La pratique référendaire dans les démocraties constitutionnelles : le référendum abrogatif d’initiative populaire en Italie

Par Roland RICCI
Maître de conférences à l’université de Cergy-Pontoise
- Centre d’études et de recherche : Fondements du droit public (CER/FDP)

Les démocraties ne sauraient échapper à la question de l’utilisation du référendum car selon les principes philosophiques qui ont vu le jour au XVIIIe siècle « Le pouvoir législatif ne peut revenir qu’à la volonté unifiée du peuple » (E. Kant, Métaphysique des mœurs : Doctrine du Droit, Paris, Flammarion, 1994, Doctrine universelle du droit, § 46, p. 128). Néanmoins les régimes constitutionnels ne réservent pas toujours un accueil chaleureux à la pratique de la consultation référendaire. A l’heure ou la défiance de la classe politique française à l’égard du référendum s’exprime de nouveau au grand jour, il nous apparaît utile de présenter une analyse de l’expérience italienne en la matière.

L’utilisation du référendum comme procédé de consultation du corps électoral afin qu’il se prononce sur une question par une réponse affirmative ou négative peut concerner des normes juridiques de rang divers. Si le recours au référendum est généralement admis en matière constituante, encore que la pratique française démontre une inclination contraire, son utilisation au sujet des lois ordinaires est loin d’être couramment acceptée. L’un des écueils que rencontre la consultation référendaire au sujet des lois ordinaires réside dans la compétence des parlements qui ne sont habituellement pas favorables à ce que le peuple intervienne dans le processus législatif. R. Carré de Malberg avait pourtant clairement établi qu’il n’y avait aucune antinomie entre le référendum et l’idée de représentation à la base du parlementarisme (Considérations théoriques sur la question de la combinaison du référendum avec le parlementarisme, R.D.P., 1931, p. 230). Il considérait notamment : « Du moment, en effet, que l’on base la puissance de l’Etat et de ses organes sur l’idée de souveraineté de la volonté générale, il devient manifestement impossible de refuser voix délibérante, et même voix décisive, à ceux en qui la volonté générale prend sa source et sa consistance, c’est-à-dire aux citoyens s’assemblant à cet effet en un collège unique et indivisible. Surtout, il devient manifestement contradictoire de justifier l’énormité de la puissance parlementaire par un argument tiré de ce que le Parlement énonce la volonté populaire, et en même temps, de maintenir contre le peuple une exclusive, qui implique que cette volonté se forme en dehors de lui, sans qu’il ait la ressource de contester l’expression que le Parlement en a donnée. De ce point de vue donc, et plus encore que du point de vue des idées de représentation populaire, l’on est obligé de conclure que non seulement le référendum et le parlementarisme ne sont pas incompatibles l’un avec l’autre, mais qu’il y a une relation immédiate et inéluctable entre les concepts qui ont servi à fonder la puissance parlementaire et les institutions démocratiques permettant à la communauté des citoyens de faire entendre sa voix. »

Néanmoins la République française ne tolère le recours au référendum qu’assorti d’une initiative du pouvoir exécutif. Ainsi le Conseil d’Etat, dans son rapport public de 1993 (E.D.C.E., n° 45, p. 140), a relevé que l’initiative populaire constituait une procédure « contraire à la tradition constitutionnelle républicaine ».

Ce n’est pourtant pas l’analyse qu’a adoptée la République italienne car elle s’est dotée d’une institution originale qui, tout en préservant la fonction du Parlement, a mis en place un contre-pouvoir législatif : le référendum abrogatif d’initiative populaire. Comme l’on pouvait s’y attendre le recours au référendum abrogatif ne s’est pas opéré sans que les institutions traditionnelles tentent de faire obstacle à sa montée en puissance. La démocratie italienne ayant trouvé les ressources pour soutenir l’institution référendaire, une culture politique centrée sur le recours au référendum abrogatif d’initiative populaire a pu voir le jour. Dans ce cadre la Cour constitutionnelle italienne a joué un rôle essentiel pour maîtriser la pratique référendaire à travers l’exercice du contrôle de l’admissibilité des demandes de référendum. Toutefois l’usage de ce procédé de consultation du peuple ne saurait être à lui seul un remède contre le déficit démocratique de certains régimes constitutionnels. Au sein de la République italienne le recours inconsidéré au référendum abrogatif a entraîné une désaffection des électeurs empêchant à plusieurs reprises l’abrogation des dispositions objet des consultations.

1 La mise en place d’un contre-pouvoir législatif

Les principales questions relatives à l’instauration d’un référendum législatif au sein d’un régime républicain ont été abordées au moment de l’élaboration de la Constitution italienne entrée en vigueur le premier janvier 1948.

La volonté des constituants italiens d’attribuer au peuple un rôle actif ressort des multiples travaux qui ont précédé l’adoption de la Constitution du 27 décembre 1947. Le 2 juin 1946 le peuple italien s’est prononcé en faveur d’un régime républicain et a élu au scrutin proportionnel une assemblée constituante. Au sein de cette Assemblée c’est la deuxième sous-commission de la « Commission pour la Constitution » qui fut chargée de l’examen des questions relatives à l’instauration d’un référendum législatif.

