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Conclusions sous Cour administrative d’appel de Nancy, formation plénière, 18 juin 2002, M. Trippa

Par Pascale ROUSSELLE
Commissaire du Gouvernement auprès de la Cour administrative d’appel de Nancy

Quelle doit être la notion de délai de recours permettant de régulariser une demande dépourvue de moyens ? Selon le Commissaire du gouvernement, les termes « jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux » figurant à l’article R 87 doivent s’entendre jusqu’à l’expiration du délai de recours éventuellement prorogé par l’exercice, dans le délai de recours initial, d’un recours administratif ou hiérarchique, aucun élément ne vous permettant d’appliquer une solution différente dans ce dernier cas.

Le 6 mars 1997, une altercation assez violente est survenue entre MM.TRIPPA et CHOUKOUR, tous deux conducteurs de camions employés par la société Lefevre, reprise par LOMATEM. Les circonstances de la rixe sont contestées de part et d’autres, mais les conséquences sont là : 100 jours d’arrêt de travail pour M. CHOUKOUR, suite à des coups portés à l’aide d’une barre de fer et condamnation pour coups et blessures de M.TRIPPA par le tribunal correctionnel de Thionville, condamnation confirmée en appel par la Cour d’Appel de Metz le 30 juin 1999.

L’employeur a alors engagé une procédure de licenciement à l’encontre de M. TRIPPA. Ce dernier étant à la fois délégué du personnel et délégué CGT, il bénéficiait de la protection liée à ses mandats et l’autorisation de l’inspection du travail était requise.

Le 23 mai 1997, l’inspecteur du travail des transports refusait d’autoriser le licenciement en estimant que les faits ne sont pas clairement établis (rappelons que cette décision est intervenue avant que le juge pénal ne statue).

Recevant notification de cette décision le 29 mai suivant, la société LOMATEM a, simultanément, le 22 juillet 1997 saisi le tribunal administratif de Strasbourg et le ministre du travail d’un recours hiérarchique.

Par jugement en date du 13 octobre 1998, le tribunal administratif a annulé le refus d’autorisation de licenciement en considérant que « en admettant même que l’intéressé ait été préalablement provoqué par la victime, le comportement de M.TRIPPA est constitutif d’une faute d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement ».

En vertu des dispositions des articles L. 412-18, L. 425-1 et L. 436-1 du code du travail, les salariés investis des fonctions de délégué syndical, de délégué du personnel ou de représentant syndical au comité d’entreprise bénéficient, dans l’intérêt des travailleurs qu’ils représentent, d’une protection exceptionnelle . Lorsque le licenciement d’un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l’appartenance syndicale de l’intéressé.

Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l’inspecteur du travail, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l’excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l’ensemble des règles applicables au contrat de travail de l’intéressé et des exigences propres à l’exécution normale du mandat dont il est investi . Le juge administratif exerce, sur les décisions autorisant le licenciement d’un salarié protégé, un contrôle normal s’agissant de la gravité des faits justifiant la demande de licenciement (C.E. 5 mai 76 SAFER d’Auvergne contre Bernette, p. 232).

En l’espèce, et comme l’a fort justement souligné le tribunal administratif, à supposer même que M. CHOUKOUR ait verbalement provoqué M.TRIPPA, la réaction de celui-ci, par sa violence, est manifestement disproportionnée et constituait bien une faute d’une gravité suffisante pour justifier le licenciement : sur le fond, donc, vous n’aurez aucune hésitation à confirmer le jugement du tribunal administratif de Strasbourg et à rejeter la requête de M.TRIPPA.

Ce n’est donc pas cette question qui a justifié le renvoi de ce dossier devant votre formation plénière.

La difficulté provient de la fin de non-recevoir soulevée en défense devant les premiers juges par le ministre de l’équipement et qui reposait sur le non-respect des dispositions de l’article R 87 alors en vigueur du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.

En effet, la demande adressée par la société LOMATEM au tribunal administratif le 22 juillet 1997 ne comportait que ces quelques mots « suite au refus de licenciement de monsieur Trippa en date du 29 mai 1997, la société Lomatem engage un recours hiérarchique auprès de votre personne afin de bien vouloir réformer la décision de madame l’inspecteur du travail ».

Ce n’est que dans un mémoire complémentaire, enregistré le 13 octobre 1997, que la société requérante exposait des moyens d’annulation à l’appui de ses conclusions.

