Conseil d’Etat, 15 mai 2002, n° 225258, Association "Choisir la Vie - Association pour l’objection de conscience à l’avortement" et autres

La possibilité nouvelle, introduite par le décret du 31 mars 1999, d’exonérer de la réglementation applicable aux substances vénéneuses les médicaments utilisés pendant une durée de traitement très brève n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de permettre au ministre, qui doit décider au cas par cas ces exonérations, sur proposition du directeur général de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et après avis de l’académie nationale de pharmacie et de la commission de l’autorisation de mise sur le marché, en prenant en compte les effets de ces substances selon leur dosage et la durée du traitement, de soustraire au régime applicable aux substances vénéneuses des substances ou des médicaments susceptibles de présenter directement ou indirectement un danger pour la santé.

CONSEIL D’ETAT

statuant au contentieux

N°s 225258 - 225259

ASSOCIATION "CHOISIR LA VIE -ASSOCIATION POUR L’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT" et autres

Mme de Salins, Rapporteur

Mme Boissard, Commissaire du gouvernement

Séance du 10 avril 2002

Lecture du 15 mai 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 225258, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre 2000 et 22 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour l’ASSOCIATION "CHOISIR LA VIE - ASSOCIATION POUR L’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT", dont le siège est 91, rue Gambetta à Reuil-Malmaison (92500), représentée par son président, l’UNION POUR LA VIE, association dont le siège est 275, route de l’Empereur à Reuil-Malmaison (92500), représentée par son président, le COMITE POUR SAUVER L’ENFANT A NAITRE, association dont le siège est 2, avenue Foch à Fontenay-sous-Bois (94120), représentée par son président, la COORDINATION POUR LA VIE EN SAONE-ET-LOIRE, association dont le siège est à la mairie d’Autan (71400), représentée par son président, l’ASSOCIATION "DROIT A LA VIE - FUTURES MERES EN DIFFICULTE", dont le siège est 29, rue Berthelot à Valence (26000), représentée par son président et l’ASSOCIATION "RENAISSANCE CATHOLIQUE", dont le siège est 89, rue Pierre Brossolette à Issy-les-Moulineaux (92130) , représentée par son président ; les associations requérantes demandent au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite résultant du silence gardé par le Premier ministre sur leur demande du 19 avril 2000 tendant à l’abrogation du décret du 31 mars 1999 modifiant l’article R. 5192 du code de la santé publique et de condamner l’Etat à leur verser la somme de 15 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu 2°), sous le n° 225259, la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 22 septembre 2000 et 22 janvier 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat ; présentés pour l’ASSOCIATION "CHOISIR LA VIE - ASSOCIATION POUR L’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT", dont le siège est 91, rue Gambetta à Reuil-Malmaison (92500), représentée par son président, (UNION POUR LA VIE, association dont le siège est 275, route de (Empereur à Reuil-Malmaison (92500), représentée par son président, le COMITE POUR SAUVER L’ENFANT A NAITRE, association dont le siège est 2, avenue Foch à Fontenay-sous-Bois (94120), représentée par son président, la COORDINATION POUR LA VIE EN SAONE-ET-LOIRE, association dont le siège est à la mairie d’Autan (71400), représentée par son président, l’ASSOCIATION "DROIT A LA VIE - FUTURES MERES EN DIFFICULTE", dont le siège est 29, rue Berthelot à Valence (26000), représentée par son président et l’ASSOCIATION "RENAISSANCE CATHOLIQUE", dont le siège est 89, rue Pierre Brossolette à Issy-les-Moulineaux (92130), représentée par son président ; les associations requérantes demandent au Conseil d’Etat l’annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite résultant du silence gardé par le ministre de l’emploi et de la solidarité sur leur demande en date du 19 avril 2000 tendant à l’abrogation de l’arrêté ministériel du 27 mai 1999 exonérant le "Lévonorgestrel" de la réglementation des substances vénéneuses et à la condamnation de l’Etat à leur verser la somme de 15 000 F en application de l’article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme de Salins, Maître des Requêtes,
- les observations de Me Delvolvé, avocat de l’association "CHOISIR LA VIE - ASSOCIATION POUR L’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT" et autres ;
- les conclusions de Mme Boissard, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par un décret en date du 31 mars 1999 qui a modifié l’article R. 5192 du code de la santé publique, le gouvernement a permis, dans des conditions précisées par arrêté, d’exclure de la réglementation applicable aux substances vénéneuses les médicaments renfermant de telles substances mais "utilisés pendant une durée de traitement très brève", alors que cette exclusion était auparavant réservée aux médicaments contenant ces substances à des doses ou concentrations très faibles ; qu’une telle exclusion a pour effet, lorsqu’elle est décidée, d’alléger les règles s’imposant notamment aux fabricants pour la mise sur le marché de ces médicaments, aux médecins pour leur prescription et aux pharmaciens pour leur commande, leur détention et leur délivrance au public ; que, sur le fondement du nouvel article R. 5192 tel que modifié par le décret indiqué ci-dessus, le ministre de l’emploi et de la solidarité a pris le 27 mai 1999 un arrêté qui a soustrait de la réglementation applicable aux substances vénéneuses la substance "Lévonorgestrel" lorsqu’elle est prise par voie orale à raison de deux doses limites de 0,75 mg chacune et pour une durée maximale de traitement de deux jours, qui correspondent aux conditions d’emploi du contraceptif d"urgence "Norlevo" dont la mise sur le marché a été autorisée le 16 avril 1999 ;

