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Conseil d’Etat, 9 avril 2004, n° 263759, Lionel V.

Le secret des correspondances et la liberté d’exercice de leurs mandats par les élus locaux ont le caractère de liberté fondamentale. Eu égard à ces caractéristiques, cette note porte une atteinte grave et manifestement illégale au secret des correspondances et à la liberté d’exercice de leur mandat par les élus municipaux. Compte tenu des conséquences qu’elle entraîne en permanence sur le secret des correspondances et sur les conditions d’exercice de leur mandat par les élus de la commune de Drancy, il y a urgence à mettre fin à son applicatio.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 263759

M. V.

Mlle Herry
Rapporteur

Mme Boissard
Commissaire du gouvernement

Séance du 29 mars 2004
Lecture du 9 avril 2004

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 10ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 21 janvier 2004 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée pour M. Lionel V. ; M. V. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’ordonnance du 9 janvier 2004 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté, en application de l’article L. 522-3 du code de justice administrative, sa demande tendant à ce que soient prononcées toutes mesures de nature à faire cesser les agissements de la commune de Drancy consistant, en méconnaissance du secret des correspondances, à ordonner au service du courrier d’ouvrir systématiquement toutes les correspondances adressées aux adjoints au maire et à un certain nombre de conseillers municipaux ;

2°) de prononcer en urgence toutes mesures de nature à mettre un terme aux agissements litigieux ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Drancy la somme de 3 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code pénal ;

Vu le code général des collectivités territoriales ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Herry, Auditeur,
- les observations de la SCP Tiffreau, avocat de M. V. et de Me Balat, avocat de la commune de Drancy,
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : "Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public (.) aurait porté, dans l’exercice de l’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (.)" ; que selon le deuxième alinéa de l’article R. 522-13 de ce code, le juge des référés peut prévoir que sa décision sera exécutoire aussitôt qu’elle aura été rendue ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise que le directeur général des services de la commune de Drancy a fait savoir, par une note en date du 5 novembre 2003, au service du courrier de cette commune que "sur instructions de Monsieur le député maire [je vous informe] que l’ensemble des courriers adressés aux adjoints au maire ainsi qu’à [certains] conseillers municipaux (.) doit être ouvert et enregistré." ; que M. V., adjoint au maire de la commune de Drancy a présenté, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, une demande tendant à ce que le juge des référés prononce toutes mesures nécessaires afin qu’il soit mis fin à l’application de cette note ; que par une ordonnance en date du 8 janvier 2004, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa requête pour défaut d’urgence selon la procédure prévue par l’article L. 522-3 du code de justice administrative ;

Sur la compétence du Conseil d’Etat :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 523-1 du code de justice administrative : "Les décisions rendues en application des articles L. 521-1, L. 521-3, L.521-4 et L. 522-3 sont rendues en dernier ressort" ; qu’ainsi, et contrairement à ce que soutient la commune de Drancy, il appartient au Conseil d’Etat de connaître, par la voie du recours en cassation, de la requête de M. V. ;

Sur le bien-fondé de l’ordonnance attaquée :

Considérant qu’en se bornant à relever que l’absence de circonstances particulières faisait obstacle à ce que le juge des référés ordonne une mesure visant à la sauvegarde d’une liberté fondamentale sans rechercher dans quelle mesure la décision litigieuse était susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, le juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a commis une erreur de droit ; qu’ainsi M. V. est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance attaquée ;

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 821-2 du code de justice administrative et de régler l’affaire au titre de la procédure de référé engagée par M. V. ;

Considérant que le secret des correspondances et la liberté d’exercice de leurs mandats par les élus locaux ont le caractère de liberté fondamentale ; que la note du 5 novembre 2003, qui concerne l’ensemble des courriers adressés aux adjoints au maire de Drancy ainsi qu’à cinq conseillers municipaux, a pour conséquence que tous les plis adressés aux intéressés sont systématiquement ouverts sans qu’il soit fait de distinction entre les différentes catégories de courriers que peuvent recevoir ces élus ; qu’elle ne prévoit pas l’accord préalable des destinataires de ces courriers et n’est justifiée par aucune circonstance particulière ; qu’eu égard à ces caractéristiques, cette note porte une atteinte grave et manifestement illégale au secret des correspondances et à la liberté d’exercice de leur mandat par les élus municipaux ; que, compte tenu des conséquences qu’elle entraîne en permanence sur le secret des correspondances et sur les conditions d’exercice de leur mandat par les élus de la commune de Drancy, il y a urgence à mettre fin à son application ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu, sur le fondement des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, d’ordonner la suspension de l’exécution de la note du directeur général des services de la commune de Drancy en date du 5 novembre 2003 et d’enjoindre au maire de cette commune de donner à ses services toutes instructions pour qu’il soit immédiatement mis fin à l’application de cette note ; qu’il y a lieu de prévoir, en application de l’article R. 522-13 du code de justice administrative, que la présente décision sera exécutoire, sans attendre sa notification, dès qu’elle aura été portée par tout moyen à la connaissance du maire de Drancy ;

Sur les conclusions tendant à l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant, d’une part, que les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme que la commune de Drancy demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens soit mise à la charge de M. V. qui n’est pas, dans la présente instance, la partie perdante ; qu’il y a lieu, d’autre part, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la commune de Drancy la somme de 3 500 euros que M. V. demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’ordonnance du 9 janvier 2004 du juge des référés du tribunal administratif de Cergy-Pontoise est annulée.

Article 2 : L’exécution de la note du directeur général des services de la commune de Drancy en date du 5 novembre 2003 est suspendue.

Article 3 : Il est enjoint au maire de la commune de Drancy de donner à ses services toutes instructions pour qu’il soit immédiatement mis fin à l’application de la note du 5 novembre 2003.

Article 4 : La présente décision sera exécutoire, en application de l’article R. 522-13 du code de justice administrative, dès qu’elle aura été portée par tout moyen à la connaissance du maire de Drancy.

Article 5 : La commune de Drancy versera à M. V. la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Les conclusions de la commune de Drancy tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 7 : La présente décision sera notifiée à M. Lionel V., à la commune de Drancy, au préfet de la Seine-Saint-Denis et au ministre de l’intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

 


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