Conseil d’Etat, 10 décembre 2001, n° 218331, Commune de Queven

lorsqu’un projet d’infrastructure de transports est réalisé en plusieurs tranches, l’évaluation socio-économique doit porter sur l’ensemble du projet et doit être effectuée avant la réalisation de la première tranche du projet. A l’exception des cas où, en raison du délai écoulé, des circonstances ultérieures auraient modifié les données essentielles sur lesquelles l’évaluation est fondée, ces dispositions n’imposent pas de réaliser une étude socio-économique pour chacune de ses tranches, alors même que le coût de réalisation de cette tranche est égal ou supérieur à 500 MF.

CONSEIL D’ETAT

Statuant au contentieux

N° 218331

COMMUNE DE QUEVEN

M. Mary, Rapporteur

Mme de Silva, Commissaire du gouvernement

Séance du 26 novembre 2001

Lecture du 10 décembre 2001

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés les 8 mars et 7 juin 2000 au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat, présentés pour la COMMUNE DE QUEVEN, représentée par son maire en exercice, à ce dûment habilité ; la COMMUNE DE QUEVEN demande que le Conseil d’Etat ;

1°) annule pour excès de pouvoir ;

- le décret du 13 juillet 1999 déclarant d’utilité publique les travaux de mise en conformité aux normes autoroutières de la RN 165 entre Lorient (RN 24) et Brest (échangeur de Roch Kérézen), classant cette section dans la catégorie des autoroutes, portant mise en compatibilité des plans d’occupation des sols des communes de Caudan dans le département du Morbihan, et de Quimperlé, Riec-sur-Belon, Melgven, Concarneau, Saint-Yvi, Quimper, Riec-de-l’Odet, Pont-de-Buis-Lès-Quimerc’h, Hopital-Camfrout, Loperhet et Plougastel-Daoulas, dans le département du Finistère, et retirant le caractère de route express attribué antérieurement à la RN 165 ;

- la décision implicite de rejet née du silence gardé pendant plus de quatre mois par le Premier ministre sur le recours gracieux présenté le 14 septembre 1999 qu’elle a formé et tendant au retrait dudit décret ;

2°) condamne l’Etat à lui verser la somme de 20 000 F su titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ;

Vu le code de l’urbanisme ;

Vu la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs ;

Vu le décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 ;

Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 modifié ;

Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Mary, Maître des Requêtes,

- les observations de la SCP Nicolay, de Lanouvelle, avocat de la COMMUNE DE QUEVEN,

- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;

Sur le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’évaluation socio-économique :

Considérant qu’en vertu des dispositions combinées de l’article 14 de la loi du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs et de l’article 2-3° du décret du 17 juillet 1984 pris pour son application, il incombe à l’administration, lorsqu’elle engage un projet d’infrastructure de transports dont le coût est égal ou supérieur à 500 millions de francs de procéder à une évaluation socio-économique ; qu’aux termes de l’article 3 du décret du 17 juillet 1984 : "Lorsqu’un projet est susceptible d’être réalisé par tranches successives, les conditions prévues à l’article 2 s’apprécient au regard de la totalité du projet et non de chacune de ses tranches ; l’évaluation prévue à l’article 4 doit être préalable à la réalisation de la première tranche. Dans le cas où une tranche fait l’objet d’une modification qui remet en cause l’économie générale du projet, il est procédé à une nouvelle évaluation" ; qu’aux tenues de l’article 4 du même décret, l’évaluation doit comporter : "1°) Une analyse des conditions et des coûts de construction, d’entretien, d’exploitation et de renouvellement de (infrastructure projetée ; 2°) Une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; 3°) Les motifs pour lesquels, parmi les partis envisagés par le maître d’ouvrage, le projet présenté a été retenu ; 4°) Une analyse de l’incidence de ce choix sur les équipements de transport existants ou en cours de réalisation, ainsi que sur leurs conditions d’exploitation, et un exposé sur sa compatibilité avec les schémas directeurs d’infrastructures applicables ; (...) L’évaluation (...) comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service de ces infrastructures dans les zones intéressées que des avantages et des inconvénients résultant de leur utilisation par les usagers" ;

Considérant qu’il résulte de ces dispositions, et notamment de l’article 3 du décret du 17 juillet 1984, que, lorsqu’un projet d’infrastructure de transports est réalisé en plusieurs tranches, l’évaluation socio-économique doit porter sur l’ensemble du projet et doit être effectuée avant la réalisation de la première tranche du projet ; qu’à l’exception des cas où, en raison du délai écoulé, des circonstances ultérieures auraient modifié les données essentielles sur lesquelles l’évaluation est fondée, ces dispositions n’imposent pas de réaliser une étude socio-économique pour chacune de ses tranches, alors même que le coût de réalisation de cette tranche est égal ou supérieur à 500 MF ; qu’ainsi, la commune requérante n’est pas fondée à soutenir qu’outre l’évaluation socio-économique portant sur l’ensemble du projet de mise en conformité aux normes autoroutières de la RN 165 entre Nantes et Brest, le dossier d’enquête publique aurait dû comporter une évaluation spécifique portant sur la section de la RN 165 entre Lorient et Brest ;