Considérant que les associations "CHOISIR LA VIE - ASSOCIATION POUR L’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT", UNION POUR LA VIE, COMITE POUR SAUVER L’ENFANT A NAITRE, la COORDINATION POUR LA VIE EN SAONE-ET-LOIRE, "DROIT A LA VIE - FUTURES MERES EN DIFFICULTE" et "RENAISSANCE CATHOLIQUE" attaquent, sous le n° 225258, le refus du Premier ministre d’abroger les dispositions rappelées ci-dessus du décret du 31 mars 1999 et, sous le n° 225259, le refus du ministre de l’emploi et de la solidarité d’abroger l’arrêté du 27 mai 1999 ;

Considérant que ces requêtes présentent à juger des questions semblables qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;

Sur la requête n° 225258 :

Considérant que si les associations requérantes, dont l’objet tel qu’il est défini par leurs statuts est de défendre le droit à la vie de tout être humain dès sa conception et de s’opposer à l’utilisation de tout produit ou technique abortif, sont recevables à contester le refus d’abroger l’arrêté du 27 mai 1999, dont l’effet a été de soumettre à des conditions moins strictes la spécialité "Norlevo", et à exciper à cette occasion de l’illégalité du décret du 31 mars 1999 sur le fondement duquel l’arrêté a été pris, elles ne justifient pas d’un intérêt suffisamment direct pour leur donner qualité à contester le refus d’abroger les dispositions critiquées du décret, dont le champ d’application concerne l’ensemble des médicaments à usage humain ; qu’elles ne sont donc pas recevables à demander l’annulation du refus du Premier ministre d’abroger ces dispositions du décret du 31 mars 1999 ;

Sur la requête n° 225259 :

Considérant que l’autorité compétente, saisie d’une demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal, est tenue d’y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l’illégalité résulte de circonstances de fait ou de droit postérieures à cette date ; que c’est à la date à laquelle l’autorité se prononce sur la demande d’abrogation dont elle a été saisie qu’il convient de se placer pour apprécier si cette demande était fondée ;

Sur les moyens tirés par voie d’exception, de l’illégalité du décret 31 mars 1999 :

Considérant qu’aux termes de l’article L.5132-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée, qui reprend les dispositions de l’article R. 5149 : "Sont comprises comme substances vénéneuses : (...) /4° Les substances inscrites sur la liste I et la liste II définies à l’article L. 5132-6./ On entend par "substances" les éléments chimiques et leurs composés comme ils se présentent à l’état naturel ou tels qu’ils sont produits par l’industrie, contenant éventuellement tout additif nécessaire à leur mise sur le marché (...)" ; qu’aux termes de l’article L. 5132-6 du même code, qui reprend les dispositions de l’article R. 5204, dont la violation est invoquée par les associations requérantes "Les listes I et II mentionnées au 4° de l’article L. 5132-1 comprennent : / 1° Les substances dangereuses mentionnées au 1 ° de l’article L. 5132-1 qui présentent pour la santé des risques directs ou indirects ; / 2° Les médicaments susceptibles de présenter directement ou indirectement un danger pour la santé ; / 3°Les médicaments à usage humain contenant des substances dont l’activité ou les effets indésirables nécessitent une surveillance médicale ; (...)/ 5° Tout autre produit ou substance présentant pour la santé des risques directs ou indirects./ La liste I comprend les substances ou préparations, et les médicaments et produits présentant les risques les plus élevés pour la santé" ; qu’aux termes de l’article L. 5132-8 de ce code : "La production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition et l’emploi de plantes, de substances ou de préparations classées comme vénéneuses sont soumises à des conditions définies par décrets en Conseil d’Etat (...)" ;

