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Les avocats aux portes des prisons

Par Jean-Paul CÉRÉ
Maître de Conférences à l’Université de Pau

Par Martine HERZOG-EVANS
Maître de Conférences à l’Université Paris X - Nanterre

Par Eric PÉCHILLON
Maître de Conférences à l’Université de Rennes I

C’est dans une relative indifférence que le Parlement a voté la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration. Pourtant ce texte va profondément modifier le droit applicable en prison.

C’est dans une relative indifférence que le Parlement a voté la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec l’administration. Pourtant ce texte va profondément modifier le droit applicable en prison. Son article 1er donne une définition très large des services publics qui seront désormais soumis au droit commun. Ce faisant, le législateur a résolument pris le parti d’unifier les grands principes de la transparence et du respect du contradictoire et d’y intégrer le service public pénitentiaire. Le détenu, comme n’importe quel citoyen, doit pouvoir être en mesure de faire respecter ses droits fondamentaux, malgré le fait qu’il soit privé de sa liberté d’aller et de venir. Jusqu’à présent, le droit applicable en prison reposait sur l’accumulation de textes réglementaires (souvent inscrits dans la partie décrétale du Code de procédure pénale), mais aussi, ce qui est nettement plus contestable, sur des circulaires voire des usages locaux. Cette conception archaïque des relations juridiques entre la puissance publique et ses citoyens (dont certains sont toujours présumés innocents) est régulièrement sanctionnée par les différentes juridictions. Aussi, la loi nouvelle est-elle intervenue pour anticiper une censure beaucoup plus lourde du système pénitentiaire. Par son contenu très général, elle commence à répondre aux attentes exprimées par une partie grandissante de la doctrine (très explicitement rappelée en mars dernier dans le rapport Canivet relatif au contrôle des établissements pénitentiaires). Le texte voté participe directement du respect de la hiérarchie des normes inscrit dans la Constitution. Dans les 7 mois à venir, il laisse le soin au gouvernement de préparer les conditions matérielles de la réforme, mais il lui interdit de revenir sur son principe. En effet, les décisions motivées du chef d’établissement (retrait de permis de visite, sanctions disciplinaires…) ne peuvent désormais être prises sans que le principal intéressé ne soit mis en mesure de présenter ses observations écrites et, sur sa demande, orales avec l’assistance d’un conseil ou d’un mandataire de son choix.

L’assistance des détenus par un avocat au cours de la procédure disciplinaire, principalement devant la commission de discipline a toujours avivé les sensibilités. Les réformes les plus récentes sur la prison ont soigneusement évité de trancher ce point particulier. C’est pourtant la place que l’on entend consacrer au respect des droits de la défense des personnes incarcérées qui se joue. Désire-t-on que ce lieu d’exclusion perdure sous le sceau de ses secrets et sous le règne de l’arbitraire ou souhaite-t-on, au contraire, œuvrer pour une justice qui refuse de se délester de ses principes fondamentaux devant les portes des prisons ?

La loi du 12 avril apporte une réponse idoine aux contradictions jurisprudentielles actuelles. Elle ne fait qu’anticiper une évolution rendue inéluctable. Plusieurs décisions ont refusé l’intervention d’un avocat durant l’instance disciplinaire. Plusieurs arguments juridiques sont venus à l’appui de cette thèse. Il a ainsi été relevé que les dispositions du code de procédure pénale n’imposent pas sa présence. Raisonnant sur le plan du droit supra national, d’autres décisions ont soulevé l’inapplication de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui, sous couvert du droit à un procès équitable, générerait une assistance des détenus. Il semble ressortir de cette jurisprudence que l’intervention d’un défenseur, à défaut de texte pertinent, n’est pas considérée comme fondamentale pour l’exercice des droits de la défense. Outre l’anachronisme d’une telle position au regard du déroulement du procès disciplinaire, c’est justement par référence à la Convention européenne des droits de l’homme que le défaut de garanties sérieuses pour préparer sa défense révèle sa désuétude. Nombre de sanctions, certes qualifiées de disciplinaires par la réglementation, reflètent en réalité une nature pénale. Un courant de la doctrine juridique a démontré l’originalité du contexte pénitentiaire. Ce constat a d’ailleurs été dévoilé par plusieurs autres décisions de justice. Elles n’ont pas manqué d’annuler des sanctions disciplinaires en visant l’article 6 de la Convention, au motif que l’absence de communication du dossier et le défaut d’assistance d’un avocat constitue une violation flagrante des droits de la défense. 

