Conseil d’Etat, 25 mars 2002, n° 224221, Mme T.

En prévoyant que le chef de l’établissement d’enseignement "en cas de difficulté grave dans le fonctionnement d’un établissement, peut prendre toute disposition nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du service public", ces dispositions n’autorisent pas le chef d’établissement à décider de sanctions à l’égard des personnels enseignants ou à prendre à leur encontre des mesures qui impliqueraient qu’ils soient préalablement mis à même de demander la communication de leur dossier. Par suite, elles ne méconnaissent pas le principe constitutionnel du respect des droits de la défense.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

Nos 224221,233719

Mme T.

Mme Picard, Rapporteur

Mme Roul, Commissaire du gouvernement

Séance du 15 février 2002

Lecture du 25 mars 2002

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 4ème et 6ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 4ème sous-section de la Section du contentieux

Vu 1°), sous le n° 224221, la requête enregistrée le 16 août 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Irêne T. ; Mme T. demande au Conseil d’Etat d’annuler l’article 7 de l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 en tant qu’il abroge les lois des 27 février 1880 et du 22 février 1927 ainsi que les articles L. 421-3 et L. 951-4 du code de l’éducation annexé à ladite ordonnance ;

Vu 2°), sous le n° 233719, la requête enregistrée le 23 avril 2001 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentée par Mme Irêne T. ; Mme T. demande au Conseil d’Etat d’annuler pour excès de pouvoir la décision en date du 23 février 2001 par laquelle le ministre de l’éducation nationale a rejeté sa demande tendant, d’une part, à l’annulation de l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l’éducation, en tant qu’elle abroge les lois du 27 février 1880 et du 22 février 1927 et codifie les dispositions de l’article 15-7 de la loi du 22 juillet 1983 à l’article L. 421-3 et de l’article 15 de la loi du 27 février 1880 à l’article L. 951-4 et, d’autre part, à l’abrogation de ces mêmes dispositions ainsi que de l’article 4 du décret du 29 juillet 1921 ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu, enregistrée le 25 février 2002 la note en délibéré présentée par Mme T. ;

Vu la Constitution et notamment son article 38 ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 85-1469 du 31 décembre 1985 ;

Vu la loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Picard, Maître des Requêtes,
- les conclusions de Mme Roul, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que les requêtes enregistrées sous les n°s 224221 et 233719 sont relatives aux mêmes actes et ont fait l’objet d’une instruction commune ; qu’il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule décision ;

Sans qu’il soit besoin d’examiner la recevabilité des requêtes :

Sur la requête n° 224221 :

Sur les conclusions dirigées contre l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 :

Sur la légalité externe :

Considérant qu’aux termes de l’article 38 de la Constitution : "Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi./ Les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d’Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n’est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d’habilitation" ; qu’aux termes du premier alinéa de l’article 13 de la Constitution : "Le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres" ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1er de la loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 : "Dans les conditions prévues à l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement est autorisé à procéder, par ordonnances à l’adoption de la partie législative des codes suivants : (...) 2° code de l’éducation" ; que l’article 2 de la même loi dispose : "Les ordonnances prévues à l’article 1er devront être prises dans les délais suivants : a) dans les six mois suivant la publication de la présente loi pour les codes mentionnés aux 1er, 20 et 30 de l’article 1er ; (...) Pour chaque ordonnance, un projet de loi de ratification devra être déposé devant le Parlement dans un délai de deux mois à compter de sa publication (...)" ;

Considérant que dans le cadre de cette habilitation est intervenue notamment l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 relative à la partie législative du code de l’éducation, qui a été publiée au Journal officiel du 22juillet 2000 et pour laquelle un projet de loi de ratification a été déposé devant le Sénat le 27 juillet 2000 ;

Considérant que l’ordonnance attaquée, prise après avis du Conseil d’Etat, en Conseil des ministres et signée par le Président de la République, est intervenue dans les délais fixés par le législateur ; que, par suite, Mme T. n’est pas fondée à soutenir que l’ordonnance contestée serait intervenue sur une procédure irrégulière ni qu’elle aurait été signée par une autorité incompétente ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne l’article 7 de l’ordonnance attaquée en tant qu’il abroge les lois du 27 février 1880 relative au conseil supérieur de l’instruction publique et des conseils académiques et du 22 février 1927 relative au déplacement d’office du personnel enseinnant et surveillant de l’enseignement secondaire public :