Les députés italiens ont notamment mis l’accent sur la nécessité de distinguer la pratique référendaire des manifestations de confiance ou de défiance à l’égard des institutions politiques. Ainsi G. Uberti a affirmé « qu’il fallait détacher cette institution de l’idée d’un vote de confiance politique et lui donner le caractère d’une solution pratique à des problèmes déterminés. Cela sera certainement difficile ; mais il s’agit de trouver la façon d’appliquer le référendum lorsque le résultat sera contraire à une loi ordinaire : le Gouvernement ne doit pas être renversé si la question de confiance n’a pas été posée. »

Quant au rôle politique du référendum, C. Mortati a présenté cette institution comme un procédé permettant au peuple d’« intervenir utilement pour résoudre les conflits entre le Gouvernement et le Parlement », et « d’influer sur les partis, de les contraindre à un plus grand contact avec le peuple pour ce qui concerne les problèmes concrets ». Il n’en demeurait pas moins que la question du promoteur de cette intervention dans les conflits entre Gouvernement et Parlement restait controversée. C. Mortati soutenait un recours au référendum après une initiative du Chef de l’Etat alors que U. Nobile craignait que « l’initiative du référendum, confiée exclusivement au peuple, puisse dans certains cas être dangereuse, dans la mesure où il serait facile même pour un petit parti de disposer du nombre de signatures nécessaire pour demander un référendum et accomplir ainsi un travail systématique de sabotage. » Néanmoins le principe d’une initiative présidentielle a été par la suite vigoureusement repoussé.

M. Ruini, président de la Commission pour la Constitution, rapporteur du projet de Constitution, a abordé de manière directe devant l’Assemblée constituante la question fondamentale de la fonction de l’institution référendaire dans une démocratie constitutionnelle : « il a été retenu que, dans un régime démocratique, le peuple pouvait s’exprimer de deux manières fondamentales : indirectement par l’élection du Parlement et directement au moyen du référendum. « Il faut souligner, comme cela a été dit dans d’autres interventions, que le référendum est nécessaire justement pour retirer au Parlement le caractère de seul organe souverain, car au fond la souveraineté du Parlement est indirecte, puisque le vrai souverain doit être le peuple. »

Il faut souligner que la position de M. Ruini était conforme à la volonté qui a été exprimée par les constituants à travers l’adoption du premier article de la Constitution de la République italienne du 27 décembre 1947 : « La souveraineté appartient au peuple, qui l’exerce selon les formes et les limites de la Constitution. »

Si l’ensemble des constituants approuvait le principe de l’institution du référendum, de profondes divergences subsistaient quant à sa mise en œuvre. Par la suite les discussions ont porté sur les modalités de l’intervention référendaire : référendum préventif, suspensif ou abrogatif. Finalement une majorité s’est dessinée en faveur du maintien du seul référendum abrogatif, mais il restait encore à déterminer la nature des textes pouvant être abrogés.

Lors des réunions préparatoires les constituants ont trouvé plus facilement un accord sur les textes susceptibles d’être soumis au référendum abrogatif en se référant aux travaux de la deuxième sous-commission : à partir du moment où, bien que souverain, le peuple ne pouvait tout faire sans mettre en péril la gestion de l’Etat, il apparaissait normal d’exclure de la procédure référendaire les lois ratifiant les traités internationaux ainsi que les lois fiscales et budgétaires.

Devant l’Assemblée constituante la question de l’abrogation des lois autorisant la ratification des traités internationaux fut de nouveau soulevée car ceux-ci engagent la nation pour de longues années. Toutefois les nécessités de continuité et de stabilité de la politique étrangère ont poussé les constituants à maintenir cette exclusion. En revanche certains membres de l’Assemblée ont proposé d’étendre aux lois électorales la catégorie des lois non abrogeables par référendum. Le président de la Commission pour la Constitution, M. Ruini, a alors été sollicité et il s’avère intéressant de relater son intervention car elle apporte d’importantes précisions sur l’institution référendaire : « Je n’y suis pas favorable, parce que s’il y a un moyen par lequel le peuple peut manifester sa volonté, c’est bien le système électoral. La souveraineté populaire s’exprime ici, avec toute sa raison d’être, pour interdire —si cela se produisait— que les membres du Parlement n’en abusent pour organiser les élections selon leur bon vouloir. Il ne faut pas oublier, chers collègues, que le vrai souverain est le peuple, non le Parlement. Je veux dire une fois encore que notre Constitution se doit de réagir au point de vue, qui s’est également manifesté dans certaines parties de cette Assemblée, selon lequel le peuple n’a qu’un seul droit : élire une Chambre qui, lorsqu’elle a été élue, a tous les pouvoirs et, comme le disait V. La Rocca posséderait même le pouvoir exécutif. C’est une conception totalitaire, qui veut prendre le nom de régime parlementaire, mais qui n’en est plus un, selon le sens historique que revêt le régime parlementaire : un système de “freins et de contrepoids”. Il s’agit plutôt d’un régime d’assemblée ou de convention ; et on doit en combattre le totalitarisme. Il est nécessaire, tout en donnant au Parlement l’importance qui lui revient, d’instaurer un régime que nous appellerons populaire, qui s’appuie sur le peuple non seulement pour l’élection du Parlement, mais aussi pour les autres formes de l’exercice de la souveraineté populaire, au sein desquelles le référendum est caractéristique et important. L’institution du référendum, introduite avec toutes les précautions nécessaires dans la Constitution, constitue le principe d’une vraie démocratie, auquel nous ne pouvons renoncer. »

L’Assemblée constituante, arrivée à ce point des débats, confrontée aux difficultés relatives à la détermination des modalités du déroulement du référendum abrogatif d’initiative populaire, a adopté sans état d’âme le dernier alinéa du futur article 75 de la Constitution qui précise simplement : « La loi détermine les modalités de mise en œuvre du référendum ». La mise en place de l’institution référendaire s’est donc déroulée progressivement, en plusieurs étapes correspondant aux différentes sources normatives sollicitées.

