Conseil d’Etat, 12 juin 2002, n° 225048, M. R.

Lorsqu’elle statue sur la demande d’un fonctionnaire tendant à l’exercice, en position de disponibilité, d’une activité professionnelle dans une entreprise privée, l’autorité administrative ne se borne pas à constater que les missions du corps auquel appartient le fonctionnaire et son affectation l’ont nécessairement conduit à surveiller ou à contrôler cette entreprise mais se livre à une qualification des faits qui lui sont soumis, notamment des fonctions réellement exercées par l’agent, au regard des dispositions du décret du 17 février 1995.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 225048

M. R.

M. Boulouis, Rapporteur

Mme Boissard, Commissaire du gouvernement

Séance du 22 mai 2002

Lecture du 12 juin 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistres les 15 septembre 2000 et 15 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Dominique R. ; M. R. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler l’arrêt du 10 juillet 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté sa requête tendant à l’annulation du jugement du 30 décembre 1998 du tribunal administratif de Pau rejetant sa demande d’annulation de la décision du 16 juillet 1996 par laquelle le ministre du travail et des affaires sociales a refusé de faire droit à sa demande de mise en disponibilité ;

2°) de condamner l’Etat à lui verser la somme de 15 000 F au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le décret n° 95-168 du 17 février 1995 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique

- le rapport de M. Boulouis, Maître des Requêtes,
- les observations de la SCP Peignot, Garreau, avocat de M. R.,
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. R. demande l’annulation de l’arrêt du 10 juillet 2000 par lequel la cour administrative d’appel de Bordeaux a rejeté son appel du jugement du 30 décembre 1998 du tribunal administratif de Pau rejetant sa demande d’annulation de la décision du 16 juillet 1996 du ministre du travail et des affaires sociales refusant de le placer en position de disponibilité ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er du décret susvisé du 17 février 1995 : « I. Les activités interdites aux fonctionnaires placés en disponibilité (...) sont les suivantes : 1° Activités professionnelles dans une entreprise privée, lorsque l’intéressé a été, au cours des cinq dernières années précédant (...) sa mise en disponibilité, chargé, à raison même de sa fonction : a) Soit de surveiller ou de contrôler cette entreprise (...) » ;

Considérant que lorsqu’elle statue sur la demande d’un fonctionnaire tendant à l’exercice, en position de disponibilité, d’une activité professionnelle dans une entreprise privée, l’autorité administrative ne se borne pas à constater que les missions du corps auquel appartient le fonctionnaire et son affectation l’ont nécessairement conduit à surveiller ou à contrôler cette entreprise mais se livre à une qualification des faits qui lui sont soumis, notamment des fonctions réellement exercées par l’agent, au regard des dispositions précitées du décret du 17 février 1995 ; que, par suite, en estimant, par l’arrêt attaqué, que le ministre du travail et des affaires sociales s’était « borné à constater, sans avoir à porter une appréciation sur les faits de l’espèce, que M. R. avait été chargé, au cours des cinq dernières années (...) de surveiller ou de contrôler cette entreprise à raison même de ses fonctions d’inspecteur du travail » et était, par conséquent, en situation de compétence liée pour rejeter la demande de disponibilité qu’avait présentée l’intéressé afin d’exercer des fonctions dans cette entreprise, la cour administrative d’appel de Bordeaux a entaché son arrêt d’erreur de droit ; qu’il y a lieu, dans ces conditions, d’annuler cet arrêt ;

Considérant qu’aux termes de l’article L.821-2 du code de justice administrative : Le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut « régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » ; qu’il y a lieu, en l’espèce, de régler l’affaire au fond ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre moyen de la requête ;

Considérant qu’aux termes de l’article 87 de la loi susvisée du 29 janvier 1993 : « Au sein de chacune des trois fonctions publiques, il est institué une commission qui est obligatoirement consultée par les administrations pour l’application des dispositions prévues à l’article 72 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat (...)./ Les commissions instituées à l’alinéa précédent sont chargées d’apprécier la compatibilité avec leurs fonctions précédentes des activités que souhaitent exercer en dehors de leur administration des fonctionnaires (...) devant être placés en position de disponibilité (...) » et qu’aux termes du II de l’article 11 du décret précité du 17 février 1995 : « L’avis de la commission est transmis à l’autorité dont relève le fonctionnaire. Cette autorité en informe l’intéressé » ;

Considérant que si le ministre du travail et des affaires sociales était en droit de rejeter la demande de mise en disponibilité présentée par M. R., il lui appartenait, conformément aux dispositions de l’article 11 du décret du 17 février 1995 dont l’application en l’espèce constituait une formalité substantielle, d’informer l’intéressé du contenu de l’avis de la commission mentionnée à l’article 87 de la loi du 29 janvier 1993, suffisamment tôt pour permettre au fonctionnaire de faire connaître ses observations à la suite de cet avis ; qu’il n’est pas contesté que cette information n’a été portée à la connaissance de M. R. qu’en même temps que lui était notifiée la décision rejetant sa demande ; que le requérant est, par suite, fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande d’annulation de la décision du 16 juillet 1996 du ministre du travail et des affaires sociales refusant de le placer en position de disponibilité ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer à M. R. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêt du 10 juillet 2000 de la cour administrative d’appel de Bordeaux, le jugement du 30 décembre 1998 du tribunal administratif de Pau et la décision du 16 juillet 1996 du ministre du travail et des affaires sociales refusant de placer M. R. en position de disponibilité sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Dominique R. et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

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