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Lionel Jospin favorable à l’accès des citoyens au contentieux constitutionnel

Par Benoit Tabaka

Lors de la clôture du colloque relatif au centenaire de la loi sur la liberté d’association, organisé le 30 juin 2001 par le Conseil constitutionnel, le Premier ministre a montré son intérêt pour l’instauration en droit français de la procédure dite de "l’exception d’inconstitutionnalité" permettant à tout citoyen, dans le cadre d’un litige, de contester la conformité d’un texte législatif déjà promulgué à notre loi fondamentale.

Une réflexion engagée dès 1944

Cette réflexion a émergé dans l’esprit des dirigeants français dès 1944. La première apparition date du projet de Constitution du maréchal Pétain dont l’article 37 prévoyait que "le recours pour inconstitutionnalité n’est recevable que s’il a pour base la violation d’une disposition de la Constitution. Il est formé par voie d’exception. L’exception d’inconstitutionnalité peut être soulevée devant toute juridiction, mais seulement en première instance, soit par le ministère public, soit par les parties, soit, d’office, par la juridiction saisie". Abandonnée à la Libération, l’idée a resurgi dans l’esprit des constituants lors de la rédaction de la Constitution de 1958, sans être inscrite dans le texte définitif.

Par la suite, en mars 1989, Robert Badinter, alors président du Conseil constitutionnel, avait émis l’hypothèse de la mise en place d’une telle procédure en ces termes : "Pourquoi ne pas reconnaître au citoyen la possibilité de soulever, dans le cadre d’un procès , une exception d’inconstitutionnalité contre une loi dont le Conseil constitutionnel n’a pas été saisi ? Le moment paraît venu de reconnaître aux citoyens eux-mêmes la possibilité d’en appeler au Conseil constitutionnel, à travers un filtre juridictionnel, s’ils estiment que leurs droits fondamentaux ont été méconnus par une loi".

Cette idée a été reprise par François Mitterrand au cours de l’entretien télévisé du 14 juillet 1989 : "Dans l’immédiat, personnellement, je serais partisan d’une révision constitutionnelle qui permettrait à tout Français de saisir le Conseil constitutionnel s’il estime ses droits fondamentaux méconnus". Il s’agissait d’autoriser tout citoyen à "dire lui-même : mon droit fondamental (liberté, égalité, tout ce qui est contenu dans les grands principes inscrits dans la constitution) est méconnu, il est transgressé ? Eh bien ! Je demande justice moi -même".

Un projet de loi constitutionnelle et un projet de loi organique ont été déposés en mars 1990 sur le bureau du président de l’Assemblée nationale et adoptés au mois d’avril en première lecture. Le Sénat, inflexible sur certains points, a bloqué définitivement la procédure de révision lors de l’examen des textes en deuxième lecture en juin 1990. Les textes n’ont jamais passé le stade de la discussion en commission des lois.

Pour autant, l’idée n’a pas été abandonnée. Ainsi, dans son rapport remis au président de la République le 15 février 1993, le Comité consultatif pour la révision de la Constitution, présidé par le Doyen Vedel, a proposé la création de la saisine par voie d’exception, en soulignant que sa proposition "reprend pour l’essentiel le dispositif présenté en 1990 au parlement". Le 11 mars 1993 au Sénat, un nouveau projet de loi constitutionnelle portant sur la modification des règles de saisine du Conseil constitutionnel mais aussi sur le Conseil supérieur de la magistrature et la responsabilité pénale des ministres, a été déposé. Cependant, en première lecture, le Sénat a supprimé toutes les dispositions relatives à la saisine du Conseil constitutionnel, position entérinée ensuite par l’Assemblée nationale.

Pourtant, et pour reprendre les propos du professeur François Luchaire ["Le contrôle de la loi promulguée sur renvoi des juridictions : une réforme constitutionnelle différée" in R.D.P. 1990, p. 1649], "il sera difficile à notre pays de différer trop longtemps une garantie que reconnaissent aujourd’hui tous les pays qui acceptent le contrôle de la constitutionnalité des lois". La proposition de Lionel Jospin s’inscrit dont complètement dans cette continuité quasi-républicaine.

