Conseil d’Etat, 31 mai 2002, n° 229574, Chambre nationale des professions libérales et Avenir des barreaux de France section patronale

Les conventions et accords collectifs de travail conclus, en application de l’article L. 132-2 du code du travail, entre organisations syndicales de salariés et d’employeurs constituent des actes de droit privé. Il n’appartient qu’aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître de conclusions tendant à leur annulation. Ainsi, les conclusions dirigées contre les accords précités doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 229574

CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES
AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE

Mlle Landais, Rapporteur

Mme Boissard, Commissaire du gouvernement

Séance du 10 avril 2002

Lecture du 31 mai 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 26 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES, dont le siège est 1 A, boulevard de la Chantourne "Le Century" à Grenoble (38000), représentée par son président en exercice et l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE, dont le siège est 8, avenue Maréchal Foch à Toulon (83000), représentée par son président en exercice ; la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES et l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE demandent au Conseil d’Etat :

1°) l’annulation de l’arrêté du ministre de l’emploi et de la solidarité du 15 décembre 2000 portant extension des accords nationaux professionnels et avenants des 28 octobre 1992, 17 janvier 1995, 22 janvier 1999, 10 septembre 1999 et 15 novembre 2000, conclus dans le secteur des professions libérales ;

2°) l’annulation de ces accords et avenants ainsi que celle de l’accord du 9 juillet 1987 signé par les mêmes partenaires ;

3°) l’annulation des avis du ministre de l’emploi et de la solidarité publiés au Journal officiel de la République française les 25 juillet et 5 octobre 1999 et 25 novembre 2000 ;

Vu le mémoire, enregistré le 8 avril 2002, présenté par l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE qui déclare se désister de la requête ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
- les observations de Me Guinard, avocat de la Confédération générale du travail - Force Ouvrière et de Me Ricard, avocat de l’Union nationale des associations de professions libérales,
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un mémoire du 8 avril 2002, l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE déclare se désister de ses conclusions ; que ce désistement est pur et simple ; que rien ne s’oppose à ce qu’il en soit donné acte ;

Considérant que la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES (CNPL) demande l’annulation de l’arrêté du 15 décembre 2000 portant extension des accords professionnels et avenants conclus, dans le secteur des professions libérales, par l’union nationale des associations de professions libérales (UNAPL) et les cinq organisations représentatives de salariés au niveau national les 28 octobre 1992, 17 janvier 1995, 22 février 1999, 10 septembre 1999 et 15 novembre 2000 et qui ont pour objet la création d’un fonds d’assurance-formation puis son remplacement par un organisme paritaire collecteur agréé ; qu’elle demande également l’annulation de ces accords et avenants ainsi que celle de l’accord professionnel du 9 juillet 1987 conclu par les mêmes partenaires ; qu’enfin, elle présente des conclusions dirigées contre les avis des 25 juillet 1999, 5 octobre 1999 et 25 novembre 2000, par lesquels le ministre de l’emploi et de la solidarité a informé les organisations et personnes intéressées de la prochaine extension des accords et avenants précités ;

Sur les conclusions dirigées contre les accords professionnels et avenants des 9 juillet 1987, 28 octobre 1992, 17 Janvier 1995, 22 février 1999, 10 septembre 1999 et 15 novembre 2000 :

Considérant que les conventions et accords collectifs de travail conclus, en application de l’article L. 132-2 du code du travail, entre organisations syndicales de salariés et d’employeurs constituent des actes de droit privé ; qu’il n’appartient qu’aux juridictions de l’ordre judiciaire de connaître de conclusions tendant à leur annulation ; qu’ainsi, les conclusions dirigées contre les accords précités doivent être rejetées comme portées devant un ordre de juridiction incompétent pour en connaître ;

Sur les conclusions dirigées contre les avis des 25 juillet 1999, 5 octobre 1999 et 25 novembre 2000 :

Considérant que les avis des 25 juillet 1999, 5 octobre 1999 et 25 novembre 2000, pris en application des dispositions de l’article L. 133-14 du code du travail, se bornent à faire connaître l’intention du ministre de l’emploi et de la solidarité d’étendre l’accord professionnel du 28 octobre 1992, ses trois avenants précités ainsi que l’accord du 15 novembre 2000 et à inviter les organisations et personnes intéressées à présenter leurs observations ; qu’ils ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir ; que, par suite, les conclusions dirigées contre ces avis sont irrecevables et doivent être rejetées ;

Sur les conclusions dirigées contre l’arrêté d’extension du 15 décembre 2000 :

Sans qu’il soit besoin de statuer sur la recevabilité de ces conclusions ;