Le principe de l’existence du référendum abrogatif d’initiative populaire a été instauré par l’article 75 de la Constitution : « Un référendum populaire est fixé pour décider de l’abrogation, totale ou partielle, d’une loi ou d’un acte ayant valeur de loi, quand le demandent cinq cent mille électeurs ou cinq Conseils régionaux. « Le référendum n’est pas autorisé pour les lois fiscales et budgétaires, d’amnistie et de remise de peine, d’autorisation de ratifier les traités internationaux. Tous les citoyens appelés à élire la Chambre des députés ont le droit de participer au référendum. « La proposition soumise au référendum est approuvée si la majorité des électeurs a participé au vote, et si la majorité des suffrages exprimés favorablement a été atteinte. « La loi détermine les modalités de mise en œuvre du référendum. »

Toutefois l’article 75 de la Constitution italienne n’avait prévu aucune modalité de contrôle des demandes de référendum. C’est la loi constitutionnelle n° 1 du 11 mars 1953 (Normes complémentaires de la Constitution concernant la Cour constitutionnelle) qui, dans son article 2, a ajouté une nouvelle compétence à celles attribuées à la Cour constitutionnelle par l’article 134 de la Constitution : « Il ressortit à la compétence de la Cour constitutionnelle de juger si les demandes de référendum abrogatif présentées selon l’article 75 de la Constitution sont admissibles aux termes du second alinéa de ce même article. « Les modalités de ce jugement seront établies par la loi qui réglementera le déroulement du référendum populaire. »

Or cette loi constitutionnelle de 1953 n’instaurait que le principe du contrôle de la demande de référendum en renvoyant, non seulement aux critères fixés par l’article 75 de la Constitution, mais également à la loi ordinaire devant déterminer les modalités de l’exercice de ce contrôle ainsi que le déroulement du référendum. Par conséquent la mise en œuvre du référendum abrogatif dépendait, en dernier ressort, de l’adoption d’une loi ordinaire par le législateur. Le Parlement a alors utilisé cette situation pour tenter d’infléchir les caractéristiques de l’institution référendaire et atténuer sa « nocivité ».

2 La résistance des institutions traditionnelles

Le Parlement de la République italienne n’était pas pressé de donner vie à l’institution référendaire car elle pouvait lui porter ombrage. Il s’est donc efforcé de bloquer le vote de la loi nécessaire à sa mise en œuvre, prévue par la loi constitutionnelle n° 1 de 1953 ainsi que par l’alinéa 3 de l’article 75 de la Constitution.

En effet, bien qu’un premier projet de loi ait été proposé dès le 21 février 1949 par le Président du Conseil des ministres A. De Gasperi, la loi sur le référendum n’a été votée que le 25 mai 1970 après de multiples tractations, et dans des circonstances tout à fait particulières. Ces circonstances résultaient de l’introduction dans le système juridique italien de la loi sur le divorce. La Démocratie chrétienne a alors abandonné sa position d’obstruction systématique à l’adoption de la loi fixant les modalités du déroulement du référendum abrogatif en espérant ainsi faire abroger la loi sur le divorce.

Dans un tel contexte l’élaboration de la loi a été plus influencée par la volonté d’atteindre le résultat escompté que par une réflexion objective sur les conditions nécessaires au bon déroulement des référendums abrogatifs. En conséquence la réglementation adoptée ne l’a pas été sans arrière pensée. Le législateur a saisi cette occasion pour introduire des dispositions lui permettant de contrôler le déroulement du référendum. C’est ainsi que l’article 39 de la loi n° 352 du 25 mai 1970 dispose :« Lorsque avant la date du déroulement du référendum, la loi ou l’acte ayant force de loi, ou leurs dispositions particulières auxquelles le référendum se réfère, ont été abrogées, le Bureau central pour le référendum déclare que les opérations relatives n’ont plus cours. »

L’article 39 de la loi n° 352 de 1970 constituait une arme redoutable entre les mains du législateur car son intervention, rendue possible par ces dispositions qui ne comportaient aucune condition restrictive, permettait d’empêcher le déroulement des référendums, vidant ainsi de sa substance l’article 75 de la Constitution italienne. En effet ce texte n’imposait au législateur aucun critère sur la manière d’apprécier l’abrogation des dispositions visées par la demande de référendum, il pouvait aisément être interprété de la manière suivante : à partir du moment où la loi qui constituait l’objet du référendum était abrogée formellement, c’est-à-dire lorsque de nouvelles dispositions de même rang dans l’échelle des normes juridiques, et ayant le même objet, se substituaient à celles précédemment en vigueur, la procédure référendaire était interrompue.

Cette loi fournissait ainsi au législateur l’opportunité, lorsqu’il désirait mettre un terme à la procédure référendaire, de se contenter de réitérer le contenu d’un acte soumis à un référendum abrogatif sous une nouvelle forme. En fait, dans tous les cas, le Parlement avait les moyens d’arrêter la procédure référendaire.

Ce type de conflit de normes propose un exemple pertinent de l’intérêt d’un véritable contrôle de constitutionnalité a posteriori : la Cour constitutionnelle italienne a pu corriger l’orientation qui avait été donnée par le législateur à l’institution référendaire en se prononçant sur une question de constitutionnalité posée en 1978 à propos de l’article 39 de la loi n° 352 de 1970. Elle a donné lieu à la décision n° 68 de 1978.

