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THEMES ABORDES :
Juridictions boursières et financières
Conseil d’Etat, Section, 3 décembre 1999, M. DIDIER
Conclusions sous Conseil d’Etat, Assemblée, 6 avril 2001, n° 206764, S.A. Razel Frères et M. Christian LE LEUCH




Conseil d’Etat, Assemblée, 6 avril 2001, n° 206764, SA Entreprise Razel frères et Le Leuch

La participation du rapporteur chargé de la vérification de gestion au délibéré de la chambre régionale des comptes statuant en matière de gestion de fait méconnaît le principe d’impartialité et entache, par là-même, d’irrégularité la composition de la formation de jugement.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 206764 206767

Assembléé

SA Entreprise Razel frères et Le Leuch

Mme Legras, Rapporteur

M Seban, Commissaire du gouvernement

Lecture du 6 Avril 2001

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu 1°), sous le n° 206764, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 avril et 6 août 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES, dont le siège est sis 3, rue René Razel, Christ de Saclay, à Orsay (91892) ; la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 10 décembre 1998 par lequel la Cour des comptes a rejeté sa requête en appel du jugement du 6 novembre 1997 de la chambre régionale des comptes de Bretagne l’ayant déclarée conjointement et solidairement avec d’autres personnes comptable de fait des deniers de la commune de Loctudy ;

Vu 2°), sous le n° 206767, la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 15 avril et 13 août 1999, au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M Christian LE LEUCH, qui a élu domicile chez Me Jean-Alain Blanc, 27, rue du Cherche Midi, à Paris (75006) ; M LE LEUCH demande au Conseil d’Etat : 1°) d’annuler l’arrêt du 10 décembre 1998 par lequel la Cour des comptes a rejeté sa requête en appel du jugement du 6 novembre 1997 de la chambre régionale des comptes de Bretagne l’ayant déclaré conjointement et solidairement avec d’autres personnes comptable de fait des deniers de la commune de Loctudy ; 2°) de condamner la commune de Loctudy à lui verser la somme de 12 000 F au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code des juridictions financières ;

Vu le décret n° 85-199 du 11 février 1985 modifié ;

Vu le décret n° 95-945 du 23 août 1995 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme Legras, Auditeur,

- les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES et de Me Blanc, avocat de M LE LEUCH,

- les conclusions de M Seban, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes susvisées sont dirigées contre un même arrêt de la Cour des comptes ; qu’ainsi il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision ;

Sans qu’il soit besoin de statuer sur les autres moyens des requêtes ;

Considérant qu’à la suite d’un contrôle de la gestion de la commune de Loctudy (Finistère) portant sur les années 1990 et suivantes, la chambre régionale des comptes de Bretagne a déclaré, par un jugement définitif en date du 6 novembre 1997, M Andro, ancien maire de la commune, M LE LEUCH, ingénieur des Ponts et Chaussées, chef de la subdivision de Pont l’Abbé, M Desfayes, ancien chef d’agence de la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES et la société RAZEL FRERES comptables de fait des deniers de la commune de Loctudy pour un montant total de 1 998 054,20 F pour des opérations irrégulières menées à l’occasion de la réalisation du port de plaisance de Loctudy ; que la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES et M LE LEUCH se pourvoient en cassation contre l’arrêt, en date du 10 décembre 1998, par lequel la Cour des comptes a rejeté leur appel dirigé contre ce jugement ;

Considérant qu’aux termes de l’article L 231-2 du code des juridictions financières : "Sous réserve des dispositions des articles L 211-2 et L 231-6, la chambre régionale des comptes statue en premier ressort, à titre provisoire ou définitif, sur le compte des comptables publics des collectivités territoriales et de leurs établissements publics situés dans son ressort" ; que l’article L. 231-3 du même code dispose que : "La chambre régionale des comptes juge, dans les mêmes formes et sous les mêmes sanctions, les comptes que lui rendent les personnes qu’elle a déclarées comptables de fait d’une collectivité ou d’un établissement public relevant de sa compétence" ; qu’en vertu de l’article L 241-2 du même code, les magistrats de la chambre régionale des comptes "disposent, pour l’exercice des contrôles qu’ils effectuent, de l’ensemble des droits et pouvoirs attribués à la Cour des comptes par le titre IV du livre Ier" du code des juridictions financières ;

Considérant qu’aux termes de l’article 29 du décret du 23 août 1995 relatif aux chambres régionales des comptes : "Les vérifications et l’instruction des affaires dont la chambre régionale des comptes se saisit elle-même ou est saisie, soit sur réquisitoire du ministère public, soit en application de dispositions législatives, sont confiées à un ou plusieurs rapporteurs chargés d’en faire le rapport devant la formation de délibéré/ Les rapporteurs procèdent sur pièces et sur place aux vérifications et instructions qui leur sont confiées. Celles-ci comportent, en tant que de besoin, toutes demandes de renseignements, enquêtes ou expertises, dans les conditions définies par l’article 30 ci-après ( )" ; que cet article 30 habilite les rapporteurs près les chambres régionales des comptes à demander la communication de tous documents et renseignements relatifs à la gestion des services et organismes dont les comptes ou la gestion sont soumis au contrôle des chambres ; qu’en vertu des articles 31 et 32 du même décret, ces rapporteurs ont un droit d’accès aux logiciels, aux données informatiques et aux immeubles des collectivités et personnes qu’ils contrôlent ; qu’enfin, aux termes de l’article 34 du décret du 23 août 1995 : "Les constatations auxquelles donnent lieu l’examen ou le contrôle des affaires sont consignées dans un rapport. Les suites à leur donner font l’objet de propositions motivées" ;

