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NOTES ET COMMENTAIRES :
Chronique de Francis DONNAT et Didier CASAS, La fin du forfait de pension : la réparation intégrale des conséquences dommageables de l’accident de service, AJDA 2003, p.1598

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Conseil d’Etat, Assemblée, 4 juillet 2003, n° 211106, Mme Amélie M.-C.

Des dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions. Elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 211106

M. M.-C.

M. Maisl Rapporteur

M. Chauvaux Commissaire du gouvernement

Séance du 20 juin 2003 Lecture du 4 juillet 2003

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Sur le rapport de la 5ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 2 août et 2 décembre 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour Mme Amélie M.-C. ; Mme M.-C. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt en date du 18 mai 1999 par lequel la cour administrative d’appel de Marseille a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 27 novembre 1996 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser la somme de 750 000 F, en réparation du préjudice qu’elle a subi du fait de la maladie qu’elle a contractée au cours de son activité dans les services de ce centre hospitalier ;

2°) de condamner le centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser une somme de 10 000 F, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;

Vu l’ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 modifiée ;

Vu la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée ;

Vu la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 modifiée ;

Vu le décret n° 47-1846 du 19 septembre 1947 modifié ;

Vu le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Maisl, Conseiller d’Etat,
- les observations de Me Ricard, avocat de Mme M.-C. et de la SCP Vier, Barthélemy, avocat du centre hospitalier universitaire de Montpellier,
- les conclusions de M. Chauvaux, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l’Etat qui se trouvent dans l’incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d’infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d’une rente viagère d’invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; que les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales prévoient, conformément aux prescriptions du II de l’article 119 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, des règles comparables au profit des agents tributaires de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ;

Considérant que ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions ; qu’elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci ;

Considérant que, pour rejeter la demande d’indemnité présentée par Mme M.-C., agent du centre hospitalier universitaire de Montpellier, atteinte d’une maladie professionnelle et bénéficiaire d’une rente d’invalidité versée par la caisse nationale de retraite des agents collectivités locales, la cour administrative d’appel de Marseille a jugé que la requérante n’aurait pu prétendre à une telle réparation qu’en présence de "circonstances exceptionnelles rompant à son détriment le principe d’égalité, dans des conditions gravement fautives" ; qu’en posant une telle condition, la cour a commis une erreur de droit ; qu’il suit de là que Mme M.-C. est fondée à demander l’annulation de l’arrêt attaqué ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, s’il prononce l’annulation d’une décision administrative statuant en dernier ressort, le Conseil d’Etat peut régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie ; qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction que Mme M.-C., qui a été employée par le centre hospitalier universitaire de Montpellier à partir de 1978 en qualité d’agent des services public hospitaliers puis d’aide soignante, a développé dans l’exercice de ses fonctions une allergie au formol présentant le caractère d’une maladie professionnelle, qui s’est progressivement aggravée ; que, se trouvant dans l’incapacité permanente d’exercer ses fonctions, elle a été admise à faire valoir ses droits à la retraite par réforme à compter du 1er octobre 1991 ; qu’elle a demandé au tribunal administratif de Montpellier de condamner le centre hospitalier universitaire de Montpellier à lui verser, d’une part, une indemnité correspondant à l’ensemble des préjudices résultant pour elle de sa maladie professionnelle, qu’elle impute à des fautes commises par le centre hospitalier et, d’autre part, la fraction de son traitement dont elle estime avoir été illégalement privée au cours du congé de maladie qui a précédé sa mise à la retraite par réforme ainsi que des frais de cure thermale ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif s’est fondé sur le caractère forfaitaire de la pension et de la rente viagère d’invalidité servies à l’intéressée pour rejeter l’ensemble de ses conclusions ;

Considérant que, dans son mémoire en défense enregistré le 18 avril 1995, le centre hospitalier universitaire de Montpellier a conclu devant le tribunal administratif au rejet au fond de la demande de Mme M.-C. sans opposer de fin de non recevoir tirée de l’absence de décision préalable ; que ce mémoire a lié le contentieux ; que le centre hospitalier n’est par suite pas fondé à soutenir que la demande présentée par Mme M.-C. devant le tribunal administratif était irrecevable ;