Malgré l’aspect technique de cette décision il nous semble préférable d’en citer le passage essentiel : « Par définition, on n’a pas entendu proposer au corps électoral l’abrogation de lois formelles ou d’actes assimilés ou de simples dispositions législatives, qui ont déjà été abrogées : parce que, s’il en était ainsi, le vote populaire se verrait privé de ses deux effets les plus caractéristiques, abrogatif et exclusif, respectivement prévus par l’article 37 et l’article 38 de la loi n° 352 de 1970. Et c’est ici que trouve son fondement l’article 39 de la même loi, par lequel “le Bureau central pour le référendum déclare” —dans ce cas— “que les opérations relatives n’ont plus cours”.

« Dès les premières applications de la loi n° 352 les interprètes ont cependant relevé que la formulation de l’article 39 est tellement large et sans discrimination qu’elle permet que soient neutralisées les intentions des promoteurs et des signataires des demandes de référendum abrogatif : se prêtant de cette manière à éluder ou paralyser les dispositions de l’article 75 de la Constitution. Effectivement, en regard de l’institution et de la garantie constitutionnelle du pouvoir référendaire se révèle inconciliable le fait que ce moyen spécifique d’exercice direct de la souveraineté populaire finisse par être soumis —de manière contradictoire— à des interventions résolutoires qui dépendent de l’entière volonté non-contrôlable, du législateur ordinaire : il lui serait permis de bloquer le référendum en adoptant n’importe quelle réglementation se substituant aux dispositions assujetties au vote du corps électoral. (…)

« Ainsi interprété, l’article 39 de la loi n° 352 de 1970 doit être dans ce cas considéré comme illégal, car contraire à l’article 75 de la Constitution, dans le sens où il ne prévoit pas des moyens adéquats pour défendre les signataires des demandes de référendum abrogatif. »

La situation normative se prêtait fort mal à une annulation car le législateur serait redevenu libre de modifier l’institution référendaire à sa guise en usant de son pouvoir d’appréciation discrétionnaire. De plus, la loi n° 352 de loi était indispensable à la mise en œuvre de l’article 75 de la Constitution, et comme il a été nécessaire d’attendre vingt-deux années l’adoption de ces dispositions, la Cour constitutionnelle ne pouvait prendre le risque de paralyser de nouveau l’institution référendaire.

Toutes ces raisons ont conduit les juges constitutionnels à choisir la solution de l’adoption d’une décision additive, c’est à dire ajoutant au texte contrôlé une norme fixant les conditions de l’intervention du législateur sur les normes objet d’un référendum abrogatif d’initiative populaire. Ce type de décision, inconnu dans la jurisprudence constitutionnelle française, peut certainement surprendre si elle est analysée avec les données contenues dans le système juridique français. Pourtant, si l’on prend soin de se référer aux exigences découlant de l’adoption d’un régime de démocratie constitutionnelle, il apparaît beaucoup moins insolite de privilégier la volonté du peuple constituant par rapport à la volonté des représentants législateurs.

En l’espèce la volonté de la juridiction constitutionnelle d’intervenir de la sorte a été matérialisée par l’adoption du dispositif suivant : « Par ces motifs la Cour constitutionnelle déclare l’illégalité constitutionnelle de l’article 39 de la loi n° 352 du 25 mai 1970, limitativement à la partie où elle ne prévoit pas que si l’abrogation des actes ou des simples dispositions concernées par le référendum est accompagnée d’une autre réglementation de la même matière, sans modifier ni les principes inspirateurs de l’ensemble de la réglementation préexistante ni les contenus normatifs essentiels des simples préceptes, le référendum a lieu sur les nouvelles dispositions législatives. »

La Cour constitutionnelle a alors mis en place tout un ensemble de critères destinés à permettre une application de la loi n° 352 de 1970 qui soit conforme à une configuration de l’institution référendaire compatible avec le régime adopté par les constituants. Pour ce faire les juges constitutionnels ont soigneusement examiné les différents rapports susceptibles d’exister entre la norme objet du référendum et la norme législative qui l’abroge, adoptée par le Parlement après le lancement de la procédure référendaire. Encore fallait-il disposer d’un paramètre autorisant l’analyse du rapport ainsi déterminé : les juges ont choisi de procéder à l’appréciation objective de l’intention du législateur. Dans le cas où la nouvelle loi adoptée par le Parlement pour abroger la norme objet du référendum abrogatif ne comporterait que de « simples innovations formelles ou de détail », la Cour constitutionnelle a considéré que la consultation référendaire devait porter sur la nouvelle norme législative. Dans l’hypothèse où la nouvelle loi modifierait la norme objet du référendum, les juges constitutionnels ont prévu de contrôler les rapports existant entre les deux textes.

De cette manière, la Cour constitutionnelle a fixé tous les paramètres nécessaires à la détermination de la nature de l’abrogation par le législateur des normes objet d’une demande de référendum abrogatif. Toutefois, si cette intervention de la Haute juridiction encadrait l’action du législateur avant le déroulement du vote, il n’en demeurait pas moins qu’après un résultat positif de celui-ci, la nouvelle réglementation mise en place pouvait également être abrogée. Si cette abrogation n’était pas à son tour encadrée, le risque aurait été grand de réduire à néant le résultat des consultations référendaires. Pour cette raison la Cour constitutionnelle a instauré l’interdiction du rétablissement par le législateur de la norme abrogée. Ainsi, dans la décision n° 468 de 1990, les juges constitutionnels italiens ont pris soin de préciser : « On doit ici rappeler la nature particulière du référendum, en tant qu’acte-source de l’ordonnancement. A la différence du législateur qui peut corriger ou même abroger ce qu’il a précédemment établi, le référendum manifeste une volonté définitive et ne pouvant être retirée ». En conséquence, compte tenu des circonstances de cette décision, la juridiction constitutionnelle a estimé que l’abrogation par référendum d’un article du code de procédure civile « ne pourrait permettre au législateur le choix politique de faire revivre les normes qu’il contient à titre transitoire ».

