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Cour administrative d’appel de Paris, formation plénière, 17 décembre 2002, n° 99PA02870, Centre hospitalier de Pontoise c/ Consorts G.

L’enfant n’a reçu, plusieurs heures après l’apparition de l’ischémie, ni perfusion d’héparine à dose thérapeutique, ni traitement thrombolytique. Le délai de plusieurs heures qui s’est écoulé entre le moment où il est apparu certain qu’aucune amélioration spontanée ne pouvait plus être espérée et celui où la décision fut prise de mettre en place un traitement thrombolytique n’était pas justifié. Il résulte d’un tel retard, qui a entraîné pour l’enfant la perte d’une chance d’échapper à l’amputation ou de voir limiter les conséquences de l’accident ischémique, que la responsabilité du Centre hospitalier se trouve engagée sur le fondement de la faute.

COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

N° 99PA02870
N° 99PA03908
----------
CENTRE HOSPITALIER DE PONTOISE
c/ Consorts G.
----------
M. RACINE
Président
----------
M. TREYSSAC
Rapporteur
----------
M. LAURENT
Commissaire du Gouvernement
----------
Séance du 2 décembre 2002
Lecture du 17 décembre 2002

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR ADMINISTRATIVE D’APPEL DE PARIS

(Formation plénière)

VU la requête, enregistrée au greffe de la cour le 23 août 1999, présentée pour le CENTRE HOSPITALIER DE PONTOISE dont le siège est 6, avenue de l’Ile-de-France 95301 Pontoise, par Me LE PRADO, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ; le CENTRE HOSPITALIER DE PONTOISE demande à la cour d’annuler le jugement du 4 juin 1999, par lequel le tribunal administratif de Versailles, après jugement avant dire droit du 6 février 1996, l’a condamné à payer à M. et Mme G., agissant en qualité d’administrateurs légaux de leur fille Marlène, une somme de 500.000 F à titre de provision, à M. et Mme G., en leur nom personnel, une somme de 50.000 F à titre de provision, ainsi que les sommes de 106.080,78 F et 129.646,57 F en principal à la caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise ;

VU les autres pièces produites et jointes au dossier ;

VU le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

VU le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 2 décembre 2002 :
- le rapport de M. TREYSSAC, premier conseiller,
- les observations de Me LE PRADO, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, pour le CENTRE HOSPITALIER DE PONTOISE, et celles de Me WATEL, avocat, pour M. et Mme G.,
- et les conclusions de M. LAURENT, commissaire du Gouvernement ;

Considérant que les requêtes n°s 99PA02870 et 99PA03908 du CENTRE HOSPITALIER RENE DUBOS présentent à juger la même question ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur la responsabilité du CENTRE HOSPITALIER DE PONTOISE :

Considérant que l’enfant Marlène G., née prématurée le 2 février 1994 à 22h20 et qui présentait des difficultés respiratoires a été transférée à 23 h40 au centre hospitalier René Dubos de Pontoise ; qu’après la pose d’un cathéter artériel ombilical, elle fut victime d’une oblitération artérielle entraînant la nécrose de la partie distale de la jambe et du pied gauches, ce qui a conduit à une amputation à l’union tiers inférieur de la jambe gauche effectuée le 8 février 1994 à l’hôpital St-Vincent de Paul où l’enfant avait été transférée ;

Considérant, en premier lieu, qu’ainsi qu’il résulte du rapport d’expertise établi par le professeur B., le diagnostic initial de spasme artériel posé par les médecins le 3 février 1994, à 4h 30, lorsque furent constatés des troubles de la coloration du membre inférieur gauche, était légitime dès lors qu’à ce stade, la symptomatologie du spasme artériel est identique à celle de la thrombose ; que la thérapeutique mise en place, consistant en un retrait du cathéter, une infiltration de xylocaïne et l’application d’un vasodilatateur percutané était appropriée ;

Considérant, en deuxième lieu, que pour la même raison que mentionnée ci-dessus tenant à l’identité au stade initial de symptômes d’un spasme artériel et d’une thrombose, une échographie Doppler pratiquée dès l’apparition des troubles n’aurait pas permis d’orienter avec certitude vers un diagnostic d’accident ischémique thrombo-embolique ; que, par suite, le délai mis à pratiquer cette échographie, qui a eu lieu dans l’après-midi du 3 février, n’a pas retardé l’établissement d’un diagnostic de thrombose ni celui du traitement approprié à cette pathologie et n’a, par suite, pas compromis les chances de récupération vasculaire de Marlène G. ;