Sur les conclusions tendant à la réparation du préjudice subi par Mme M.-C. :

Considérant qu’alors même qu’elle bénéficie, au titre de sa maladie professionnelle, d’une pension et d’une rente viagère d’invalidité qui lui ont été accordées dans les conditions prévues par les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965, Mme M.-C. conserve le droit de demander au centre hospitalier universitaire de Montpellier, en l’absence même d’une faute de cet établissement public, la réparation des souffrances physiques et morales et des préjudices esthétique et d’agrément pouvant résulter de sa maladie ; qu’en établissant que celle-ci trouve son origine, comme elle le soutient, dans une faute de l’administration, elle peut prétendre, en outre, au versement d’une indemnité réparant ses autres chefs de préjudice, dans la mesure où ils ne seraient pas entièrement réparés par le versement de la pension et de la rente viagère d’invalidité ; que la requérante est ainsi fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier s’est fondé sur les dispositions prévoyant l’octroi de ces prestations pour rejeter ses conclusions tendant à ce que le centre hospitalier soit condamné à lui verser une indemnité réparant le dommage que lui a causé sa maladie professionnelle ;

En ce qui concerne les indemnités demandées au titre des souffrances physiques et morales et du préjudice esthétique :

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment de l’expertise ordonnée par le président du tribunal administratif de Montpellier que Mme M.-C. a subi un préjudice esthétique évalué à 3 sur une échelle de 7 et des souffrances physiques évaluées à 4 sur une échelle de 7 ; qu’elle subit en outre, en raison de l’angoisse engendrée par le risque permanent d’affections sévères en cas d’exposition à l’allergène, d’importantes souffrances morales ; qu’il sera fait une juste appréciation de ces préjudices et de la réparation due à Mme M.-C., en l’absence de faute de la victime susceptible de justifier une atténuation de la responsabilité du centre hospitalier, en condamnant cet établissement public à lui verser une somme de 30 000 euros ;

En ce qui concerne les autres chefs de préjudice :

Considérant que Mme M.-C. demande une indemnité au titre de pertes de revenus qui ne seraient pas réparées par le versement de la pension et de la rente viagère d’invalidité ; que ce dommage est une conséquence de l’atteinte à son intégrité physique, que le centre hospitalier universitaire pourrait être condamné à réparer si, comme le soutient la requérante, la maladie professionnelle devait être regardée comme la conséquence d’une faute des services de cet établissement ; qu’il y a lieu toutefois de tenir compte des dispositions permettant à certains organismes ayant versé des prestations à une personne atteinte d’une lésion imputable à un tiers d’exercer à l’encontre ce tiers une action tendant au remboursement des sommes qu’ils ont exposées ;

Considérant que si les articles 1er et 7 de l’ordonnance du 7 janvier 1959 relative aux actions en réparation civile de l’Etat et de certaines autres personnes publiques ainsi que l’article 26 du décret du 9 septembre 1965 ouvrent à la caisse des dépôts et consignations agissant comme gérante de la caisse nationale des retraites des agents des collectivités locales, à l’encontre du tiers responsable d’un accident de service ou d’une maladie professionnelle, une action en remboursement des prestations versées à la victime, la collectivité publique employeur de l’agent n’a pas, pour l’application de ces dispositions, la qualité de tiers vis à vis de l’agent et de la caisse débitrice des prestations ; que Mme M.-C. imputant à la collectivité publique qui l’employait la responsabilité des dommages qu’elle a subis, la caisse des dépôts et consignations n’a pas à être mise en cause ;