Considérant qu’aux termes du quatrième alinéa de l’article 1er de la loi du 16 décembre 1999 : "Les dispositions codifiées sont celles en vigueur au moment de la publication des ordonnances, sous la seule réserve des modifications qui seraient rendues nécessaires pour assurer le respect de la hiérarchie des normes et la cohérence rédactionnelle des textes ainsi rassemblés et harmoniser l’état du droit" ;

Considérant, d’une part, que le titre 1er de la loi du 27 février i 880 a été abrogé par l’article 36 de la loi n° 46-1084 du 18 mai 1946 relative au conseil supérieur de l’éducation nationale et aux conseils d’enseignement ; que les dispositions de l’article 10 de la loi du 31 décembre 1985, aux termes desquelles : "cesseront d’avoir effet à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi toutes dispositions qui lui sont contraires" ont eu pour effet, ainsi d’ailleurs que le confirme le 20 du même article selon lequel "... à l’expiration du délai prévu au premier alinéa du présent article (...) les conseil académiques institués par la loi du 27 février 1880 précitée sont supprimés", d’abroger les dispositions des articles 9 à 12 du titre II de la loi du 27 février 1880 relatifs aux conseils académiques ; qu’enfin les articles 13, 14 et 15 (deuxième phrase) de la loi du 27 février 1880 prévoyant des mesures de réprimande, de censure, de mutation pour emploi inférieur et de suspension ont été implicitement abrogés du fait de l’entrée en vigueur, d’une part, des dispositions relatives au régime disciplinaire du statut général des fonctionnaires, applicables aux enseignants des enseignements primaire et secondaire et, d’autre part, des dispositions de l’article 29-I de la loi du 26 janvier 1984 qui définit les sanctions applicables aux enseignants-chercheurs et aux membres des corps des personnels enseignants de l’enseignement supérieur ; qu’ainsi l’ensemble des ces dispositions ayant été explicitement ou implicitement abrogées, l’ordonnance attaquée a pu légalement constater cette abrogation ; que par ailleurs la première phrase de l’article 15 de la loi du 27 février 1880 ayant été codifiée à l’article L. 951-4 du code de l’éducation s’agissant des personnels enseignants de l’enseignement supérieur, l’article 7 de l’ordonnance attaquée a pu en prévoir l’abrogation ;

Considérant, d’autre part, que les dispositions de la loi du 22 février 1927 relative au déplacement d’office du personnel enseignant et surveillant de l’enseignement secondaire public sont contraires aux dispositions statutaires de la fonction publique de l’Etat qui leur sont applicables, et notamment celles relatives à la mutation dans l’intérêt du service et aux sanctions disciplinaires fixées par l’article 66 de la loi du 11 janvier 1984 et par l’article 29-I de la loi du 26 janvier 1984 pour les personnels de l’enseignement supérieur ; qu’elles doivent par suite dorénavant être regardées comme ayant été implicitement mais nécessairement abrogées par ces dispositions qui leur sont postérieures ; que, dès lors, l’ordonnance attaquée a pu légalement tirer les conséquences de cette constatation en abrogeant la loi du 22 février 1927 ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le Gouvernement n’a pas, en abrogeant par l’article 7 de l’ordonnance attaquée la loi du 27 février 1880 et celle du 22 février 1927, méconnu les dispositions ci-dessus rappelées de la loi du 16 décembre 1999 ;

En ce qui concerne les articles L. 951-4 et L. 421-3 du code de l’éducation annexé à l’ordonnance attaquée :

Considérant qu’aux termes de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 : "En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline" ;

Considérant, d’une part, que la première phrase de l’article 15 de la loi du 27 février 1880, qui dispose que le ministre peut prononcer la suspension pour un temps qui n’excédera pas un an, sans privation de traitement, est resté en vigueur pour les membres de l’enseignement supérieur, nonobstant l’intervention de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983, dès lors que le champ d’application de ce dernier texte ne s’étend pas aux membres de l’enseignement supérieur ; qu’en codifiant cette première phrase de l’article 15 de la loi du 27 février 1880 à l’article L. 951-4, l’ordonnance attaquée n’a pas méconnu le principe de la codification à droit constant ; que, par suite, la requérante n’est pas fondée à demander l’annulation de cet article en soutenant qu’il méconnaît les dispositions de l’article 30 de la loi du 13juillet 1983