Considérant, en troisième lieu, que dans l’après-midi du 3 février, les médecins, constatant la majoration des lésions, ont tenté sans succès de cathétériser l’artère ombilicale droite en vue d’une thrombolyse locale ; que la cathétérisation de l’artère ombilicale gauche permit l’injection de xylocaïne ; que ces manœuvres, cependant, ne permirent pas la levée du spasme artériel ; que l’expert relève qu’à ce stade, plusieurs heures s’étant écoulées depuis l’apparition des troubles, le diagnostic initialement valable de spasme artériel ne pouvait plus être considéré isolément et devait s’orienter vers celui de thrombose ; qu’une thrombolyse par voie générale avec actilyse fut entreprise à 21 h 20 ; que l’expert indique que ce traitement aurait pu être entrepris un peu plus tôt dans la journée ; qu’il fait valoir, il est vrai, que ce traitement expose le nouveau-né à des risques importants d’hémorragies intracrâniennes sources de séquelles neurologiques majeures ou de décès, que le taux des facteurs de coagulation et la thrombopénie de Marlène G. était notablement inférieur à la valeur minimale retenue chez le nouveau-né, et qu’ainsi, l’équipe médicale a espéré pouvoir différer la mise en place de ce traitement qui comportait des risques graves ; qu’il expose cependant, par ailleurs, que dès lors que le diagnostic de thrombose, primitive ou secondaire, était certain après l’échec des manoeuvres de levée du spasme, et en l’absence de traitement thrombolytique, Marlène G. encourait un risque hautement probable d’une nécrose étendue du membre inférieur atteint avec comme conséquence une amputation précédée d’une menace vitale ; qu’ainsi, dans l’après-midi du 3 février, Marlène G. était exposée à un risque vital, que la décision soit prise ou non d’entreprendre un traitement thrombolytique ; que, dans ces conditions, si la décision des médecins de différer la mise en route de ce traitement était justifiée, eu égard aux risques qu’il comportait, tant que subsistait un espoir de levée spontanée du spasme artériel, le délai de plusieurs heures qui s’est écoulé entre le moment où cet espoir dut être abandonné et celui où le traitement thrombolytique fut administré n’était pas justifié ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’il résulte du rapport de l’expert que l’administration à Marlène G. d’héparine à dose thérapeutique eut lieu le 5 février au matin, après qu’eut été constatée une amélioration de son état à la suite du traitement thrombolytique, et en relais de ce traitement ; que l’expert expose que l’administration d’héparine à dose thérapeutique, si elle ne peut par elle-même entraîner la destruction d’un thrombus constitué, vise à limiter l’extension d’une thrombose et peut ainsi contribuer à la disparition ou à la diminution d’un thrombus ; qu’elle est ainsi indiquée devant toute thrombose récente, même si elle expose le nouveau-né au risque d’hémorragies intracrâniennes ; que, selon l’expert, la gravité et l’étendue de l’ischémie présentée par Marlène G. auraient dû faire discuter plus rapidement le recours à une perfusion d’héparine ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Marlène G. n’a reçu, plusieurs heures après l’apparition de l’ischémie, ni perfusion d’héparine à dose thérapeutique, ni traitement thrombolytique ; que le délai de plusieurs heures qui s’est écoulé entre le moment où il est apparu certain qu’aucune amélioration spontanée ne pouvait plus être espérée et celui où la décision fut prise de mettre en place un traitement thrombolytique n’était pas justifié ; qu’il résulte d’un tel retard, qui a entraîné pour Marlène G. la perte d’une chance d’échapper à l’amputation ou de voir limiter les conséquences de l’accident ischémique, que la responsabilité du Centre hospitalier se trouve engagée sur le fondement de la faute ;

Sur le préjudice :

Considérant que la réparation du dommage résultant pour Marlène G. de la perte de chance d’être soustraite au risque qui s’est finalement réalisé doit être fixé à une fraction des différents chefs de préjudice subis ; que compte tenu du rapprochement entre les risques auxquels aurait été exposée l’enfant si un traitement thrombolytique ou par héparine avait été entrepris plus tôt et le risque d’une nécrose étendue du membre inférieur gauche rendant inéluctable l’amputation, cette fraction doit être fixée au tiers ;

Considérant en premier lieu qu’il résulte de l’instruction que d’une part les frais médicaux résultant directement des conséquences dommageables de l’accident ischémique, comprenant les frais thérapeutiques d’un montant de 16.171,91 euros et des frais d’entretien et de renouvellement de la prothèse d’un montant de 19.764,49 euros, s’élèvent à 35.936,40 euros ; que d’autre part, Marlène G. ayant été amputée du tiers moyen de la jambe gauche, il sera fait, eu égard à l’ensemble des circonstances de l’espèce, une juste appréciation du préjudice résultant de l’accident et qui concerne l’atteinte à l’intégrité physique de l’intéressée en l’évaluant à 54.000 € ; qu’ainsi le préjudice corporel s’élève au total à 89.936,40 euros à titre provisionnel eu égard à l’âge de la victime ;

Considérant en second lieu qu’il sera fait une juste appréciation du préjudice à caractère personnel résultant des troubles dans les conditions d’existence, des souffrances physiques et du préjudice esthétique en le fixant à la somme de 54.000 euros à titre provisionnel ;

Sur les droits de la caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise :

Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article L. 376-1 du code de la sécurité sociale : « Si la responsabilité du tiers est entière ou si elle est partagée avec la victime, la caisse est admise à poursuivre le remboursement des prestations mises à sa charge à due concurrence de la part d’indemnité mise à la charge du tiers qui répare l’atteinte à l’intégrité physique de la victime, à l’exclusion de la part d’indemnité, de caractère personnel correspondant aux souffrances physiques ou morales par elle endurées et au préjudice esthétique et d’agrément » ; qu’il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s’exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte d’une chance d’éviter un préjudice corporel, la part d’indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que le recours de la caisse s’exerce sur les sommes allouées à la victime en réparation de la perte d’une chance d’échapper à un préjudice corporel, la part d’indemnité de caractère personnel étant seule exclue de ce recours ; que la créance de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise qui s’élève à 35.936,40 euros, est supérieure à la part d’indemnisation du préjudice sur laquelle elle peut s’imputer et en conséquence se trouve limitée à cette dernière part, soit un tiers de la somme de 89.936,40 euros ; que dès lors, il y a lieu de condamner le CENTRE HOSPITALIER DE PONTOISE à payer à la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise, la somme de 29.978,80 euros qui s’imputera sur la réparation du préjudice découlant de l’atteinte à l’intégrité de Marlène G. ;

En ce qui concerne le préjudice subi par Marlène G.

Considérant que, compte tenu de ce qui est dit ci-dessus, le montant de l’indemnité due à Marlène G. par le Centre hospitalier doit être fixé au tiers du total formé par les sommes de 89.936,40 euros et 54.000 euros, ce tiers étant diminué de 29.978,80 euros dus à la caisse primaire ; qu’ainsi le centre hospitalier devra verser à Marlène G. la somme de 18.000 euros à titre provisionnel ;

En ce qui concerne le préjudice subi par M. et Mme G. :

Considérant que M. et Mme G. ont subi des troubles dans leurs conditions d’existence en raison de l’invalidité de leur fille qui doit être évalué à un montant de 12.000 euros ; que leur préjudice indemnisable au titre de la perte de chance doit être fixé à la somme de 4.000 euros à titre provisionnel ;

Sur les intérêts et les intérêts des intérêts :

Considérant que les consorts G. ont droit aux intérêts des sommes qui leur sont dues à compter du 16 mars 1994, date de la demande qu’ils ont présentée au centre hospitalier René Dubos de Pontoise ; que la capitalisation des intérêts a été demandée les 2 novembre 2001 et 27 novembre 2002 ; qu’à ces dates, il était dû au moins une année d’intérêts ; qu’il y a donc lieu de faire droit à cette demande ;

Considérant que la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise a droit aux intérêts de la somme de 29.978,80 euros à compter du 19 avril 1999, date de sa demande ;

Sur les frais d’expertise :

Considérant qu’il y a lieu de mettre les frais d’expertise ordonnés par les jugements des 13 juin 1995 et 6 février 1996 à la charge du centre hospitalier René Dubos de PONTOISE ;

Sur les dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’en application des dispositions de l’article L.761-1 du code de justice administrative : « Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a pas lieu à cette condamnation » ;

Considérant que le CENTRE HOSPITALIER RENE DUBOS DE PONTOISE n’est pas la partie perdante dans le présent litige ; qu’il s’ensuit que les demandes de M. et Mme G. et de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise, tendant à ce qu’il soit condamné à leur verser les sommes respectives de 4.573,47 euros et 475,35 euros au titre dudit article, doivent être rejetées ;

Sur les conclusions tendant au sursis à exécution de la décision attaquée :

Considérant que par le présent arrêt, la Cour se prononce sur le fond, qu’il s’ensuit que les conclusions du centre hospitalier René Dubos DE PONTOISE tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de la décision attaquée deviennent sans objet ;

D E C I D E :

Article 1er : Le CENTRE HOSPITALIER RENÉ DUBOS DE PONTOISE est condamné à payer à M. et Mme G., agissant en qualité d’administrateurs légaux de leur fille Marlène G., la somme de 18.000 euros à titre provisionnel.

Article 2 : Le CENTRE HOSPITALIER RENÉ DUBOS DE PONTOISE est condamné à payer à M. et Mme G., agissant en leur nom personnel, la somme de 4.000 euros, à titre provisionnel.

Article 3 : Les sommes mentionnées aux articles 1 et 2 du présent arrêt porteront intérêts au taux légal à compter du 16 mars1994 et seront capitalisés au 2 novembre 2001 et au 27 novembre 2002.

Article 4 : Le CENTRE HOSPITALIER RENE DUBOS DE PONTOISE est condamné à payer à la caisse primaire d’assurance maladie du Val-d’Oise, la somme de 29.978,80 euros.

Article 5 : La somme de 29.978, 80 euros mentionnée à l’article 4 du présent arrêt, portera intérêts au taux légal à compter du 19 avril 1999.

Article 6 : Les frais des expertises sont mis à la charge du CENTRE HOSPITALIER RENÉ DUBOS DE PONTOISE.

Article 7 : Il n’y a pas lieu de statuer sur la requête n° 99PA03908.

Article 8 : Le surplus des conclusions de la requête du CENTRE HOSPITALIER RENE DUBOS DE PONTOISE et les conclusions du recours incident de la caisse primaire d’assurance maladie du Val d’Oise et de M. et Mme G. relatives au calcul des indemnités et au remboursement des frais exposés en appel sont rejetés.

Article 9 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles est réformé en ce qu’il a de contraire au présent arrêt.

 


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