Considérant, par ailleurs, que l’article 36 du décret du 23 août 1995 prévoit que : "Le rapporteur présente son rapport devant la formation de délibéré. S’il en a été désigné un, le contre-rapporteur fait connaître son avis sur les propositions formulées ( ). / La formation devant laquelle le rapport a été présenté délibère ensuite ; elle rend une décision sur chaque proposition. S’il est nécessaire de procéder à un vote, le président recueille successivement le vote du rapporteur, puis de chacun des conseillers ( )" ;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces dispositions que lorsqu’une chambre régionale des comptes procède à l’examen de la gestion d’une collectivité publique ou d’un organisme soumis à son contrôle, son rapporteur peut être appelé, par la nature même de la mission qui lui est impartie, à constater des manquements aux règles de la comptabilité publique qui peuvent conduire à ce que la chambre soit saisie, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, de ces constatations ; que les larges pouvoirs d’investigation dont le rapporteur est investi pour procéder à la vérification de la gestion des organismes et collectivités soumis au contrôle de la chambre régionale des comptes ne se confondent pas avec ceux qui peuvent être mis en oeuvre par la formation de jugement collégiale de cette chambre, chargée de se prononcer sur une déclaration de gestion de fait ;

Considérant, dès lors, que le principe d’impartialité applicable à toutes les juridictions administratives fait obstacle à ce que le rapporteur d’une chambre régionale des comptes participe au jugement de comptes dont il a eu à connaître à l’occasion d’une vérification de gestion ; qu’il s’ensuit que la participation au délibéré de la formation de jugement chargée de se prononcer sur une déclaration de gestion de fait du rapporteur auquel a été confiée la vérification de la gestion de l’organisme dont les deniers sont en cause entache d’irrégularité la composition de cette formation ;

Considérant qu’il ressort de l’arrêt attaqué et des pièces de la procédure suivie devant la Cour des comptes qu’un membre de la chambre régionale des comptes de Bretagne a mené, pour le compte de cette chambre, le contrôle de la gestion de la commune de Loctudy ; qu’à la suite de son rapport, une procédure juridictionnelle de déclaration de gestion de fait a été engagée à l’encontre de la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES, de M Christian LE LEUCH, chef de la subdivision de Pont-l’Abbé à l’époque des faits litigieux, de M Joël Andro, alors maire de la commune de Loctudy, et de M Desfayes, ancien chef d’agence de la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES, à raison de griefs tirés de l’extraction irrégulière de fonds communaux par le moyen d’un marché fictif de fourniture de matériaux conclu le 9 avril 1992 entre cette société et la commune ; que le même membre de la chambre régionale des comptes de Bretagne a ensuite, en tant que magistrat, occupé les fonctions de rapporteur devant la formation de jugement de cette chambre chargée de se prononcer sur les opérations présumées constitutives de gestion de fait des deniers de la commune de Loctudy ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que la composition de cette formation de jugement était irrégulière ; qu’ainsi que le font valoir les requérants, ce moyen, qui est d’ordre public, devait être relevé d’office par la Cour des comptes ; qu’il suit de là qu’en ne relevant pas que le jugement qui lui était déféré méconnaissait le principe d’impartialité, la Cour a entaché sa décision d’une erreur de droit ; Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’arrêt du 10 décembre 1998 de la Cour des comptes doit être annulé en tant qu’il a confirmé le jugement du 6 novembre 1997 de la chambre régionale des comptes de Bretagne en tant que ce jugement a déclaré la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES et M LE LEUCH, conjointement et solidairement avec d’autres personnes, comptables de fait des deniers de la commune de Loctudy ;

Sur les conclusions de M Christian LE LEUCH tendant à l’application des dispositions de l’article L 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner l’Etat à payer à M LE LEUCH la somme de 12 000 F qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt de la Cour des comptes du 10 décembre 1998 est annulé en tant qu’il a confirmé le jugement du 6 novembre 1997 de la chambre régionale des comptes de Bretagne en tant que ce jugement a déclaré la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES et M LE LEUCH, conjointement et solidairement avec d’autres personnes, comptables de fait des deniers de la commune de Loctudy.

Article 2 : L’affaire est renvoyée devant la Cour des comptes.

Article 3 : L’Etat versera à M Christian LE LEUCH une somme de 12 000 F au titre de l’article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la SA ENTREPRISE RAZEL FRERES, à M Christian LE LEUCH, à la commune de Loctudy, à M Joël Andro, à M Desfayes, au procureur général près la Cour des comptes et au ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

 


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