Conseil d’Etat, 5 avril 2002, n° 219829, M. E.

Une entreprise qui a pour activité la création d’oeuvres audiovisuelles destinées à être diffusées dans le public doit être regardée comme une entreprise de communication pour l’application combinée des dispositions de l’article L. 761-2 et R. 761-3 du Code électoral, de l’article 93 de la loi du 29 juillet 1982 et 2 de la loi du 30 septembre 1986, alors même qu’elle n’assure pas directement cette diffusion.

CONSEIL DETAT

Statuant au contentieux

N° 219829

M. E.

Mlle Vialettes, Rapporteur

M. Lamy, Commissaire du gouvernement

Séance du 15 mars 2002

Lecture du 5 avril 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux Section du contentieux, 6ème et 4ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux

Vu la requête, enregistrée le 7 avril 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par M. Stéphane E. ; M. E. demande que le Conseil d’Etat :

1°) annule pour excès de pouvoir la décision du 7 janvier 2000 par laquelle la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels a confirmé la décision de la commission du premier degré du 22 juillet 1999 lui refusant la carte de journaliste professionnel au titre de l’année 1999 ;

2°) enjoigne à la commission de lui accorder cette carte ;

3°) condamne l’Etat à lui verser 20 000 F de dommages et intérêts ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail et notamment son article L. 761-2 ;

Vu la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 ;

Vu la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Vialettes, Auditeur,
- les conclusions de M. Lamy, Commissaire du gouvernement ;

Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision de la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels ;

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 761-2 du code du travail : "Le journaliste professionnel est celui qui a pour occupation principale, régulière et rétribuée l’exercice de sa profession dans une ou plusieurs publications quotidiennes ou périodiques ou dans une ou plusieurs agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources" ; qu’en vertu de l’article R. 761-3 du même code, la carte d’identité professionnelle des journalistes "ne peut être délivrée qu’aux personnes répondant aux conditions fixées par l’article L. 761-2" ;

Considérant, en deuxième lieu, que l’article 93 de la loi du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle prévoit que : "Les journalistes exerçant leur profession dans une ou plusieurs entreprises de communication audiovisuelle ont la qualité de journalistes au même titre que leurs confrères de la presse écrite. Les articles L. 761-1 à L. 761-6, L. 796-1 ainsi que les dispositions du titre III du livre 1er du code du travail leur sont applicables" ; que selon le deuxième alinéa de l’article 2 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, "la communication audiovisuelle consiste en la mise à disposition du public ou de catégories de public, par un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature qui n’ont pas le caractère d’une correspondance privée" ;

Considérant que, pour refuser d’accorder à M. E. le renouvellement de sa carte de journaliste professionnel pour l’année 1999, la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels s’est fondée sur le fait que la société "Ego Productions", pour laquelle il travaillait principalement, ne pouvait être tenue ni pour une agence de presse ni pour une entreprise de communication audiovisuelle au sens des dispositions précitées de la loi du 30 septembre 1986 ; qu’elle a entendu se fonder à cet égard sur ce que la société n’assurait pas directement la diffusion dans le public de ses produits ;

Considérant qu’une entreprise qui a pour activité la création d’oeuvres audiovisuelles destinées à être diffusées dans le public doit être regardée comme une entreprise de communication pour l’application combinée des dispositions précitées, alors même qu’elle n’assure pas directement cette diffusion ;

Considérant, dès lors, que le motif sur lequel la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels s’est fondée est entaché d’une erreur de droit ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. E. est fondé à demander l’annulation de la décision du 7 janvier 2000 de la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels ;

Sur les conclusions tendant à ce que le Conseil d’Etat enjoigne à la commission supérieure de la carte d’identité des iournalistes professionnels de renouveler la carte de M. E. au titre de l’année 1999 ;

Considérant qu’aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : "Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution"

Considérant que si la présente décision a pour effet de saisir à nouveau la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels de la demande de M. E., et s’il appartient à cette commission de rechercher si les conditions dans lesquelles M. E. exerçait son activité au sein de la société "Ego Productions" et la nature des travaux auxquels il collaborait correspondaient aux conditions posées par l’article L. 761-2 du code du travail, en revanche, l’exécution de la présente décision n’implique pas nécessairement que cet organisme fasse droit à cette demande ; que, par suite, les conclusions susanalysées doivent être rejetées ;

Sur les conclusions indemnitaires :

Considérant qu’aux termes de l’article R. 432-1 du code de justice administrative : "La requête et les mémoires des parties doivent, à peine d’irrecevabilité, être présentés par un avocat au Conseil d’Etat" ; qu’en vertu de l’article R. 432-2 du même code, la requête peut être signée par la partie intéressée ou par son mandataire lorsque des lois spéciales ont dispensé du ministère d’avocat : que M. E. demande la réparation du préjudice que lui aurait causé le refus de la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels de lui accorder le renouvellement de sa carte au titre de l’année 1999 ; qu’aucun texte spécial ne dispense une telle requête du ministère d’un avocat au Conseil d’Etat ; que faute pour M. E. d’avoir répondu à l’invitation qui lui a été faite de recourir à ce ministère et de régulariser ainsi les conclusions susanalysées, celles-ci, présentées sans le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat, ne sont pas recevables ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 7 janvier 2000 de la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels est annulée.

Article 2 : Le surplus de la requête de M. E. est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Stéphane E., à la commission supérieure de la carte d’identité des journalistes professionnels et au Premier ministre.

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