Sans doute le législateur a-t-il voté sans sourciller l’article 24 de la loi, parce que l’intervention de l’avocat en prison lui paraissait d’une évidence confondante. Après tout, il avait aussi récemment instauré des procédures contradictoires faisant intervenir l’avocat avec les lois bracelet électronique (1997) et suivi socio-judiciaire (1998), alors qu’en matière d’application des peines non plus, telle n’était pas l’habitude. 
Nous nous trouvons à un stade de notre histoire, où le degré de protection démocratique offert par notre système juridique est tel que les droits de la défense supposent de manière incontournable l’assistance d’un avocat. Nos concitoyens ont du mal à admettre qu’il puisse exister encore des exceptions sur ce point.

En prison, du reste, la nécessité de la présence de l’avocat est encore plus forte qu’ailleurs, parce que l’inégalité entre le détenu poursuivi disciplinairement et l’Administration pénitentiaire est considérable : le cérémonial, la cellule disciplinaire (mitard) préventive, surtout l’indigence absolue des procédures disciplinaires (pas d’enquête digne de ce nom, pas d’accès au dossier, citation de témoins laissée au bon vouloir du chef d’établissement, ce dernier étant à la fois juge et partie en tant que chef du personnel pénitentiaire), font que la défense solitaire du détenu est vouée à l’échec. Ainsi, sans même évoquer le risque d’arbitraire, des erreurs ne peuvent que se commettre fréquemment au prétoire : des coupables relaxés et des innocents sanctionnés. Or les sanctions disciplinaires peuvent être très coercitives et, inscrites au dossier des détenus, signifient souvent le refus par le juge d’application des peines d’accorder des mesures d’application des peines favorables, voire le retrait de mesures précédemment accordées.

L’Administration pénitentiaire elle-même ne pourrait que se trouver grandie d’une telle avancée, qu’elle a trop longtemps retardée par une crainte exagérée de ses syndicats de surveillants. Rendre la justice disciplinaire de manière digne et démocratique ne peut que légitimer le pouvoir sanctionnateur du chef d’établissement. 

Du reste, l’exemple du Canada nous le confirme. Notre cousin d’Outre Atlantique, très en avance sur nous en matière pénitentiaire, connaît en effet, depuis des années, des commissions de discipline avec assistance d’un avocat. Or, elles se déroulent généralement, de ce fait, dans des conditions de calme et de tranquillité que l’on aimerait retrouver en France. 

Il est probable, toutefois, que l’arrivée des avocats en prison quasiment en même temps qu’en matière d’application des peines avec la loi sur la présomption d’innocence rende inévitable à court terme une réforme d’envergure de la procédure disciplinaire. A défaut, l’avocat risque fort de n’être qu’une marionnette symbolique peu utile. 

Soulignons par ailleurs que cette profession devra faire un immense travail de formation, sous peine de ne pouvoir donner de conseils éclairés à ses clients détenus. En l’état, le droit pénitentiaire n’est quasiment pas enseigné à l’Université ou dans les Ecoles de Formation des Barreaux. Mais des initiatives récentes existent et nul ne doute que ce défi de justice sera relevé. 

© - Tous droits réservés - Eric PÉCHILLON , Jean-Paul CÉRÉ , Martine HERZOG-EVANS - 1er octobre 2000

 


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