Un plus large contrôle des lois déjà promulguées

L’exception existe déjà dans la pratique du juge constitutionnel, mais sous une forme totalement différente et de faible portée. A travers un "contrôle de constitutionnalité par ricochet", le Conseil constitutionnel s’est en effet arrogé le pouvoir de contrôler et même de déclarer inconstitutionnelles, des dispositions législatives déjà promulguées, mais uniquement sous certaines conditions très restrictives. Alors qu’il avait affirmé dans un premier temps qu’une loi déjà promulguée "ne peut être mise en cause, même par voie d’exception, devant le Conseil constitutionnel dont la compétence est limitée par l’article 61 de la constitution à l’examen des lois avant leur promulgation", le juge constitutionnel a finalement admis cette possibilité "à l’occasion de l’examen des dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine ". En clair, une loi nouvelle qui modifie, complète ou affecte le domaine d’une loi ancienne peut justifier que ladite loi ancienne soit contrôlée. Cette procédure rarement utilisée, n’a conduit qu’une seule fois à la déclaration d’inconstitutionnalité d’une disposition déjà en vigueur. Surtout, elle est entièrement entre les mains du juge constitutionnel ; les citoyens sont mis à l’écart.

Pour permettre aux Français de contester une disposition législative déjà promulguée, deux procédures sont envisageables. La première consiste à offrir à tout citoyen le pouvoir de saisir directement la juridiction constitutionnelle afin de faire déclarer contraire à la loi fondamentale tel ou tel texte législatif. Cette procédure peut avoir un effet négatif important, à savoir le risque de remise en cause permanente de la loi. La seconde procédure, imaginée notamment dans le projet de loi constitutionnelle de 1990, est celle de l’exception d’inconstitutionnalité.

Cette procédure, qui a, aujourd’hui, la préférence du Premier ministre, ouvre aux citoyens la possibilité de contester uniquement dans le cadre d’une procédure judiciaire, la constitutionnalité d’une loi. Une condition supplémentaire restreint néanmoins cette faculté : la loi doit méconnaître une liberté fondamentale ou un principe de rang constitutionnel. A ce stade de la réflexion, les conditions pratiques de la mise en oeuvre ne sont pas connues. Les projets présentés en 1990 et 1993 donnaient compétence au Conseil constitutionnel pour se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi promulguée exclusivement après renvoi des juridictions suprêmes de chaque ordre qui opéraient un filtrage des requêtes.

Avant de déposer un quelconque texte devant le Parlement, le Premier ministre souhaite "envisager toutes les conséquences qu’aurait une telle réforme dans l’organisation actuelle du Conseil constitutionnel, comme dans celle du travail du Parlement et des juridictions". "En tant que responsable politique, a-t-il ajouté, mon souci est d’étendre les garanties qu’il me semble légitime d’offrir aujourd’hui à nos concitoyens tout en veillant à ne pas laisser se multiplier les contestations infondées de la loi". En particulier, une grande question peut se poser : une décision du Conseil constitutionnel qui aurait validé une loi pourra-t-elle être remise en cause au travers de cette procédure ?

On ajoutera que toute réforme en ce sens conduira à conférer au Conseil constitutionnel un rôle encore plus important. Elle devra nécessairement s’accompagner de changements importants, ouvrant aux avocats la possibilité de plaider devant le Conseil et incitant , à l’évidence, à un changement dans le mode de nomination des membres du Conseil constitutionnel eux-mêmes, qui devront au premier rang disposer de compétences juridiques indiscutables. L’évolution envisagée mérite en toute hypothèse d’être sérieusement discutée, tant elle est lourde de conséquences essentielles pour l’ordre juridique français.

© - Tous droits réservés - Benoit Tabaka - 9 juillet 2001

 


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