La Cour constitutionnelle ne s’est pas contentée de défendre l’institution référendaire contre l’activisme du Parlement, elle a également dû encadrer l’utilisation du référendum afin qu’elle reste conforme à l’organisation des pouvoirs prévue par la Constitution.

3 La maîtrise de la pratique référendaire par la Cour constitutionnelle

L’itinéraire d’une demande de référendum abrogatif s’avère particulièrement complexe : il commence par le recueil des signatures des électeurs et se termine par la proclamation des résultats de la consultation, suivie, en cas d’issue favorable, par la publication d’un décret du Président de la République constatant l’abrogation des dispositions objet du référendum.

Entre temps la demande de référendum aura subi un contrôle de légalité devant le Bureau pour le référendum auprès de la Cour de cassation et un contrôle d’admissibilité devant la Cour constitutionnelle. Si le contrôle de légalité porte uniquement sur le respect de la procédure législative, le contrôle d’admissibilité comporte l’appréciation du respect par les demandes référendaires des prescriptions constitutionnelles établies par l’article 75 de la Constitution. Le contrôle d’admissibilité a donné lieu à une jurisprudence abondante, 106 décisions rendues entre 1972 et février 2000, qui s’avère d’une grande richesse et extrêmement complexe. Cela résulte notamment de l’ingéniosité dont les promoteurs des demandes de référendum ont fait preuve pour contourner les dispositifs normatifs limitant l’usage de l’abrogation référendaire.

Ce contentieux spécifique démontre qu’il est possible d’utiliser de manière rationnelle le référendum d’initiative populaire dans une démocratie constitutionnelle sans remettre en cause les attributions respectives des institutions traditionnelles, notamment celles du Parlement. Nous laisserons de côté les aspects les plus techniques de ces décisions pour nous intéresser à la manière dont la Cour constitutionnelle italienne a rationalisé l’utilisation du référendum abrogatif d’initiative populaire. Nous nous contenterons de résumer les principales directions adoptées par la jurisprudence afin de maîtriser le déroulement de la procédure référendaire.

La Cour constitutionnelle italienne, compte tenu du cadre normatif de référence dont elle disposait, a tout d’abord précisé les dispositions qui ne pouvaient être abrogées par un référendum d’initiative populaire. La juridiction constitutionnelle s’est ensuite attachée à fixer les conditions de forme que devaient satisfaire des questions soumises aux électeurs. Puis, la Cour constitutionnelle a soigneusement établi les paramètres permettant de déterminer la finalité poursuivie par l’abrogation proposée aux électeurs.

3.1 Les dispositions ne pouvant être abrogées par référendum

L’article 75 de la Constitution italienne interdisait que constituent l’objet d’un référendum abrogatif les lois fiscales et budgétaires, les lois d’amnistie et de remise de peine ainsi que les lois d’autorisation de ratifier les traités internationaux. La Cour constitutionnelle a commencé par confirmer les interdictions explicites contenues dans l’article 75, puis elle y a ajouté les dispositions étroitement reliées aux précédentes par leurs effets.

D’une manière générale les juges constitutionnels ont justifié la nécessité de compléter les dispositions de l’article 75 de la Constitution par le fait « qu’existent en effet des valeurs d’ordre constitutionnel à défendre, qui peuvent se rapporter aux structures ou aux thèmes des demandes référendaires, excluant les référendums relatifs, au delà de la lettre de l’article 75 alinéa 2 de la Constitution ». A partir de cette prémisse la Cour constitutionnelle a procédé à plusieurs interventions normatives afin d’encadrer le déroulement des référendums abrogatifs. C’est ainsi que l’interdiction d’abroger les lois reliées aux lois fiscales et budgétaires, d’amnistie et de remise de peine, et d’autorisation de ratifier les traités internationaux a été considérée comme sous-entendue par les dispositions constitutionnelles.

Les juges constitutionnels ont également décidé d’exclure du champ d’application du référendum l’ensemble des dispositions dont la « force normative » est supérieure à celle des lois ordinaires. Cette catégorie est composée de la Constitution, des lois de révision constitutionnelle et des lois constitutionnelles ainsi que des actes législatifs dotés d’une force passive particulière. En effet le droit constitutionnel italien distingue la force active d’une norme de sa force passive. Cela signifie qu’une loi ordinaire dotée d’une force passive particulière ne peut être abrogée par une loi ordinaire, tout en conservant dans l’échelle des normes le rang attribué à une loi ordinaire, rang qui est attaché à sa force active.

Une troisième catégorie a été exclue du champ d’application du référendum abrogatif : les lois à contenu constitutionnellement déterminé. Il s’agit des lois dont le noyau normatif ne peut être supprimé ou modifié sans qu’il en résulte une lésion des dispositions constitutionnelles qu’elles mettent en œuvre. Cette situation se rencontre, par exemple, lorsque l’on désire abroger une loi qui se trouve être l’unique disposition appliquant une norme constitutionnelle. Dans un tel cas l’abrogation de la loi entraînerait la suppression des effets juridiques d’une norme constitutionnelle, ce qui constituerait une « régression » normative incompatible avec le respect de la volonté du peuple constituant. Cette action ressortit à la compétence du législateur positif, le Parlement, sous le contrôle du juge constitutionnel qui peut alors exiger l’intervention du pouvoir constituant pour opérer cette modification si elle affecte de manière substantielle l’application de la Loi fondamentale.

