Tribunal administratif de Marseille, 30 mai 2000, n° 97-5988, M. et Mme Botella et autres c/ Ministère de l’emploi et de la solidarité

Le retard mis par l’État pour adapter la réglementation de protection des salariés aux risques encourus est fautif et de nature à engager sa responsabilité dès lors qu’il lui appartient de prendre non seulement des mesures tendant à l’indemnisation des maladies d’origine professionnelle, mais toutes mesures utiles pour prévenir lesdites maladies.

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MARSEILLE

N° 97-5988

M. et Mme BOTELLA et autres
c/ Ministère de l’emploi et de la solidarité

M. COUSIN, Président-rapporteur

Mme FEDI, Commissaire du Gouvernement

Audience du 16 mai 2000

Lecture du 30 mai 2000

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Marseille,

(3ème chambre)

Vu la requête, enregistrée le 10 mars 1997 sous le N° 97-5988, présentée par Me Joissains-Masini pour M. Louis Botella, Mme Jeanne Botella, Mme Michèle Botella, M. Denis Botella, Mme Roth ;

les requérants demandent que le Tribunal condamne l’Etat à verser :

- la somme de 2.000.000 Francs à la Hoirie Botella en réparation du préjudice subi suite à la contamination de M. Jean Louis Botella par l’amiante,

- la somme de 500.000 Francs à chacun des parents,

- la somme de 200.000 Francs à chacun des frères et sueurs ;

Vu enregistré le 30 janvier 1998 le mémoire présenté par la Caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône tendant à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 238.441,73 Francs avec intérêts de droit et la somme de 5.000 Francs au titre de l’indemnité forfaitaire correspondant aux sommes qu’elle a dû verser à la suite de la maladie de M. Botella ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 ;

Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de (audience publique du 16 mai 2000

- le rapport de M.Cousin, président rapporteur ;

- les observations de Me JOISSAINS MASINI pour l’hoirie BOTELLA ;

- et les conclusions de Mme Fedi, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. et Mme Botella ainsi que leurs enfants, agissant en leur nom personnel et au nom de M. Jean-Louis Botella décédé, demandent la condamnation de l’Etat à réparer le préjudice causé par la maladie dont a été victime M.Jean-Louis Botella à la suite de l’inhalation de fibres d’amiante sur son lieu de travail pendant les années 1982 à 1996 ;

Sur la responsabilité :

Considérant que 12 décret du 17 août 1977 a fixé à 2 fibres par millilitre la valeur limite de la concentration moyenne en fibres d’amiante de l’atmosphère inhalée pendant sa journée de travail par un salarié effectuant des travaux susceptibles d’être à l’origine d’émissions de fibres d’amiante ; qu’à supposer qu’ainsi que le soutient la ministre de (emploi et de la solidarité, le dit décret ait édicté la réglementation appropriée, compte tenu des connaissances médicales de l’époque et notamment du classement, au cours de la même année, de l’amiante comme cancérigène par l’organisation mondiale de la santé, une directive européenne du 19 septembre 1983 a réduit au moins de moitié la valeur limite fixée en 1977 ; que cette valeur limite fixée par la directive n’a été transposée dans la réglementation nationale que le 27 mars 1987 ; que la directive communautaire du 25 juin 1991 qui a encore réduit la précédente valeur limite n’a été transposée que par le décret du 6 juillet 1992 ; que, par suite, eu égard à l’existence des dites directives, il ne peut être soutenu, qu’au moins pendant les périodes de septembre 1983 au 27 mars 1987, d’une part, et de juin 1991 à juillet 1992 ; d’autre part, les pouvoirs publics français n’avaient pas connaissance du risque que faisait courir aux personnes exposées le maintien de la réglementation en vigueur ; que, malgré le caractère vital dudit risque, il n’est fait état en défense, avant 1995, date à laquelle un rapport d’expertise a été commandé par l’INSERM, par le ministre du travail et des affaires sociales, d’aucune étude qui aurait été demandée aux services compétents de l’Etat ou à des autorités scientifiques dans le but de vérifier l’existence du lien de causalité entre le cancer et l’inhalation de fibres d’amiante ; qu’il en résulte qu’au moins pendant les périodes ci-dessus précisées le retard mis par l’État pour adapter la réglementation de protection des salariés aux risques encourus est fautif et de nature à engager sa responsabilité dès lors qu’il lui appartient de prendre non seulement des mesures tendant à l’indemnisation des maladies d’origine professionnelle, mais toutes mesures utiles pour prévenir lesdites maladies ;

Considérant qu’il résulte de l’instruction et notamment de l’avis rendu par le collège de trois médecins prévu par l’article D.461.6 du livre IV du code de la sécurité sociale qu’il existe " une présomption extrêmement forte que M. Botella ait été exposé à (amiante pendant son activité professionnelle " dans la société Elf Atochem à Fos-sur-Mer, Port-de-Bouc, pendant la période de 1982 à 1996 et qu’il a été atteint d’un mésothéliome diagnostiqué en avril 1996 dont il est décédé le 8 juillet 1996 ; que ledit collège a émis l’avis du caractère professionnel de la maladie compte tenu du lien très étroit entre le mésothéliome et le contact professionnel à l’amiante ; que le rapport d’expertise des effets sur la santé des principaux types d’exposition à l’amiante, établi par l’INSERM en juin 1996, confirme que la maladie dont a été atteint M. Botella est caractéristique des maladies causées par (inhalation de fibres d’amiante ; que, par suite, et sans qu’il y ait lieu d’ordonner une expertise, la ministre de l’emploi et de la solidarité ne peut sérieusement soutenir que le lien de cause à effet entre la maladie de M. Botella et exposition à amiante n’est pas établi ; que le retard fautif mis par l’Etat pour édicter des normes plus sévères quant à l’inhalation de fibres d’amiante en milieu professionnel est la cause du décès de M.Botella ; qu’il y a donc lieu de condamner l’Etat à réparer les conséquences dommageables de la maladie de M. Botella ;

Sur la réparation :

Considérant que (état du dossier ne permet pas de déterminer le montant du ,préjudice subi par M.Botella et sa famille ; que, par suite, il y a lieu, avant de statuer sur la demande d’indemnité, d’ordonner une expertise aux fins précisées ci-après ;

D E C I D E :

Article 1er : L’Etat est déclaré responsable des conséquences dommageables du décès de M. Botella.

Article 2 : Il sera, avant de statuer sur la demande d’indemnité , procédé à une expertise en vue de déterminer

- les périodes et le taux d’invalidité dont a été atteint M. Botella jusqu’à son décès ;

- les souffrances physiques endurées ;

- et donner au Tribunal tous éléments permettant de se prononcer sur les troubles endurés par M.Botella.

Article 3 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement, sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié aux consorts Botella, à la caisse primaire centrale d’assurance maladie des Bouches-du-Rhône et au ministre de l’emploi et de la solidarité.

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Adresse originale : http://www.rajf.org/spip.php?article405