Considérant que, l’opération en cause portant, pour l’essentiel, sur la mise aux normes autoroutières d’une route existante à deux fois deux voies, l’évaluation socio-économique jointe au dossier de l’enquête publique a pu, sans irrégularité, se borner à indiquer que les coûts d’entretien, d’exploitation et de renouvellement ainsi que les conditions de financement du projet seraient ceux de la voie existante, et à n’indiquer les motifs du choix du maître d’ouvrage que pour la section d’autoroute franchissant la rivière « Le Scorff » près de Lorient, seule modification de la route existante pour laquelle plusieurs partis avaient été envisagés ; qu’il ressort des pièces du dossier que l’évaluation, qui rappelait que le projet s’inscrivait dans le cadre du plan routier breton adopté en 1969 et dans le cadre du schéma directeur routier national approuvé le ter avril 1992, comportait une analyse des conditions et des coûts de construction du projet, une analyse des incidences du choix du maître d’ouvrage sur les équipements existants ou en cours de réalisation et sur les conditions de leur exploitation ainsi qu’un bilan prévisionnel du projet ; qu’ainsi, la commune requérante n’est pas fondée à soutenir que l’évaluation socio-économique figurant au dossier d’enquête publique ne répondait pas aux conditions de l’article 4 du décret du 17 juillet 1984 ;

Sur le moyen tiré de l’insuffisance de l’étude d’impact :

Considérant qu’aux termes de l’article 2 du décret du 12 octobre 1977 modifié : "Le contenu de l’étude d’impact doit être en relation avec l’importance des travaux et aménagements projetés. et avec leurs incidences prévisibles sur l’environnement. L’étude d’impact présente successivement : (..) 2° Une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l’environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et paysages, le sol, l’eau, l’air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l’hygiène, la sécurité et la salubrité publique (..) 4° Les mesures envisagées par le maître de l’ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l’environnement, ainsi que l’estimation des dépenses correspondantes" ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce que soutient la commune requérante, l’étude d’impact en cause présentait de façon suffisamment détaillée l’état initial du site et de son environnement, notamment de la faune, ainsi que les effets du projet sur cette faune, sur l’eau, et sur le patrimoine architectural et archéologique ; qu’ainsi, la commune n’est pas fondée à soutenir que l’étude d’impact aurait méconnu les dispositions de l’article 2 du décret du 12 octobre 1977 modifié ;

Considérant que si, aux termes de l’article 8-1 du décret du 12 octobre 1977, dans sa rédaction issue du décret du 9 janvier 1995 pris pour l’application de la loi du 31 décembre 1992 relative à la lutte contre le bruit : "L’étude ou la notice d’impact comprise dans le dossier d’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique d’une infrastructure de transports terrestres nouvelle et d’une modification ou transformation significative d’une infrastructure existante précise au moins les hypothèses de trafic et les conditions de circulation retenues pour déterminer les nuisances sonores potentielles de l’infrastructure, les méthodes de calcul utilisées et les principes des mesures de protection contre les nuisances sonores qui seront mises en oeuvre..", l’article 2 du décret du 9 janvier 1995 précité dispose que : "Est considérée comme significative.. la modification ou la transformation d’une infrastructure existante, résultant d’une intervention ou de travaux successifs.. telle que la contribution sonore qui en résulterait à terme.. serait supérieure de plus de 2 dB (A) à la contribution sonore à terme de l’infrastructure avant cette modification ou cette transformation" ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, notamment de l’étude d’impact qui se réfère, sur ce point, à des études préliminaires dont l’exactitude n’est pas contestée, que la contribution sonore du projet en cause ne devrait pas être supérieure de plus de 1,5 dB (A) à la contribution sonore à terme de la voie existante ; qu’ainsi, le projet envisagé ne constituant pas une "modification ou transformation significative d’une infrastructure existante", au sens de l’article 8-1 du décret du 12 octobre 1977 modifié, le dossier d’enquête publique a pu, sans irrégularité, ne pas mentionner les méthodes de calcul utilisées pour la détermination des nuisances sonores et des méthodes de protection contre ces nuisances, alors même qu’il comportait, par ailleurs, une étude de ces nuisances et des mesures de protection permettant de les limiter ; qu’ainsi, la commune requérante n’est pas fondée à soutenir que le dossier d’enquête publique ne serait pas conforme aux prescriptions de l’article 8-1 du décret du 12 octobre 1977 ;

Sur le moyen tiré du défaut de consultation des commissions départementales des sites du Morbihan et du Finistère :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 146-7 du code de l’urbanisme : "La réalisation de nouvelles routes est organisée par les dispositions du présent article. Les nouvelles routes de transit sont localisées à une distance minimale de 2 000 mètres du rivage. La création de nouvelles routes sur les plages, cordons lagunaires, dunes ou en corniche est interdite. Les nouvelles routes de desserte locale ne peuvent être établies sur le rivage, ni le longer. Toutefois, les dispositions des deuxième, troisième et quatrième alinéas ne s’appliquent pas en cas de contraintes liées à la configuration des lieux ou, le cas échéant, à l’insularité. La commission départementale des sites est alors consultée sur l’impact de l’implantation de ces nouvelles routes sur la nature.." ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la mise aux normes autoroutières de l’ensemble de la voie, le réaménagement de celle-ci au niveau de la commune de Plougastel-Daoulas (Finistère) et le doublement de la voie existante lors du franchissement du Scorff, à proximité de Lorient (Morbihan), qui ne change pas la destination de la voie malgré la présence de constructions nouvelles, constituent de simples aménagements de la voie existante et non la création fane "nouvelle route de transit" ou "de desserte locale", au sens des dispositions précitées ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l’article L. 146-7 du code de l’urbanisme ne peut qu’être écarté ;