En ce qui concerne le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure d’extension :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 133-14 du code du travail : "L’arrêté d’extension ou d’élargissement est précédé de la publication au Journal officiel d’un avis relatif à l’extension ou à l’élargissement envisagé, invitant les organisations et personnes intéressées à faire connaître leurs observations" ; qu’aux termes de l’article R. 133-1 du même code : "L’avis mentionné au premier alinéa de l’article L. 133-14 indique le lieu où la convention ou l’accord a été déposé. Les organisations et les personnes intéressées disposent d’un délai de quinze jours à compter de la publication de l’avis au Journal officiel pour présenter leurs observations" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions qu’en laissant un délai de quinze jours aux personnes et organisations intéressées pour présenter leurs observations sur le principe de l’extension, le ministre de l’emploi et de la solidarité, par ses avis des 25 juillet 1999, 5 octobre 1999 et 25 novembre 2000, n’a fait que se conformer aux dispositions du code du travail ; que, par ailleurs, il ne résulte d’aucun texte que le ministre aurait l’obligation de convoquer à une réunion les organisations s’opposant à l’extension d’une convention ou d’un accord collectif ;

Considérant que la commission nationale de la négociation collective, qui est notamment chargée, en vertu de l’article L. 136-2 du code du travail, de donner un avis motivé au ministre chargé du travail préalablement à l’extension et l’élargissement des conventions et accords collectifs, ne peut être regardée comme un tribunal au sens de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; que, par suite, la violation des stipulations de cet article ne saurait être utilement invoquée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l’irrégularité de la procédure d’extension doit être écarté dans ses différentes branches ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de l’article L. 133-1 du code du travail :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 133-1 du code du travail : "La convention de branche ou l’accord professionnel ou interprofessionnel, leurs avenants ou annexes doivent, pour pouvoir être étendus, avoir été négociés et conclus en commission composée des représentants des organisations syndicales d’employeurs et de salariés représentatives dans le champ d’application considéré" ; que l’article L. 133-2 du même code précise les critères de cette représentativité ; qu’aux termes de l’article L. 132-2 du même code : "Les associations d’employeurs constituées conformément aux dispositions de la loi du 1er juillet 1901 qui ont compétence pour négocier des conventions et accords collectifs, sont assimilées aux organisations syndicales pour les attributions conférées à celles-ci" par la législation sur les conventions et accords collectifs de travail ; que l’article L. 136-1 du même code prévoit que la commission nationale de la négociation collective comprend notamment des représentants des organisations d’employeurs les plus représentatives au niveau national ; que l’article R. 136-3 dispose que le membre de cette commission représentant les professions libérales est nommé sur proposition de l’union nationale des associations de professions libérales (UNAPL) ;

Considérant que le champ d’application des accords étendus par l’arrêté attaqué du 15 décembre 2000, tel que défini par l’avenant du 10 septembre 1999 à l’accord du 28 octobre 1992, couvre 36 professions libérales et réglementées ; que, conformément aux dispositions précitées de l’article L.133-1 du code du travail, la représentativité des organisations syndicales doit être appréciée au niveau de ce champ d’application qui comporte plusieurs activités économiques ;

Considérant, en premier lieu, que la circonstance que l’UNAPL se soit constituée sous la forme d’une association ne fait pas obstacle à ce qu’elle exerce, comme le prévoit l’article L. 132-2 précité du code du travail, les attributions conférées par ce code aux organisations syndicales pour la négociation et la conclusion de conventions ou d’accords collectifs de travail ; que cette union, comme le rappelle l’article R. 136-3 précité du code du travail, est une organisation d’employeurs représentative des professions libérales au niveau national ; qu’ainsi, elle est représentative dans le champ d’application des accords étendus, sans qu’ait d’incidence la circonstance qu’elle ne soit pas signataire des conventions collectives conclues pour chacune des professions libérales comprise dans ce champ ; que cette représentativité lui permettait de négocier et conclure l’accord étendu sans avoir à justifier, au préalable, d’un mandat obtenu de chacune des organisations syndicales d’employeurs présentes au sein des différentes professions libérales concernées ;

Considérant, en deuxième lieu, que si les officiers publics et ministériels tels que les avoués, greffiers des tribunaux de commerce, notaires, huissiers de justice, commissaires-priseurs et avocats au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, qui sont compris dans le champ de l’accord du 15 novembre 2000, sont représentés, en vertu de textes législatifs ou réglementaires propres à chacune de ces professions, par des organismes nationaux qui, en raison des compétences qui leur sont attribuées en matière de conditions d’emploi et de travail ainsi que de garanties sociales des salariés, sont signataires des conventions collectives intéressant ces professions, il ressort des pièces du dossier que chacun de ces organismes nationaux a donné mandat à l’UNAPL pour signer en son nom l’accord étendu ; que le moyen tiré de ce que le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce n’aurait pas donné mandat manque en fait ; que la circonstance que l’accord du 15 novembre 2000 n’a pas visé les mandats indiqués ci-dessus n’interdisait pas au ministre de rendre cet accord obligatoire pour tous les employeurs relevant du champ professionnel des officiers publics et ministériels ;