Il faut enfin souligner que l’abrogation de tout ou partie des lois électorales, sans être expressément interdite par la Cour constitutionnelle, a fait l’objet, dans un premier temps, d’une exclusion prolongée, puis, dans un second temps, a été soumise à des conditions restrictives. Ces conditions ne concernent pas uniquement l’objet des référendums, elles s’appliquent également à la formulation des questions soumises aux électeurs.

3.2 Les conditions de forme des questions soumises aux électeurs

L’instauration de conditions de forme pour les questions référendaires provient de la nécessité d’éviter toute ambiguïté sur la signification du texte soumis aux électeurs. La Cour constitutionnelle avait souhaité que ce contrôle soit opéré de manière préventive dès le début de la procédure mais, en l’absence de telles dispositions législatives, elle l’a réalisé au moment du contrôle d’admissibilité.

La raison d’être de ce contrôle est de garantir un vote conscient des électeurs. Pour cela il est indispensable que la demande de référendum soit formulée avec clarté. La clarté de la question nécessitant, selon les contextes normatifs, que les conditions d’univocité et l’homogénéité de la demande soient également satisfaites. Il faut toutefois remarquer que ces conditions jouent un rôle spécifique dans le contrôle d’admissibilité. En effet, la Cour constitutionnelle répugne parfois à s’opposer à l’admissibilité d’une demande relative à un problème politiquement délicat en prenant position sur une question de fond. L’exemple caractéristique provient du contentieux de l’admissibilité des demandes de référendum visant l’abrogation de dispositions des lois électorales. Dans ce cadre les juges constitutionnels ont préféré, dans un premier temps, motiver leurs décisions d’inadmissibilité par la violation des conditions de forme imposées à la question référendaire. Cela a permis à la Cour constitutionnelle de ne pas se lier par un choix, pour ou contre l’admissibilité de ce type de demande, qui aurait été difficile à remettre en cause par la suite, et lui aurait fait adopter une position plus politique que juridique.

Par conséquent les conditions de forme sont utilisées non seulement pour préserver le bon fonctionnement de l’institution référendaire, mais également pour éviter de se prononcer sur des questions politiquement sensibles. Toutefois l’exigence de clarté ne doit pas seulement être respectée par la formulation de la question, elle concerne également la finalité poursuivie par l’abrogation référendaire qui ne doit pas induire les électeurs en erreur.

3.3 L’examen de la finalité poursuivie par l’abrogation référendaire

Parmi les éléments qui permettent de caractériser une norme juridique, il en est qui s’apprécient à partir d’une analyse lexicale ou sémantique alors que d’autres nécessitent en plus la mise en œuvre de relations permettant d’établir des comparaisons. C’est précisément ce que requiert l’examen de la finalité poursuivie par l’abrogation référendaire. En effet, dans ce cas, il ne s’agit pas uniquement de décrire le but recherché par la demande de référendum en se référant au contenu de la demande. Il s’avère également indispensable de comparer la finalité « apparente » avec l’effet normatif obtenu en cas de réalisation de l’abrogation.

Cette opération débouche sur la mise en évidence de situations normatives « pathologiques » car ne correspondant pas à l’effet normatif poursuivi par la demande de référendum. Ces situations peuvent être classées en trois catégories selon le type de contradiction relevé : en premier lieu, un effet normatif direct différent de celui allégué par la demande ; en second lieu, une modification de l’environnement normatif résiduel, après la survenance de l’abrogation, qui s’avère différente de l’effet normatif prévu par la demande ; enfin un effet normatif qui n’est pas simplement abrogatif mais débouche sur une construction normative nouvelle.

La première catégorie comprend les demandes qui ne revêtent pas une signification suffisamment claire car les moyens normatifs utilisés, les dispositions dont la suppression est recherchée, ne correspondent pas au but avancé par la demande référendaire. Il s’agit d’une incohérence interne de la demande proposée aux électeurs qui entraîne son inadmissibilité. Peuvent être également rattachées à cette catégorie les demandes d’abrogation de lois électorales qui déboucheraient, en cas d’issue favorable du référendum, sur une réglementation qui ne permettrait pas le déroulement des consultations électorales, par exemple en interdisant la désignation de la totalité des membres du Parlement. En acceptant le déroulement de ces référendums, la Cour constitutionnelle donnerait son aval à des interventions normatives qui, à partir d’une allégation de modification abrogative de la législation, paralyseraient en fait le fonctionnement d’organes constitutionnels essentiels tels que le Parlement.

La deuxième catégorie rassemble les demandes qui apparaissent incohérentes en raison des normes, portant sur un objet analogue à celles dont l’abrogation est recherchée, qui ne sont pas touchées par la demande de référendum abrogatif. Cette incohérence externe affecte la clarté de la demande car elle jette le doute sur l’intention réelle des promoteurs du référendum qui ne demandent pas l’abrogation de l’ensemble des normes produisant l’effet qu’ils souhaitent éliminer du système juridique national.

