Les dispositions de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public sont applicables à toute décision administrative qui doit être motivée en vertu d’un texte législatif ou réglementaire ou d’une règle générale de procédure administrative. Il en va ainsi des décisions relevant de l’article 27 du Code civil en matière de réintégration au sein de la nationalité française.
CONSEIL D’ETAT
Statuant au contentieux
N°s 204761 204889
MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE
c/ Mme Farida D.
Mme de Margerie, Rapporteur
Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement
Séance du 14 novembre 2001
Lecture du 14 décembre 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d’Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)
Vu les recours, enregistrés le 16 février 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, du MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE ; le MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE demande au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt du 17 décembre 1998 par lequel la cour administrative d’appel de Nantes a annulé l’ordonnance du 3 février 1998 par laquelle le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté la requête de Mme Farida D. tendant à obtenir l’annulation d’une décision implicite de rejet de sa demande de réintégration dans la nationalité française ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code civil ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, modifiée ;
Vu le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
le rapport de Mme de Margerie, Maître des Requêtes,
les observations de la SCP Tiffreau, avocat de Mme D.,
les conclusions de Mme Prada Bordenave, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les recours du MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE sont dirigés contre le même arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes ; qu’il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Considérant, d’une part, qu’aux termes de l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, alors en vigueur : ".. le silence gardé pendant plus de quatre mois sur une réclamation par l’autorité compétente vaut décision de rejet.." ; qu’aux termes de l’article 27 du code civil : "Toute décision déclarant irrecevable, ajournant ou rejetant une demande de naturalisation ou de réintégration par décret.. doit être motivée" ; que ces dernières dispositions ne font pas obstacle à ce qu’une décision implicite de rejet soit acquise par l’effet des dispositions précitées de l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ; que, par suite, la cour administrative d’appel de Nantes a pu légalement juger que le ministre chargé des naturalisations, qui n’avait pas répondu à la demande de réintégration dans la nationalité française présentée par Mme D. au plus tard le 2 décembre 1996, devait être regardé comme ayant implicitement rejeté cette demande à l’expiration d’un délai de quatre mois commençant à courir à l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 44 du décret du 30 septembre 1993, lequel courait lui-même à compter de la délivrance du récépissé prévu à l’article 37 du même décret ; que, dès lors, le MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE n’est pas fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant que la cour administrative d’appel a annulé l’ordonnance du président du tribunal administratif de Nantes en date du 3 février 1998 rejetant comme dépourvue d’objet et, par suite, irrecevable, la demande de Mme D. dirigée contre la décision implicite rejetant sa demande de réintégration dans la nationalité française ;
Considérant, d’autre part, qu’aux termes de l’article 5 de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l’amélioration des relations entre l’administration et le public, dont les dispositions sont applicables à toute décision administrative qui doit être motivée en vertu d’un texte législatif ou réglementaire ou d’une règle générale de procédure administrative : "Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n’est pas illégale du seul fait qu’elle n’est pas assortie de cette motivation. Toutefois, à la demande de l’intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu’à l’expiration des deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués" ;
Considérant qu’il ressort des dispositions législatives précitées que la décision de rejet née du silence gardé par le ministre chargé des naturalisations sur la demande de réintégration dans la nationalité française présentée par Mme D. n’est pas illégale du seul fait qu’elle est dépourvue d’une motivation ; qu’ainsi, en estimant qu’en matière de naturalisation, toute décision implicite de rejet est entachée d’un vice de forme en raison de l’absence de motivation, la cour administrative d’appel a commis une erreur de droit ; que, dès lors, et sans qu’il soit besoin d’examiner les autres moyens du pourvoi, le MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE est fondé à demander l’annulation de l’arrêt attaqué en tant que la cour a annulé sa décision rejetant la demande de réintégration dans la nationalité française, présentée par Mme D. ;
Considérant qu’aux termes de l’article L. 821-2 du code de justice administrative, le Conseil d’Etat, s’il prononce l’annulation d’une décision d’une juridiction administrative statuant en dernier ressort, peut "régler l’affaire au fond si l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie" ; que, dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de régler l’affaire au fond ;
Considérant qu’il ressort des propres écritures du MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE que Mme D. a déposé un dossier de demande de réintégration dans la nationalité française à la préfecture du Rhône le 2 décembre 1996 ; que le terme du délai de six mois prévu à l’article 44 du décret du 30 septembre 1993, lequel a expiré le 2 juin 1997, a marqué le point de départ du délai de quatre mois prévu à l’article R. 102 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, alors en vigueur ; qu’en l’absence de réponse du ministre, une décision implicite de rejet est née le 2 octobre 1997 ; que, toutefois, Mme D. a demandé au ministre, dans un courrier du 17 novembre 1997, adressé dans le délai du recours contentieux, de lui faire connaître les motifs de cette décision ; que ceux-ci ne lui ont pas été communiqués dans le mois suivant sa demande ; qu’ainsi, faute de comporter une motivation, ladite décision doit être regardée comme illégale au regard des dispositions de l’article 27 du code civil ; que, dès lors, Mme D. est fondée à en demander l’annulation ;
Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que le MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE a expressément rejeté la demande de Mme D. par une décision du 31 mai 1999 ; que, par suite, les conclusions de l’intéressée tendant à ce qu’il soit enjoint au ministre de se prononcer explicitement sur cette demande doivent être rejetées ;
Sur l’application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à payer la somme de 1 500 F à Mme Delli pour les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L’arrêt de la cour administrative d’appel de Nantes en date du 17 décembre 1998 est annulé en tant que la cour a annulé la décision par laquelle le ministre chargé des naturalisations a implicitement rejeté la demande de réintégration dans la nationalité française présentée par Mme D.
Article 2 : La décision par laquelle le ministre chargé des naturalisations a implicitement rejeté la demande de réintégration dans la nationalité française présentée par Mme D. est annulée.
Article 3 : L’Etat est condamné à payer à Mme D. la somme de 1 500 F.
Article 4 : Le surplus des conclusions des recours du MINISTRE DE L’EMPLOI ET DE LA SOLIDARITE est rejeté.
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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article450