Le fait de reprocher à des enseignants, aisément identifiables, d’avoir permis la commission d’actes de bizutage est de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur considération.
Cour de Justice de la République, 16 mai 2000, Madame Ségolène Royal
Affaire n°00-001
La Cour,
Sur les conclusions déposées par la défense « in limine litis »
Attendu que Daniel Pansieri et Joëlle Purollet, épouse Jeanjean, cités comme témoins, ont été entendus, à ce titre, sous serment ;
Qu’à l’issue de leurs auditions, ils ont manifesté l’intention de se constituer parties civiles ;
Que, par arrêt incident du 15 mai 2000, la Cour a refusé de faire droit à cette demande ;
Qu’en cet état, les conclusions susvisées sont devenues sans objet ;
Au fond :
Rappel des faits :
Attendu que, le 11 septembre 1997, les redoublants d’une classe préparatoire du lycée Thiers de Marseille ont soumis des nouveaux élèves à un bizutage qui a comporté diverses épreuves dont certaines avaient un caractère particulièrement dégradant ;
Qu’à la suite de la. révélation de ces faits, Ségolène Royal, ministre chargée de l’enseignement scolaire, a fait procéder, les 19 septembre et 6 octobre 1997, à une inspection qui a révélé, outre la responsabilité de certains élèves dans le déroulement des événements, celle de deux enseignants qui, par leur attitude, en auraient permis le déclenchement ;
Que, répondant à des questions de journalistes à ce sujet, la ministre a tenu des propos dont certains ont été jugés diffamatoires par les deux professeurs mis en cause ;
Que, suite à la plainte de ces deux enseignants, Ségolène Royal a été renvoyée devant la Cour de justice de la République pour y répondre, dans les termes fixés cidessus à la prévention, du délit de diffamation ;
Sur le caractère diffamatoire des propos :
Attendu que le fait de reprocher à des enseignants, aisément identifiables, d’avoir permis la commission d’actes de bizutage est de nature à porter atteinte à leur honneur et à leur considération ;
Il en est ainsi des déclarations de la ministre au journal FR3 du 9 octobre 1997 à 19 heures 07 selon lesquelles « Ils (les élèves) désapprouveraient ceux qui ont permis ... dans le corps enseignant d’organiser et d’autoriser certains élèves d’exercer des rapports de domination et de violence sur d’autres ».
Il en est ainsi des propos de Madame Royal reproduits dans le journal « la Provence » du 9 octobre 1997, selon lesquels « ce bizutage n’avait été possible que grâce à la complicité des adultes qui ont établi de faux emplois du temps. Car les élèves qui auraient dû être en cours ont, en fait, été remis aux bizuteurs ».
Il en est ainsi des propos de la ministre parus dans le journal « La Provence » du 10 octobre 1997, selon lesquels « Il a été clairement établi que les élèves ont été remis entre les mains des bizuteurs, grâce à une convocation à un emploi du temps factice, puisque les élèves avaient normalement cours de biologie, physique et mathématiques. L’organisateur du bizutage, un ancien élève de classe préparatoire, n’a pu s’introduire dans la classe que grâce à la complicité de l’administration. Dès le matin du 11 septembre, il s’est substitué à un professeur et le bizutage a commencé ».
Sur la vérité des faits diffamatoires :
Attendu qu’il résulte de l’audition des témoignages à l’audience ainsi que des pièces soumises aux débats dans le cadre de l’offre de preuve et de contre-preuve et, notamment, des déclarations de Madame Jeanjean et Monsieur Pansieri que ceux-ci ont laissé une ancienne élève faire un simulacre de cours ; qu’ils ont ainsi prêté leur concours à la prise en main des nouveaux élèves par les anciens permettant, de ce fait, la poursuite des autres opérations de bizutage ;
Qu’ainsi, la prévenue rapporte la preuve parfaite, complète et corrélative des faits qu’elle impute aux plaignants ;
Par ces motifs,
La Cour,
Après avoir délibéré et voté conformément à l’article 32 de la loi organique du 23 novembre 1993, par bulletins secrets à la majorité absolue, sur chaque chef de la prévention,
Statuant publiquement, contradictoirement à l’égard de la prévenue,
Dit sans objet les conclusions déposées par la défense à l’ouverture des débats
Renvoie Ségolène Royal des fins de la poursuite.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article662