Considérant que la mesure de suspension que peut prendre, dans l’intérêt du service, le ministre chargé de l’enseignement supérieur sur le fondement des dispositions codifiées à l’article L. 951-4 présentant un caractère conservatoire et ne constituant pas une sanction disciplinaire, la requérante n’est en tout état de cause pas fondée à invoquer à l’encontre de cet article une méconnaissance du principe des droits de la défense ; que les membres de l’enseignement supérieur ne se trouvant pas dans la même situation que les membres de l’enseignement secondaire, le principe d’égalité ne peut davantage être invoqué ;

Considérant, dès lors, que l’ordonnance attaquée a pu légalement codifier à l’article L. 951-4 du code de l’éducation les dispositions de la première phrase du l’article 15 de la loi du 27 février 1880 ;

Considérant, d’autre part, que par l’article L. 421-3 du code de l’éducation, l’ordonnance attaquée s’est bornée à codifier le premier alinéa de l’article 15 de la loi du 11 juillet 1975 et l’article 15-7 de la loi du 22 juillet 1983 complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat ; qu’en prévoyant que le chef de l’établissement d’enseignement "en cas de difficulté grave dans le fonctionnement d’un établissement, peut prendre toute disposition nécessaire pour assurer le bon fonctionnement du service public", ces dispositions n’autorisent pas le chef d’établissement à décider de sanctions à l’égard des personnels enseignants ou à prendre à leur encontre des mesures qui impliqueraient qu’ils soient préalablement mis à même de demander la communication de leur dossier ; que, par suite, elles ne méconnaissent pas le principe constitutionnel du respect des droits de la défense ;

Considérant que le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que Mme T. n’est pas fondée à demander l’annulation des articles L. 951-4 et L. 421-3 du code annexé à l’ordonnance attaquée ;

Sur les conclusions dirigées contre le décret du 29 juillet 1921 :

Considérant que ce décret a été publié au Journal officiel du 3 août 1921 ; que, dès lors, les conclusions de la requête tendant à l’annulation de ces dispositions sont tardives et, par suite, irrecevables ;

Sur la requête n° 233719 :

Considérant que par cette requête Mme T. demande au Conseil d’Etat d’annuler la décision résultant du silence gardé par le Président de la République et le Premier ministre sur sa demande tendant à l’abrogation respectivement de l’ordonnance n° 2000-549 du 15 juin 2000 et de l’article 4 du décret du 29juillet 1921 ;

Considérant, en premier lieu, que pour contester le refus d’abroger l’ordonnance du 15 juin 2000 Mme T. soutient les mêmes moyens que ceux présentés à l’appui de sa requête n° 224221 tendant à l’annulation de cette ordonnance ; que, pour les motifs exposés ci-dessus, ces moyens doivent être écartés ;

Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article 4 du décret du 29 juillet 1921 : "Lorsque l’inspecteur d’académie estime, sur le vu d’une attestation médicale ou sur un rapport des supérieurs hiérarchiques d’un fonctionnaire que celui-ci, par son état physique ou mental, fait courir aux enfants un danger immédiat, il peut le mettre pour un mois en congé d’office avec traitement intégral. Pendant ce délai, il réunit la commission prévue à l’article 2 en vue de provoquer son avis sur la nécessité d’un congé de plus longue durée" ;

Considérant que ces dispositions n’ont été abrogées ni par la loi du 19 octobre 1946, ni par le décret du 30 décembre 1948 ; qu’eu égard à l’objet et à la nature de la mise en congé d’office avec maintien intégral du traitement, qui est prise dans l’intérêt du service en vue de prévenir un danger immédiat auxquels peuvent être exposés les enfants, en attendant que soit examinée la nécessité de placer l’intéressé en congé de longue durée, et qui n’a pas le caractère d’une sanction disciplinaire, ces dispositions ont pu légalement prévoir que cette mesure n’avait pas à être précédée d’une procédure contradictoire ; qu’ainsi Mme T. n’est pas fondée à soutenir que l’article 4 du décret du 29 juillet 1921 est entaché d’illégalité ;

Considérant qu’il suit de là que Mme T. n’est pas fondée à demander l’annulation du refus d’abroger l’ensemble de ces dispositions ;

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes de Mme T. sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme Irène T., au Premier ministre, au ministre de l’éducation nationale, au ministre délégué à l’enseignement professionnel, au ministre de la jeunesse et des sports et au secrétaire d’Etat à l’outre-mer.

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