Enfin la troisième et dernière catégorie résulte d’une orientation de la jurisprudence qui, après avoir toléré le déroulement de référendums « manipulatifs », a choisi d’interdire cette dénaturation de l’institution référendaire. Dans un premier temps la Cour constitutionnelle avait accepté, de manière implicite, que l’utilisation de la technique abrogative puisse parvenir à la création d’une nouvelle réglementation. Il suffit pour cela de supprimer certains termes isolés au sein d’une phrase pour transformer un texte et obtenir une norme juridique complètement différente. Techniquement, sur le plan lexical, il s’agit bien d’une abrogation, mais sur le plan sémantique il ne s’agit plus simplement de la suppression d’un élément mais de l’adjonction d’une nouvelle signification. Les juges constitutionnels avaient accepté le recours à cette technique manipulative car c’était le seul moyen d’obtenir une modification de la loi électorale qui était refusée par le Parlement. Cette situation provoquait des crises gouvernementales successives et l’élaboration d’une nouvelle loi électorale était bloquée par le clientélisme dominant associé à la multiplication des partis résultant de l’utilisation du scrutin proportionnel. Une fois la loi électorale modifiée en 1993, au moyen d’un référendum abrogatif d’initiative populaire, la Cour constitutionnelle s’est ensuite opposée à l’afflux de demandes de référendum à finalité manipulative car l’institution référendaire aurait alors été dénaturée. L’introduction du scrutin majoritaire dans les élections législatives avait provoqué le choc escompté et il était nécessaire de revenir à un usage raisonnable du référendum d’initiative populaire.

Par cette jurisprudence audacieuse, la Cour constitutionnelle a su maîtriser l’usage abusif du référendum abrogatif d’initiative populaire. Pour autant, les promoteurs des demandes n’ont pas nécessairement perçu le danger qui résidait dans le recours répété à l’institution référendaire. Le manque de discernement dans l’usage du référendum a conduit les électeurs à se désintéresser des consultations référendaires.

4 La désaffection des électeurs

L’utilisation du référendum est perçue en France comme la remise en cause d’un équilibre institutionnel qui repose sur l’attribution d’une légitimité par le recours au suffrage universel. Pourtant l’expérience italienne ne révèle aucun effet pervers de cette nature. Tout au contraire l’utilisation trop fréquente du référendum abrogatif d’initiative populaire a conduit à une désaffection des électeurs qui a empêché à plusieurs reprises l’intervention de l’abrogation référendaire.

Les constituants italiens ont pris soin de rédiger l’article 75 alinéa 3 de la Constitution de la manière suivante : « La proposition soumise au référendum est approuvée si la majorité des électeurs a participé au vote, et si la majorité des suffrages exprimés favorablement a été atteinte. » La nécessité de la participation de la majorité des électeurs pour valider le résultat favorable de la consultation référendaire n’autorise pas une minorité agissante à contrôler l’utilisation du référendum abrogatif d’initiative populaire. Cette minorité peut tout au plus proposer régulièrement des demandes de référendum mais elle ne peut obtenir la réalisation de l’abrogation si les électeurs se désintéressent de la question posée.

L’évolution de la participation aux référendums abrogatifs d’initiative populaire est illustrée par le tableau suivant qui regroupe les résultats de l’ensemble des consultations entre 1974 et 2000. Les taux de participation en rouge indiquent les référendums qui n’ont pas obtenu le quorum nécessaire pour valider l’abrogation.

