Conseil d’Etat, 10 avril 2002, n° 204562, M. M.

Si en application des dispositions du quatrième alinéa de l’article 23 du décret du 26 octobre 1948, un des membres composant la section disciplinaire est désigné comme rapporteur et peut procéder, dans le cadre et pour les besoins du débat contradictoire entre les parties, à des mesures d’instruction qui ont pour objet de vérifier la pertinence des griefs et observations des parties et dont les résuitats sont versés au dossier pour donner lieu à communication contradictoire, de telles attributions ne diffèrent pas de celles que la formation collégiale de jugement pourrait elle-même exercer et ne conferent pas au rapporteur le pouvoir de décider par lui-même de modifier le champ de la saisine de la juridiction. Ainsi, l’ensemble de ces dispositions n’ont pas pour effet de conférer au rapporteur des fonctions qui, au regard du principe d’impartialité comme des autres stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales, feraient obstacle à sa participation au délibéré de la section disciplinaire.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 204562

M. M.

M. Bernard, Rapporteur

Mme Roul, Commissaire du gouvernement

Séance du 20 mars 2002

Lecture du 10 avril 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 12 février et 10 juin 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour M. Michel M. ; M. M. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler la décision en date du 15 décembre 1998 par laquelle la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins lui a infligé un blâme avec publication ;

2°) subsidiairement, de constater que le bénéfice de l’amnistie lui est acquis pour ladite sanction ;

3°) de condamner l’échelon local du service médical près la caisse primaire d’assurance maladie des Hautes-Alpes à lui verser la somme de 20000 F au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu la loi n° 95-884 du 3 août 1995 portant amnistie ;

Vu le décret n° 48-1671 du 26 octobre 1948 modifié, relatif au fonctionnement des conseils de l’Ordre des médecins, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes et de la section disciplinaire du Conseil de l’Ordre des médecins ;

Vu la nomenclature générale, des actes professionnels des médecins, des chirurgiens-dentistes, des sages-femmes et des auxiliaires médicaux fixée par l’arrêté du 27 mars 1972, modifiée ;

Vu le décret n°79-506 du 28 juin 1979 portant code de déontologie médicale ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bernard, Conseiller d’Etat,
- les observations de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. M., de la SCP Vier, Barthélemy, avocat du Conseil national de l’Ordre des médecins et de la SCP Vincent, Ohl, avocat du médecin conseil près la caisse primaire d’assurance maladie de Gap,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;

Sur les moyens tirés de l’irrégularité de la procédure suivie devant la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins :

En ce qui concerne la participation du rapporteur au délibéré :

Considérant, d’une part, que si en application des dispositions du quatrième alinéa de l’article 23 du décret du 26 octobre 1948 susvisé, un des membres composant la section disciplinaire est désigné comme rapporteur et peut procéder, dans le cadre et pour les besoins du débat contradictoire entre les parties, à des mesures d’instruction qui ont pour objet de vérifier la pertinence des griefs et observations des parties et dont les résuitats sont versés au dossier pour donner lieu à communication contradictoire, de telles attributions ne diffèrent pas de celles que la formation collégiale de jugement pourrait elle-même exercer et ne conferent pas au rapporteur le pouvoir de décider par lui-même de modifier le champ de la saisine de la juridiction ; qu’ainsi, et alors même qu’il incombe par ailleurs au rapporteur en vertu de l’article 26 du même décret, de faire à l’audience un exposé des faits consistant en une présentation de l’affaire, l’ensemble de ces dispositions n’ont pas pour effet de lui conférer des fonctions qui, au regard du principe d’impartialité comme des autres stipulations de l’article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales, feraient obstacle à sa participation au délibéré de la section disciplinaire ;

Considérant, d’autre part, qu’il n’est pas allégué que le rapporteur désigné en l’espèce aurait exercé ses fonctions en méconnaissance des dispositions du décret du 26 octobre 1948 ou manqué à l’obligation d’impartialité qui s’imposait à lui ;

En ce qui concerne l’absence de communication préalable du "rapport" établi par le rapporteur :

Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le décret du 26 octobre 1948 a pu légalement prévoir que l’exposé de l’affaire à l’audience est présenté par le membre de la section disciplinaire désigné comme rapporteur ; que le texte de cet exposé, qui peut au demeurant ne pas être écrit, n’est pas soumis au principe du contradictoire applicable à l’instruction entre les parties ; qu’il n’est pas allégué qu’en l’espèce le rapporteur aurait communiqué avant l’audience le texte de son exposé à l’auteur de la plainte formée contre M. M. ; que, par suite, celui-ci n’est pas fondé à soutenir que, faute de lui avoir communiqué préalablement à l’audience le "rapport" du rapporteur, la section des assurances sociales aurait méconnu les règles de procédure applicables et notamment les stipulations de l’article 6§ 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne les autres moyens relatifs à la procédure :

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le docteur Roland N. avait été nommé médecin conseil du service médical près la caisse primaire d’assurance maladie des Hautes-Alpes, par une décision du 25 avril 1997 ; qu’il avait donc qualité pour représenter ce service lors de l’audience tenue le 28 octobre 1998 par la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins ;

Considérant que, contrairement à ce qu’il soutient, M. M. a eu connaissance du grief tiré de ce qu’il aurait méconnu les dispositions de l’article 24 du code de déontologie médicale en temps utile pour préparer sa défense devant la section des assurances sociales du Conseil national de l’Ordre des médecins ; qu’il n’est donc pas fondé à soutenir que la procédure suivie devant cet organisme aurait été irrégulière ;

Sur le moyen tiré de ce pue la section des assurances sociales aurait fait une fausse application des dispositions de l’article 24 du code de déontologie médicale :

Considérant que l’article 24 du code de déontologie médicale, dans sa rédaction applicable au litige, interdit "tout acte de nature à procurer à un malade un avantage matériel injustifié ou illicite" ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que M. M. a présenté, de façon systématique et sans aucune justification médicale, des demandes d’entente préalable destinées à permettre le remboursement à des patients de soins d’épilation ; que le Conseil national de l’Ordre des médecins, en relevant le caractère systématique des demandes présentées abusivement par M. M., n’a pas dénaturé les faits ; qu’il ne les a pas inexactement qualifiés en estimant que, par ce comportement, M. M. avait méconnu les dispositions précitées de l’article 24 du code de déontologie médicale ;

Sur l’amnistie :

Considérant qu’en estimant que le comportement analysé ci-dessus, eu égard au caractère répété des manquements ainsi constatés, constitue un manquement à la probité, la section des assurances sociales a fait une exacte application de la loi susvisée du 3 août 1995 portant amnistie ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner M. M. à payer au service du contrôle médical de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur la somme de 2280 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; que les dispositions de la même loi font obstacle à ce que la caisse primaire d’assurance maladie de Gap, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance ; soit condamnée à payer à M. M. la somme qu’il demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. M. est rejetée.

Article 2 : M. M. versera une somme de 2 280 euros au service du contrôle médical de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Michel M., au médecin conseil, chef du service du contrôle médical près la caisse primaire d’assurance maladie de Gap, au service du contrôle médical de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, au Conseil national de l’Ordre des médecins et au ministre de l’emploi et de la solidarité.

_________________
Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article673