Considérant en revanche qu’en vertu de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale, lorsque, en dehors des cas régis par les dispositions législatives applicables aux accidents du travail, la lésion dont un assuré social ou son ayant droit est atteint est imputable à un tiers, la caisse de sécurité sociale est admise à poursuivre le remboursement des prestations qu’elle a versées, à due concurrence de la part d’indemnité mise à la charge du tiers qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, à l’exclusion de la part d’indemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales et au préjudice esthétique et d’agrément ; qu’il ne résulte pas de l’instruction que la caisse primaire d’assurance maladie de l’Hérault, auprès de laquelle Mme M.-C. est affiliée, n’ait pas versé à celle-ci des prestations liées à sa maladie professionnelle ; que cette caisse doit dés lors être appelée en déclaration de jugement commun ;

Considérant qu’afin de permettre cette mise en cause, il y a lieu de surseoir à statuer sur les conclusions de la requête de Mme M.-C. tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Montpellier soit condamné à lui verser une indemnité au titre des pertes de revenus qu’elle estime avoir subies et qui ne seraient pas réparées par la pension et la rente viagère qui lui sont versées ;

Sur les conclusions tendant au versement des traitements dus à Mme M.-C. au titre de l’année 1991 et sur les frais de cure thermale :

Considérant qu’en vertu de l’article 41 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière, l’agent hospitalier bénéficiant d’un congé de maladie conserve l’intégralité de son traitement lorsque la maladie est imputable au service et a droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par cette maladie ; qu’il résulte de l’instruction que Mme M.-C., placée en congé de maladie entre le 1er octobre 1990 et le 30 septembre 1991, n’a perçu qu’un demi traitement à compter du 1er janvier 1991, alors que l’affection dont elle était atteinte était imputable au service ; que l’intéressée est par suite fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a rejeté ses conclusions tendant à ce que le centre hospitalier universitaire de Montpellier soit condamné à lui verser un complément de rémunération correspondant à la fraction de traitement dont elle a été illégalement privée ; qu’il y a lieu de renvoyer Mme M.-C. devant le centre hospitalier universitaire de Montpellier afin qu’il soit procédé à la liquidation des sommes qui lui sont dues à ce titre ; que, s’agissant en revanche des frais de cure thermale invoqués par l’intéressée, les conclusions tendant à leur remboursement ne peuvent, en l’absence de justificatifs, qu’être rejetées ;

Sur les intérêts :

Considérant que Mme M.-C. a droit aux intérêts de la somme de 30 000 euros et des sommes correspondant aux traitements qui lui sont dus pour 1991, en application de l’article 1153 du code civil, à compter du 26 janvier 1993, date de l’enregistrement de sa demande au greffe du tribunal administratif de Montpellier ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 29 janvier 1997 ; qu’à cette date les intérêts étaient dus au moins pour au moins une année entière ; qu’il y a lieu, dès lors, de faire droit à cette demande, conformément à l’article 1154 du code civil, tant à cette date qu’à chaque échéance annuelle à compter de cette date ;

Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner le centre hospitalier de Montpellier à payer à Mme M.-C. une somme de 3 000 euros au titre des frais exposés par elle devant le Conseil d’Etat et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Marseille en date du 18 mai 1999 est annulé. Le jugement du tribunal administratif de Montpellier en date du 27 novembre 1996 est annulé en tant qu’il a statué sur les conclusions de Mme M.-C. autres que celles qui tendent à la réparation de ses pertes de revenus.

Article 2 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier versera à Mme M.-C. une somme de 30 000 euros et une somme égale à la fraction du traitement dont l’intéressée a été illégalement privée en 1991. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 26 janvier 1993. Les intérêts échus à la date du 29 janvier 1997, puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : Les conclusions de la requête de Mme M.-C. tendant au remboursement de ses frais de cure thermale sont rejetées.

Article 4 : Il est sursis à statuer sur les conclusions de la requête d’appel de Mme M.-C. tendant à la réparation de ses pertes de revenus afin de permettre la mise en cause de la caisse primaire d’assurance maladie de l’Hérault.

Article 5 : Le centre hospitalier universitaire de Montpellier versera à Mme M.-C. une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à Mme M.-C., au centre hospitalier universitaire de Montpellier et au ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

 


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