Aux termes de l’article R 87 du code des tacaa, « la requête concernant toute affaire sur laquelle le tribunal administratif est appelé à statuer doit contenir l’exposé des faits et moyens, les conclusions, nom et demeure des parties ».

Par un arrêt du 1er juin 1954, Vasnier, p. 254, le Conseil d’Etat avait admis qu’une requête non motivée pouvait être régularisée jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux. Ce principe jurisprudentiel a été introduit dans le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel par le décret du 29 mai 1997 et l’article R 87 comportait un alinéa ainsi rédigé « L’auteur d’une requête ne contenant l’exposé d’aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d’un mémoire que jusqu’à l’expiration du délai de recours ».

La question qui se pose donc à vous est de savoir déterminer la notion de délai de recours permettant de régulariser une demande dépourvue de moyens.

Précisons, à titre liminaire, que la décision de l’inspecteur du travail comportait l’indication des voies et délais de recours. Vous n’aurez donc pas à résoudre la question supplémentaire qui serait liée à la mise en œuvre des principes issus de la jurisprudence Mauline (CE. Section 13 mars 1998, P.80 aux conclusions de M. COMBREXELLE).

Dans l’espèce qui vous est soumise, vous pouviez vous demander si le fait de saisir le tribunal administratif d’un recours contentieux ne valait pas connaissance acquise et dès lors, si le délai de recours n’expirait pas, en tout état de cause deux mois après l’enregistrement de la requête par le greffe. Cette question peut effectivement se poser à la lecture de l’’arrêt du 10 octobre 1990 Grandone (p.916) à ceci près que cette décision indique que le délai de recours est déclenché « au plus tard à la date de saisine du tribunal ».

Or, comme l’indique M.CHAPUS dans son ouvrage « droit du contentieux administratif,( 9ème édition p.583) « le déclenchement du délai provoqué par la saisine de la juridiction n’a évidemment pas d’effet sur la recevabilité du recours ».

Et, dans le cas particulier de la régularisation d’une requête dépourvue de moyens, ce n’est pas le déclenchement du délai qui importe, mais bien l’expiration dudit délai.

Or, vous savez que le recours administratif exercé dans le délai du recours contentieux proroge le délai, la prorogation étant une interruption conservatrice du délai qui coura à nouveau pour la totalité de sa durée légale dès que la cause d’interruption prendra fin.

Posé dès 1881 pour le recours hiérarchique et étendu au recours gracieux en 1917, ce principe a été constamment réaffirmé : voir, en particulier CE 10 juillet 1964 Centre médico-pédagogique de Beaulieu, p.399.

Dans ces conditions, le recours hiérarchique, exercé parallèlement à un recours contentieux conserve-t-il néanmoins le délai de recours, ou saisine du juge écarte-t-elle cette possibilité ?

Dans une décision du 9 mars 1956, Dame Vve Fernet, aux tables, p. 725, le Conseil d’Etat indiquait qu’était recevable un recours contentieux non motivé si un mémoire ampliatif motivé était présenté dans le délai du recours contre le rejet implicite du recours gracieux formé en même temps que le recours contentieux.

Autrement dit, les termes « jusqu’à l’expiration du délai de recours contentieux » figurant à l’article R 87 doivent s’entendre jusqu’à l’expiration du délai de recours éventuellement prorogé par l’exercice, dans le délai de recours initial, d’un recours administratif ou hiérarchique, aucun élément ne vous permettant d’appliquer une solution différente dans ce dernier cas.

Cette solution vous permettra de confirmer la position du tribunal administratif de Strasbourg dans l’espèce qui vous est soumise aujourd’hui, mais ne manque pas de susciter d’autres interrogations.

Nous avons déjà évoqué la difficile combinaison de cette règle avec la jurisprudence MAULINE : en effet, la mise en œuvre des principes issus de cette décision amènent le juge à considérer que le délai de recours ne court pas si les voies et délais de recours n’ont été mentionnés ni dans la décision initiale, ni dans celle rejetant le recours gracieux ou hiérarchique, ce recours ne pouvant être regardé comme valant connaissance acquise de la décision. Ne peut-on, alors, envisager d’appliquer les principes issus de l’arrêt Grandone et ne permettre, dans ce cas, la régularisation qu’à l’issue d’un délai de deux mois à compter de la saisine du juge ? La question demeure posée, ainsi que celle de la pérennité de la jurisprudence Intercopie, du 20 février 1953, mais tel n’est pas l’objet du débat de ce jour.

Par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de M.TRIPPA

© - Tous droits réservés - Pascale ROUSSELLE - 19 octobre 2002

 


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