Date Objet Votants Oui Non
12 mai 1974 Divorce 87,7% 40,7% 59,3%
11 juin 1978 Loi " Reale " sur l’ordre public 81,2% 23,5% 76,5%
11 juin 1978 Financement public des partis 81,2% 43,6% 56,4%
17 mai 1981 Loi contre le terrorisme 79,4% 14,9% 85,1%
17 mai 1981 Peine de prison à perpétuité 79,4% 22,6% 77,4%
17 mai 1981 Port d’armes 79,4% 14,1% 85,9%
17 mai 1981 Avortement (Parti Radical) 79,4% 11,6% 88,4%
17 mai 1981 Avortement (Mouvement pour la vie) 79,4% 32,0% 68,0%
9 juin 1985 Echelle mobile des indices de rémunération 77,9% 45,7% 54,3%
8 novembre 1987 Responsabilité civile des juges 65,1% 80,2% 19,8%
8 novembre 1987 Commission parlementaire d’enquête 65,1% 85,0% 15,0%
8 novembre 1987 Localisation des centrales nucléaires 65,1% 80,6% 19,4%
8 novembre 1987 Taxes locales pour financer la construction de centrales nucléaires 65,1% 79,7% 20,3%
8 novembre 1987 Participation de l’" Entreprise nationale pour l’énergie électrique " (ENEL) à des constructions de centrales nucléaires à l’étranger 65,1% 71,9% 28,1%
3 juin 1990 Réglementation de la chasse 43,4% 92,2% 7,8%
3 juin 1990 Droit des chasseurs de pénétrer dans les propriétés privées 42,9% 92,3% 7,7%
3 juin 1990 Utilisation des pesticides 43,1% 93,5% 6,5%
3 juin 1991 Réduction des possibilités de choix sur les listes lors des élections à la Chambre des députés 62,4% 95,6% 4,4%
18 avril 1993 Compétence des " Unités médicales locales " en matière de protection de l’environnement 76,9% 82,5% 17,5%
18 avril 1993 Législation sur les drogues 77,0% 55,3% 44,7%
18 avril 1993 Financement public des partis 77,0% 90,3% 9,7%
18 avril 1993 Nomination dans les banques 77,0% 89,0% 11,0%
18 avril 1993 Suppression du ministère des Participations de l’Etat 76,9% 90,1% 9,9%
18 avril 1993 Modification de la loi électorale pour le Sénat 77,1% 82,7% 17,3%
18 avril 1993 Suppression du ministère de l’Agriculture 77,0% 70,1% 29,1%
18 avril 1993 Suppression du ministère du Tourisme et des spectacles 76,9% 82,2% 17,8%
11 juin 1995 Représentation syndicale (sans limites) 56,9% 50,0% 50,0%
11 juin 1995 Représentation syndicale (avec limites) 56,9% 62,1% 37,9%
11 juin 1995 Contrats dans le secteur des emplois publics 56,9% 64,7% 35,3%
11 juin 1995 Détention préventive 57,0% 63,7% 36,3%
11 juin 1995 Privatisation de la RAI 57,2% 54,9% 45,1%
11 juin 1995 Licences commerciales 57,0% 35,6% 64,4%
11 juin 1995 Versement des cotisations syndicales au moyen de retenues sur le salaire et sur les indemnités versées par les organismes de prévoyance 57,1% 56,2% 43,8%
11 juin 1995 Loi électorale pour les communes de plus de 15 mille habitants 57,1% 49,4% 50,6%
11 juin 1995 Horaires des commerces 57,1% 37,5% 62,5%
11 juin 1995 Concessions des télévisions nationales 57,9% 43,0% 57,0%
11 juin 1995 Coupures publicitaires des programmes de télévision 57,9% 44,3% 55,7%
11 juin 1995 Attribution des annonces publicitaires à la radio et à la télévision 57,8% 43,6% 56,4%
15 juin 1997 Abolition de la clause " Golden Share " 30,2% 74,1% 25,9%
15 juin 1997 Objection de conscience 30,3% 71,7% 28,3%
15 juin 1997 Libre accès des chasseurs aux propriétés privées 30,2% 80,9% 19,1%
15 juin 1997 Carrière des magistrats 30,2% 83,6% 16,4%
15 juin 1997 Abolition de l’ordre des journalistes 30,0% 65,5% 34,5%
15 juin 1997 Charges extra-judiciaires des magistrats 30,2% 85,6% 14,4%
15 juin 1997 Suppression du ministère pour les Politiques agricoles 30,1% 66,9% 33,1%
18 avril 1999 Suppression du scrutin proportionnel de liste pour l’attribution de 25% des sièges à la Chambre des Députés 49,6% 91,1% 8,9%
21 mai 2000 Charges extra-judiciaires des magistrats 32,0% 75,2% 24,8%
21 mai 2000 Remboursement des dépenses électorales 32,2% 71,1% 28,9%
21 mai 2000 Suppression du scrutin proportionnel de liste pour l’attribution de 25% des sièges à la Chambre des Députés 32,4% 82,0% 18,0%
21 mai 2000 Elections au Conseil supérieur de la Magistrature 31,9% 70,6% 29,4%
21 mai 2000 Licenciement 32,5% 33,4% 66,6%
21 mai 2000 Versement des cotisations syndicales au moyen de retenues sur les indemnités versées par les organismes de prévoyance 32,2% 61,8% 38,2%
21 mai 2000 Séparation des carrières des magistrats du Siège et du Parquet 32,0% 69,0% 31,0%

La participation varie selon les dates de consultation mais dépend assez peu de la question posée pour une même consultation portant sur plusieurs demandes d’abrogation.

Il semble que l’on observe un effet de seuil qui repose conjointement sur la multiplication des convocations des électeurs (il faut en effet ajouter les autres dates du calendrier électoral) ainsi que sur le manque d’intérêt soulevé par les questions posées. Cet intérêt est manifestement érodé par le recours répété à l’institution référendaire, l’importance des questions ne suffisant pas à contrebalancer l’indifférence des électeurs. L’exemple en est fourni par le référendum de 1999 qui a manqué de très peu (49,6%) le quorum de participation exigé alors qu’une forte majorité en faveur de l’abrogation s’était exprimée (91,1%). Une année plus tard, une question identique a recueilli une participation très faible (32,4%) alors qu’il s’agissait d’une question qui avait un impact important sur la vie politique italienne.

Il faut par conséquent admettre que le recours au référendum d’initiative populaire doit s’accompagner de l’élaboration d’une « culture référendaire ». Cette approche ne peut se développer que dans la durée et dans le respect du rythme d’une démocratie constitutionnelle. C’est un nouveau sujet de réflexion auquel les promoteurs des demandes doivent s’attacher s’ils veulent réhabiliter l’institution référendaire.

* * *

Les apports de l’expérience italienne en matière de référendum, même sous la forme de l’initiative populaire, sont loin de corroborer les craintes exprimées par la classe politique française. C’est même l’absence de culture du référendum dans la République française qui fait craindre le détournement des rares consultations qui peuvent alors être utilisées comme des votes de confiance ou de défiance.

Les résultats obtenus par l’institution référendaire en Italie devraient pourtant rassurer les protagonistes de la vie politique française car ils démontrent l’existence de facteurs de régulation qui empêchent un usage abusif du référendum. La mise en place d’une telle institution n’entraîne pas un recul de l’influence du Parlement qui est au contraire incité à améliorer la qualité de sa production normative. Il ne faut cependant pas ignorer le rôle essentiel joué en la matière par le cadre constitutionnel ainsi que par le contrôle d’admissibilité des demandes réalisé par la juridiction constitutionnelle. Sur ce point nos institutions demeurent rudimentaires et de nombreuses pistes de réflexion s’offrent pour instiller des respirations démocratiques dans le régime de la Ve République afin de lui conférer les caractéristiques d’une véritable démocratie constitutionnelle.

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Citation : Roland RICCI, La pratique référendaire dans les démocraties constitutionnelles : le référendum abrogatif d’initiative populaire en Italie , 1er octobre 2001, http://www.rajf.org/spip.php?article64

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