Considérant, en premier lieu, que la possibilité nouvelle, introduite par le décret du 31 mars 1999, d’exonérer de la réglementation applicable aux substances vénéneuses les médicaments utilisés pendant une durée de traitement très brève n’a pas pour objet et ne saurait avoir légalement pour effet de permettre au ministre, qui doit décider au cas par cas ces exonérations, sur proposition du directeur général de l’agence française de sécurité sanitaire des produits de santé et après avis de l’académie nationale de pharmacie et de la commission de l’autorisation de mise sur le marché, en prenant en compte les effets de ces substances selon leur dosage et la durée du traitement, de soustraire au régime applicable aux substances vénéneuses des substances ou des médicaments susceptibles de présenter directement ou indirectement un danger pour la santé ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret contesté, du seul fait de la possibilité nouvelle qu’il introduit, serait contraire aux dispositions de l’article L. 5132-6 du code de la santé publique doit être écarté ;

Considérant, en deuxième lieu, que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’exception d’illégalité du décret du 31 mars 1999 doit être écartée ;

Sur les moyens relatifs à la violation de l’article R. 5192 du code de la santé publique :

Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier qu’en estimant, compte tenu des informations scientifiques disponibles à la date de la décision attaquée, que l’utilisation du "Lévonorgestrel" pour une durée de traitement très brève, dans les conditions définies par l’arrêté litigieux du 27 mai 1999, ne présentait pas de danger pour la santé publique et pouvait donc être soustrait au régime applicable aux substances vénéneuses, le ministre de l’emploi et de la solidarité ait commis une erreur de droit ou une erreur manifeste d’appréciation ;

Sur le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 5134-1 du code de la santé publique :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 5134-1 du code de la santé publique, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée qui reprend les dispositions du troisième alinéa de l’article 3 de la loi du 28 décembre 1967, "les contraceptifs hormonaux et intra-utérins ne peuvent être délivrés que sur prescription médicale" ;

Considérant que si l’exclusion du "Lévonorgestrel", sous certaines conditions de dosage, d’emploi et de durée de traitement correspondant aux conditions d’emploi du "Norlevo 0,75 mg", de la réglementation relative aux substances vénéneuses, a eu pour effet de rendre inapplicables à cette spécialité les dispositions de l’article R. 5193 du code de la santé publique qui prévoit l’obligation d’une prescription médicale pour les médicaments et produits concernés, l’arrêté contesté n’a pu avoir pour effet de le soustraire à l’obligation de prescription médicale résultant des dispositions précitées de l’article L. 5134-1 du code de la santé publique qui s’appliquaient à la date de la décision attaquée à tous les contraceptifs hormonaux ; qu’ainsi, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu’être écarté ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l’annulation de la décision implicite par laquelle le ministre de l’emploi et de la solidarité a rejeté leur demande en date du 19 avril 2000 tendant à l’abrogation de l’arrêté du 27 mai 1999 ;

Sur les conclusions tendant à l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas dans la présente instance la partie perdante, soit condamné à verser aux associations requérantes la somme qu’elles demandent au titre des frais qu’elles ont exposés et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes des associations "CHOISIR LA VIE - ASSOCIATION POUR l’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT", UNION POUR LA VIE, COMITE POUR SAUVER L’ENFANT A NAITRE, COORDINATION POUR LA VIE EN SAONE-ET-LOIRE. "DROIT A LA VIE - FUTURES MERES EN DIFFICULTE", "RENAISSANCE CATHOLIQUE" sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée aux associations "CHOISIR LA VIE -ASSOCIATION POUR l’OBJECTION DE CONSCIENCE A L’AVORTEMENT", UNION POUR LA VIE, COMITE POUR SAUVER L’ENFANT A NAITRE, COORDINATION POUR LA VIE EN SAONE-ET-LOIRE, "DROIT A LA VIE - FUTURES MERES EN DIFFICULTE", "RENAISSANCE CATHOLIQUE", au Premier ministre et au ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

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