Sur le moyen tiré du caractère insuffisamment motivé des conclusions de la commission d’enquête :

Considérant qu’aux termes du troisième alinéa de l’article R. 11-14-14 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique : "Le commissaire enquêteur ou la commission d’enquête établit un rapport qui relate le déroulement de l’enquête et rédige des conclusions motivées, en précisant si elles sont favorables ou non à la déclaration d’utilité publique de l’opération" ; qu’il ressort des pièces du dossier que, dans son rapport, la commission d’enquête a, pour chacune des cinq sections du projet qu’elle avait définies, récapitulé les réclamations consignées sur les registres d’enquête publique, et formulé un avis sur les questions soulevées par ces réclamations, puis un avis général avec réserves sur l’ensemble du projet ; qu’ainsi, la commune requérante n’est pas fondée à soutenir que les conclusions de la commission d’enquête ne seraient pas suffisamment motivées au regard des exigences de l’article R. 11-14-14 précité ;

Sur les moyens tirés de la méconnaissance de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme :

Considérant qu’aux termes de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme : "Les documents et décisions relatifs à la vocation des zones ou à l’occupation et à l’utilisation des sols préservent les espaces terrestres et marins, sites et paysages remarquables ou caractéristiques du patrimoine naturel et culturel du littoral, et les milieux nécessaires au maintien des équilibres biologiques." ;

Considérant que, si la commune requérante soutient que le projet en cause porte atteinte aux espaces et milieux à protéger situés sur le territoire des communes de Dineault et de Quimperlé (Finistère), en violation de l’article L. 146-6 du code de l’urbanisme, il ressort des pièces du dossier que le projet en cause, qui ne modifie pas, dans ces communes, l’emprise de la voie existante, et ne traverse pas les espaces ou milieux à protéger situés sur leur territoire, ne porte pas atteinte à ces espaces ;

Sur les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions du plan d’occupation des sols de la COMMUNE DE QUERVEN :

Considérant que si le tracé actuel de la RN 165 jouxte quatre espaces boisés classés figurant dans le plan d’occupation des sols de cette commune, il ressort des pièces du dossier qu’aucun élargissement de l’emprise de la RN 165 n’est prévu au droit de ces espaces boisés ; qu’ainsi, le décret attaqué ne méconnaît pas les dispositions de l’article L. 130-1 du code de l’urbanisme ;

Considérant que si le plan d’occupation des sols de la commune prévoit qu’aucune autoroute ou route à grande circulation de plus de 2 000 véhicules/jour ne peut être située dans le périmètre d’isolement d’un établissement de stockage d’hydrocarbures, il est constant que le projet en cause ne comporte aucune extension des voies publiques existantes à l’intérieur de ce périmètre ; que, par suite, la commune n’est pas fondée à soutenir que le décret attaqué aurait méconnu ces dispositions du plan d’occupation des sols ;

Sur le moyen tiré du défaut d’utilité publique :

Considérant qu’une opération ne peut être légalement déclarée d’utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d’ordre social ou l’atteinte à d’autres intérêts publics qu’elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt qu’elle présente ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’opération déclarée d’utilité publique par le décret attaqué doit contribuer au développement économique de la zone qu’elle traverse et faciliter ses liaisons avec les régions voisines ; que ce projet améliorera les conditions de circulation et de sécurité sur un axe routier très fréquenté, notamment au droit de Lorient ; que, compte tenu notamment des atteintes réduites portées à la propriété privée et des précautions prises pour limiter les nuisances sonores du projet, les inconvénients pour l’environnement dont fait état la commune requérante ne sont pas excessifs eu égard à l’intérêt que présente l’opération et ne sont pas de nature à lui retirer son caractère d’utilité publique ;

Considérant que si la commune soutient que, pour la traversée de l’agglomération de Lorient, un autre tracé, présentant les mêmes avantages mais de moindres inconvénients, était réalisable, il n’appartient pas au Conseil d’Etat, statuant au contentieux, d’apprécier l’opportunité du tracé choisi ;

Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que la COMMUNE DE QUEVEN n’est pas fondée à demander l’annulation du décret attaqué, ni de la décision implicite de rejet de son recours gracieux ;

Sur l’application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de Justice administrative :

Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l’Etat, qui n’est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à la COMMUNE DE QUEVEN la somme qu’elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1 : La requête de la COMMUNE DE QUEVEN est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE DE QUEVEN, au Premier ministre et au ministre de l’équipement, des transports et du logement.

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