© - Tous droits réservés - Jacques CHIRAC - 29 janvier 2000

 


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