Conseil d’Etat, 3 avril 2002, n° 231033, Mme O.

La présente décision prononce l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de la requérante et non celle d’une décision refusant de lui délivrer une carte de séjour temporaire. Dès lors, elle n’implique pas nécessairement la délivrance d’une carte de séjour temporaire. En revanche, il appartient au juge administratif lorsqu’il prononce l’annulation d’un arrêté de reconduite à la frontière et qu’il est saisi de conclusions en ce sens, d’user des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 911-2 du code de justice administrative pour fixer le délai dans lequel la situation de l’intéressé doit être réexaminée, au vu de l’ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 231033

Mme O.

Mlle Landais, Rapporteur

Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement

Séance du 11 mars 2002

Lecture du 3 avril 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux (Section du contentieux, 1ère et 2ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 1ère sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête enregistrée le 6 mars 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Sekycre Priscilla O. ; Mme O. demande au Conseil d’Etat :

1°) d’annuler le jugement du 23 février 2001 par lequel le conseiller délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté su demande dirigée contre l’arrêté du 20 février 2001 du préfet du Val-d’Oise décidant su reconduite à la frontière ;

2°) d’annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) d’enjoindre à l’administration de lui délivrer un titre de séjour ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu l’ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 modifiée ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Landais, Auditeur,
- les conclusions de Mlle Fombeur, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu’aux termes du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 modifiée : « Le représentant de l’Etat dans le département et, à Paris, le préfet de police peuvent, par arrêté motivé, décider qu’un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (...) 3° Si l’étranger, auquel la délivrance oule renouvellement d’un titre de séjour a été refusé ou dont le titre de séjour a été retiré, s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai d’un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (...) » ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme O., de nationalité ghanéenne, s’est maintenue sur le territoire français plus d’un mois après la notification, le 5 janvier 2000, de la décision du 30 décembre 1999 du préfet du Val-d’Oise lui refusant la délivrance d’un titre de séjour et l’invitant à quitter le territoire ; qu’elle était ainsi dans le cas visé au 3° du I de l’article 22 de l’ordonnance du 2 novembre 1945 où le préfet peut décider la reconduite d’un étranger à la frontière ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que Mme O., entrée en France trois ans avant l’intervention de la mesure de reconduite attaquée, s’est mariée en juin 1998 à un compatriote, titulaire d’une carte de résident de dix ans, avec lequel elle a eu deux enfants nés en France en décembre 1998 et novembre 2000 ; que, dans ces circonstances, et alors même que l’intéressée peut bénéficier du regroupement familial, l’arrêté attaqué a porté à son droit au respect de sa vie familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel il a été pris ; qu’il a ainsi méconnu les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Considérant, par suite, que Mme O. est fondée à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté sa demande ;

Sur les conclusions à fin d’injonction :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une décision dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution » ; qu’aux termes de l’article L. 911-2 du même code : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette décision doit intervenir dans un délai déterminé » ; que le III de l’article 22 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 dispose que : « Si l’arrêté de reconduite à la frontière est annulé, (...) l’étranger est muni d’une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que le préfet ait à nouveau statué sur son cas » ;

Considérant que la présente décision prononce l’annulation pour excès de pouvoir d’un arrêté ordonnant la reconduite à la frontière de Mme O. et non celle d’une décision refusant de lui délivrer une carte de séjour temporaire ; que, dès lors, elle n’implique pas nécessairement la délivrance d’une carte de séjour temporaire ; qu’en revanche, il appartient au juge administratif lorsqu’il prononce l’annulation d’un arrêté de reconduite à la frontière et qu’il est saisi de conclusions en ce sens, d’user des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 911-2 du code de justice administrative pour fixer le délai dans lequel la situation de l’intéressé doit être réexaminée, au vu de l’ensemble de la situation de droit et de fait existant à la date de ce réexamen ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu de prescrire au préfet du Val-d’Oise de se prononcer sur la situation de Mme O. dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Cergy-Pontoise en date du 23 février 2001 et l’arrêté préfectoral en date du 20 février 2001 ordonnant la reconduite à la frontière de Mme O. sont annulés.

Article 2 : Le préfet du Val-d’Oise se prononcera sur la situation de Mme O. dans le délai d’un mois suivant la notification de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme O. est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme Sekycre Priscilla O., au préfet du Val-d’Oise et au ministre de l’intérieur.

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