Considérant, en troisième lieu, que la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES se borne, pour soutenir qu’elle est représentative des employeurs dans le champ de l’accord étendu et aurait dû, par conséquent, être invitée à négocier et conclure cet accord, à faire valoir les résultats électoraux qu’elle a obtenus lors de l’élection des représentants des professions libérales aux caisses d’assurance maladie ; qu’ainsi, elle n’apporte pas les précisions suffisantes, notamment en termes de nombre d’organisations affilées ou d’effectifs regroupés, permettant de la regarder comme satisfaisant aux critères de représentativité définis par l’article L. 133-2 du code du travail ; que, par suite, elle n’avait pas à être invitée, en application de l’article L. 133-1 du code du travail, à négocier et conclure les accords étendus par l’arrêté attaqué ;

Considérant, en quatrième lieu, qu’il n’est pas établi ni même allégué que l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE serait représentative dans l’ensemble du champ professionnel, comprenant 36 professions, couvert par les accords étendus ou que l’UNAPL, à laquelle sont affiliés des syndicats représentatifs de la profession des avocats, ne serait pas représentative au sein de cette profession ; que, par suite, et en tout état de cause, l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE n’avait pas à être invité à négocier et conclure ces accords ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la violation de l’article L. 133-1 du code du travail doit être écarté dans ses différentes branches ;

En ce qui concerne le moyen tiré de la violation de la liberté syndicale :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 132-15 du code du travail : "(...) lorsqu’une organisation d’employeurs représentative dans le champ d’application du texte adhère à la totalité des clauses d’une convention de branche ou d’un accord professionnel ou interprofessionnel (...) ladite organisation a les mêmes droits et obligations que les parties signataires. Elle peut notamment siéger dans les organismes paritaires et participer à la gestion des institutions créées par la convention de branche ou l’accord professionnel ou interprofessionnel (...)" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions que la participation aux organismes paritaires ou aux institutions créés par une convention ou un accord collectif est réservée aux syndicats signataires de cette convention ou de cet accord et à ceux qui y adhèrent ; que cette règle vaut y compris lorsque ces conventions ou accords sont signés, en application des articles L. 961-9 et L. 961-12 du code du travail, pour la création, respectivement, d’un fonds d’assurance-formation, comme c’est le cas de l’accord du 28 octobre 1992, ou d’un organisme paritaire collecteur agréé, comme c’est le cas de l’accord du 15 novembre 2000 ; que,’par ailleurs, aucun des accords étendus ne contraint les organisations syndicales à s’affilier à l’UNAPL ; que, par suite, en réservant à cette organisation le soin de désigner les représentants des employeurs au sein des organes de gestion du fonds d’assurance-formation puis de l’organisme paritaire collecteur agrée qui l’a remplacé, les accords étendus n’ont pas porté atteinte à la liberté syndicale ; que, dès lors, le moyen tiré de la violation, par les accords étendus, du principe de liberté syndicale, ne soulève pas de contestation sérieuse et doit être écarté ;

En ce qui concerne les autres moyens :

Considérant que les moyens tirés de la violation des articles L. 133-8, L. 136-1, L. 961-1, L. 961-8 et L. 961-9 du code du travail ne sont pas assortis des précisions suffisantes permettant au Conseil d’Etat d’en apprécier le bien-fondé ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES n’est pas fondée à demander l’annulation de l’arrêté du 15 décembre 2000 du ministre de l’emploi et de la solidarité portant extension des accords et avenants des 28 octobre 1992, 17 janvier 1995, 22 février 1999, 10 septembre 1999 et 15 novembre 2000 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu d’appliquer les dispositions précitées et de condamner la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES et l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE à payer à la Confédération générale du travail - Force ouvrière la somme de 2 734 euros (17 940 F) au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Il est donné acte à l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE du désistement de ses conclusions.

Article 2 : La requête de la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES est rejetée.

Article 3 : La CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES et de l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE sont condamnés à payer à la Confédération générale du travail - Force ouvrière la somme de 2 734 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la CHAMBRE NATIONALE DES PROFESSIONS LIBERALES, à l’AVENIR DES BARREAUX DE FRANCE SECTION PATRONALE, à l’Union nationale des associations des professions libérales, à la Confédération générale du travail - Force ouvrière, à la Confédération générale du travail, à la Confédération française démocratique du travail, à la Confédération française de l’encadrement - Confédération générale des cadres, à la Confédération française des travailleurs chrétiens et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

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